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e jeu pathologie maladie : un « construit social »
Colloque à Bruxelles sur le gambling avec le
Professeur
A.J. Suissa
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Jean-Pierre G. MARTIGNONI-HUTIN
-
Sociologue (Université Lumière, Lyon 2) spécialisé sur les jeux de
hasard et d’argent (JHA), les joueurs, les espaces de jeu, les
opérateurs de jeu, la socialisation ludique…
-
Chercheur associé au Centre Max Weber (CMW) UMR 5283 (2016 -2019)
-
Agent de l’Etat, Chargé d’étude salarié à l’Autorité de Régulation
des Jeux en Ligne
? (ARJEL , Paris) ( 2011 à 2015)
-
Membre suppléant et rapporteur à la Commission Nationale des
Sanctions (CNS Paris Bercy) ( 2013 à 2018)
-
Président fondateur de l’Observatoire des jeux (ODJ) avec Marc
Valleur et Christian Bucher
(Lyon – France – octobre 2019)
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Le Professeur Amnon Jacob Suissa (Université du Québec à Montréal) a écrit
de nombreux articles sur les jeux de hasard et d’argent (JHA) Il était
récemment à l'Université Saint-Louis de Bruxelles* à l’occasion d’une
journée d’étude consacrée au gambling qui interrogeait de manière
pertinente la question du jeu pathologie maladie : « L’addiction aux jeux d’argent : un phénomène social ? (
1).
*A nouveau nos voisins belges montrent leur dynamisme et leur ouverture
d’esprit. Non seulement ils font parler d’eux en matière de
développement de l’économie des jeux :
-
avec le Groupe liégeois ARDENT qui : vient d’ouvrir un club de jeux
à Paris boulevard Murat (le Circus) (2), veut « doubler de taille
dans les jeux d’argent en 5 ans » (3) et « mise sur le marché
Français » (4)
-
avec le groupe Golden Palace qui a pris la suite de Partouche au
casino de Boulogne sur Mer en juillet dernier(5)
Mais en plus, le plat pays favorise les débats critiques sur des sujets
sensibles, comme celui du jeu problématique. Ce n’est pas la première
fois. Nous gardons en mémoire un symposium d’une grande qualité
scientifique, organisé à l’Hôtel Hilton par la Loterie Nationale Belge,
la fondation Rodin et Serge J. Minet, qui nous avait convié à cette
manifestation (6).
S. Minet (Créateur de la Clinique Dostoïevski à Bruxelles) participe
dailleurs a la journée d’étude mentionnée dans cet article, dans une
intervention qui file bon la métaphore sportive : «
La solitude du joueur de fond «
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Le mini-colloque qui s’est déroulé la semaine dernière à l'Université
Saint-Louis avait pour ambition de proposer une approche
socio-anthropologique des jeux de hasard, en posant une problématique que
nous avons toujours considérée comme fondamentale :
dans quelle mesure l’addiction aux jeux d’argent peut-elle être
considérée, non comme une maladie, mais comme un phénomène social ?
L’ intervention d’ A.J. Suissa à cette journée organisée par le CASPER
(Centre d'Anthropologie, Sociologie, Psychologie) s’intitulait : «
L’addiction aux jeux de hasard et d’argent : enjeux psychosociaux »
Nous nous réjouissons de ce questionnement et de la présence de Suissa à
cette manifestation car cela fait des années :
· que nous défendons une approche socio-anthropologique et
ethno-sociologique des pratiques ludiques et de la socialisation ludique
contemporaine à l’endroit des jeux d’argent, y compris quand elle concerne
: le jeu qualifié « d’excessif », les catégories populaires qui ne devraient pas jouer, le jeu des mineurs…
· que nous menons un « combat » scientifique et épistémologique contre la doxa du jeu pathologie maladie qui exploite le business du jeu
compulsif
· que nous dénonçons la vision médicale des JHA véhiculée par cette même
doxa
Le jeu compulsif : vérités et MENSONGES
A. J. Suissa s’intéresse depuis de nombreuses années aux déterminants
sociaux des dépendances, à leur impact sur le processus de traitement et de
réinsertion sociale. Il est l’auteur de « Pourquoi l’alcoolisme n’est pas une maladie « ( Fides I998). Ses
travaux sur le gambling ont attiré plus particulièrement notre
attention. Son remarquable ouvrage - « Le jeu compulsif : vérités et mensonges » ( Fidès 2005) - a
conforté les analyses que nous menions depuis longtemps. Ce livre montre
que le phénomène de dépendance est d’abord un problème social. Au concept
de « pathologie » et de « maladie du jeu compulsif » cher à la doxa, Suissa
oppose une approche mettant en valeur « les forces des individus dans leur
style de vie, leur milieu familial, social et professionnel ».
