L'ouverture prochaine d'un casino à Bruxelles suscite l'inquiétude des anciens joueurs, craignant la rechute.
Les professionnels de la santé mentale mettent le cap sur un état de vigilance accru.
Le CHU Brugmann vient d'ouvrir une clinique du jeu.
Si vous ne venez pas au casino, le casino viendra à vous. Outrepassant les traditionnelles implantations dans les villes d'eau, il compte bien débarquer à Bruxelles et attirer à lui un nouveau public qui n'était jusque-là pas tenté par cet univers particulier: 50 tables de jeux et 500 machines à sous pour ce casino belge (lire ci-dessous). Ce qui pourrait représenter pour l'Etat fédéral, 2,5 millions d'euro de recettes fiscales pour la première année, 25 millions d'euro en taxes pour la Région bruxelloise, ainsi que la redevance et les droits de concession perçus par la Ville.
Et si le projet va, en outre, générer des emplois, il suscite également l'angoisse chez les anciens joueurs, qui devront résister à la tentation. Les professionnels de la santé mentale tirent la sonnette d'alarme, en appelant à un état de vigilance accru, en s'appuyant sur des études scientifiques mettant en évidence le lien entre l'offre des jeux et le nombre de personnes touchées par ses conséquences négatives. Sur dix personnes qui franchissent le pas de la porte d'un casino, trois à cinq deviendraient joueurs pathologiques.
«Plus l'exposition au jeu est longue et fréquente, plus le risque d'une dépendance est élevé», explique Serge Minet, thérapeute clinicien et assistant social à l'unité des dépendances du service de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire Brugmann, qui inaugure officiellement une clinique du jeu.
Cela dit, «tous les jeux de hasard ne comportent pas le même taux de risque, poursuit le spécialiste, certaines caractéristiques prenant en compte tant le jeu que les comportements qu'il induit, permettent d'évaluer sa dangerosité». Ainsi, plus la mise est faible, plus la tendance à rejouer est fréquente; plus le temps d'attente entre la mise et l'apparition du gain est court, plus la dépendance peut s'activer, et inversement. L'atmosphère très étudiée, qui règne dans ces lieux, peut aussi fortement influencer l'activité du joueur: le rouge, couleur attractive, stimule le plaisir ludique; l'ambiance feutrée entretient le bien-être mental.
Plus d'ennuis que de plaisir
Si certains joueurs peuvent s'essayer au jeu, y trouver un plaisir, s'arrêter à temps, accepter de perdre leur mise sans vouloir se refaire à tout prix, tous ne sont pas dans ce cas. On estime que le jeu devient pathologique dès que «le divertissement provoque plus de difficultés qu'il ne génère de plaisir, et que le joueur ne peut plus s'empêcher de jouer». «Le jeu occupe alors toute la pensée du joueur et lorsque celui-ci ne joue pas, il ressent une sensation exacerbée de manque», explique encore Serge Minet, qui parle de «dépendance silencieuse sans toxique», entraînant des complications psychiques, somatiques, familiales, juridiques, financières, sociales ou professionnelles.
Malgré toutes ces lourdes conséquences, «la relation du joueur à son comportement reste passionnée, comme s'il voulait convaincre que son choix est bon, quoi qu'il lui en coûte, explique encore le thérapeute, chaque joueur trouve dans la pratique exagérée des jeux de hasard une réponse à l'expression d'un malaise ou d'une souffrance».
Et quand on sait que de 1 à 2pc de la population, et de 3 à 5pc chez les jeunes, souffrent d'un problème de dépendance aux jeux de hasard et d'argent, selon des études qui semblent sous-estimer le problème, on peut effectivement parler de problème de santé publique.
Très à propos, l'hôpital Brugmann, qui offre depuis une quinzaine d'années une consultation spécialisée pour les joueurs pathologiques et leur famille, propose à présent une clinique du jeu. «Il s'agira avant tout de motiver le joueur à prendre conscience de son état. On essaiera de lui faire mesurer le bénéfice qu'il a à continuer de jouer et celui qu'il aurait à arrêter. On établira avec lui un contrat thérapeutique, invitant le joueur à rompre avec tous les jeux -l'abstinence doit être totale- et à les remplacer par d'autres plaisirs, d'autres motivations. En petits groupes thérapeutiques, lors d'entretiens de famille ou de couple, on va lui apprendre à reconstruire son temps.»
Un séminaire pour les professionnels de la santé aura lieu le lundi 25 octobre à 11 heures à la salle des séminaires du service de psychiatrie du CHU Brugmann, où se déroulera une séance d'information-débat s'adressant au grand public, le samedi 30 octobre, de 11 à 13 heures. Rens.: 02.477.27.99.
(source : lalibre.be/Laurence Dardenne)