Dans une autre publication
« La construction d’un problème social en pathologie : le cas des jeux
de hasard et d’argent
»(7) Suissa souligne comment historiquement, dans différents pays (
notamment en Angleterre et aux ETUN), les jeux d’argent se transforment
progressivement en pathologie et quelles sont les idéologies et travaux qui
expliquent cette évolution. Pour Suissa l’idéologie de l’individualisme tient une place centrale dans le
discours de la pathologie. Des travaux ( par exemple ceux d’Edmund Bergler, The psychologie of gambling, 1958) inaugurent une conception du
jeu comme étant une névrose accompagnée - contre toute attente - d’un désir inconscient de perdre. Dans cet article Suissa
réinterroge également les fondements pseudo scientifiques qui entourent le
discours du jeu pathologie maladie. Discours omnipotent qui domine en
Amérique du nord, et désormais également en Europe, notamment en France.
Les thématiques du colloque organisé la semaine dernière à Bruxelles sont
donc au cœur de nos travaux sur les jeux depuis plus de 15 ans. Dans de
nombreux articles, par exemple dans la revue Psychotropes dès 2005 : «
Que peut apporter la sociologie dans le débat sur le jeu compulsif ?
“ (8) dans de multiples colloques par exemple en Suisse (9) et
interventions médiatiques ou dans des groupes de travail sur l’addiction,
par exemple à l’ARJEL ( 10 )
En outre nos enquêtes de « terrain », nos participations à des expertises (
notamment celle de l’INSERM sur le jeu pathologique), nos multiples
missions et auditions ( sénat, assemblée nationale) nous ont permis d’
observer au plus près - ( et encore dernièrement au colloque organisé fin
2018 dans la prestigieuse salle Lamartine par Olga GIVERNET (députée REM de
l’Ain) et Christophe BLANCHET (député REM du Calvados) (11) ) comment en
France s’est mise en place progressivement ce « construit social » que
constitue le jeu pathologie maladie. Si l’activisme des différents acteurs
de la doxa explique principalement cette construction, elle n’a pu être
effective qu’avec la « complicité intéressée » des « politiques », des
opérateurs et la bienveillance des médias, qui n’ont jamais réinterrogé le
bien-fondé scientifique du jeu pathologie maladie, n’ont jamais enquêté sur
les conflits d’intérêts qui lient les différents acteurs de cette
construction.
Le jeu pathologique : une maladie qui semble avoir du mal à trouver ses
malades.
Nous sommes souvent intervenus pour dénoncer la vision médicale du jeu,
véhiculée par certains addictologues, psychologues, psychiatres,
thérapeutes…. En quelques années - de l’Observatoire des jeux (ODJ/BERCY) à
l’Arjel en passant par le Ministère de la santé et de multiples structures,
instituts, associations comme SOS joueurs…- cette doxa a « colonisé » le
champ des Jeux de Hasard et d’Argent (JHA). Elle continue de proliférer,
par exemple dernièrement à la Sorbonne avec la neurologue Jocelyne CABOCHE
en ouverture de la semaine du « cerveau » Paris(12)
Des dizaines et des dizaines de « psy » et désormais les spécialistes des
neurosciences ont compris tous les bénéficies qu’ils pouvaient tirer de
cette « nouvelle maladie » introduite dans le DSM III ( Manuel statistique
et diagnostique des troubles mentaux ) en 1980 aux ETUN par l’APA (American
Psychiatric Association). Le business du jeu compulsif fonctionne désormais
à plein régime.
Mais bizarrement cette pandémie ludique semble avoir du mal à trouver ses malades.
(13)
Lors du colloque à l’Assemblée Nationale fin 2018, JM COSTES ( Observatoire
Des Jeux - Paris BERCY) a condamné le fait que
« le joueur ne reconnaisse pas sa maladie« et que « très peu consultent
»
Il ne s’est pas interrogé sur la réalité cette maladie, l’épistémologie de
ses travaux qui ont la prétention de mesurer les joueurs malades du jeu, il
a proposé de nouvelles mesures liberticides pour « identifier les millions
de joueurs, les « soigner ».
Curieuse maladie donc que cette maladie du jeu – la maladie des perdants ? - qui semble avoir du mal à trouver
ses malades… pourtant très nombreux si l’on en croit….à nouveau
l’Observatoire des jeux. COSTES affirme (14) qu’il y « aurait » 1 250 000
joueurs excessifs… ou à risque modéré. Statistiques » établies à
partir de questions auto administrées incluses dans…. un «
Baromètre santé»
Le fait que cette doxa donne une définition du joueur « pathologique »
extensive jette un doute sur la réalité épidémiologique de cette « maladie
». L’imposture intellectuelle consiste a exploiter une projection abscons
que nous résumerons ainsi :
tous les gens bien portants peuvent toujours tombés malades et personne
ne pourra jamais prouver le contraire.
En surfant sur cette hypothèse tautologique, la doxa du jeu peut en
permanence faire du chantage aux pouvoirs publics, aux opérateurs…. Rusée
elle a établi une taxinomie à géométrie variable.
Le jeu pathologique, dont on parle pourtant en permanence, représenterait
seulement 1 à 3 % des joueurs. Curieuse « fourchette » au passage : du
simple au double. Ce large « râteau » permet de rassurer les opérateurs
mais aussi de les maintenir sous pression. Même si le nombre de joueurs qui
signalent avoir des problèmes de jeu est riquiqui - il y a environ 70 000
interdits de jeu volontaires en France gérés la police des jeux - la doxa
peut toujours - quand ça l’arrange - agiter le chiffon rouge en direction
des joueurs « qui risquent » d’avoir des problèmes de jeu….. à la Saint
Guinglin (15).
La ficelle semble grosse mais ça marche. L’ idéologie du principe de précaution à laquelle sont sensibles les
pouvoirs publics anesthésie leur sens critique. Ils accueillent avec
bienveillance la Poudre de Perlimpinpin ( 16 ) que veut leur vendre la doxa
du jeu pathologie pour soigner les joueurs malades du jeu.
De leur coté les opérateurs ont compris qu’ils devaient lâcher un peu
d’argent
( et même parfois beaucoup : 1,6 millions versé par la FDJ à Jean Luc
Vénisse et au CHU de Nantes en pleine expertise INSERM confer
ci-dessous le dernier paragraphe)
afficher une politique de jeu responsable mais dans le même temps qu’ils
devaient accélérer l’ exploitation du business ludique.
La politique de « jeu responsable » de la FDJ a en réalité produit…. du
jeu excessif
Le cas de la Française des jeux est à ce sujet exemplaire. L’opérateur de
Boulogne ne s’est jamais aussi bien porté, depuis qu’il mène une politique
de jeu responsable et finance la doxa du jeu pathologie maladie. Cette
politique de jeu responsable et d’information prévention pour lutter contre
le jeu excessif a en réalité produit plus de jeux que si elle n’avait pas
été engagée. Car bien entendu les dirigeants de la FDJ Christophe Blanchard
et ensuite son successeur Stéphane Pallez ne sont pas restés les bras
croisés.
Les deux PDG ont fortement accru, modernisé, diversifié, digitalisé…
l’offre ludique de la FDJ permettant à l’opérateur historique – toujours en
situation de monopole ce qui facilite grandement sa position… dominante -
de surperformer chaque année pour dépasser allègrement la barre des 10
milliards. Mais dans le même temps la FDJ qui a du mal à fidéliser sa
clientèle a perdu plusieurs millions de joueurs. Comment l’opérateur
historique a t elle pu surperformer ( 17) alors que sa clientèle diminuait
fortement ? Une seule possibilité : les français ont joué de manière plus intensive. Au final contre toute attente, la politique de jeu
responsable de la FDJ a produit du jeu excessif. Mais personne n’en parle
sauf… la Cour des comptes (CDC) qui dévoile dans un graphique sans appel
que le CA de la FDJ continue de progresser fortement alors le nombre de
joueurs est en décroissance.
Pas certain cependant que le commun des mortels ni même les journalistes
lisent les rapports des Sages de la rue Cambon : extrait du rapport de la CDC page 25 =
« si les enjeux collectés par la FDJ sont en constante augmentation
depuis I8 ans * on constate en revanche une diminution régulière du
nombre de joueurs ( -I8%) 1999-2014 ( 27 millions de joueurs en 2014.
Les joueurs, s’ils deviennent moins nombreux misent en revanche des
sommes plus élevées, démontrant une pratique plus intensive « (18)
(* la FDJ a vu son chiffre d’affaire plus que doubler de 1995 à 2014,
passant de 5 milliards à 13 milliards d’euros soir une augmentation de
160% sur la période) (18)
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Encore récemment cette problématique de l’addiction ludique était au centre
des débats parlementaires et médiatiques autour du projet de privatisation
de la FDJ. Mais l’instrumentalisation de la problématique de l’addiction
par les « politiques » , de gauche comme de droite, l’impérialisme
intellectuel de la doxa, empêchent tout débat sérieux sur la question.
Nous avons montré, dans de multiples contributions, qu’il est fallacieux de
parler de dépendance, de « drogue », - ce plaisir qui tue - (19) à
l’endroit des jeux d’argent. Et le terme d’appétence est
préférable à celui de prévalence, qui a l’inconvénient d’inscrire
les JHA dans une nosologie médicale ou l’on cherche à identifier les signes
cliniques de la maladie du jeu. Nous avons toujours pensé qu’il y a danger scientifique à aborder les jeux de hasard à travers la
problématique de l’addiction, car une fois acceptés comme entité morbide
individualisée, les pratiques ludiques sont analysées comme des formes plus
ou moins aiguës de jeu pathologique. Le fait que la doxa insiste désormais
sur les joueurs « à risque modéré » ou ceux « susceptibles de tomber dans
l’addiction », en est la parfaite illustration.
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Mais l’histoire ne s’arrête pas là. De nouvelles propositions
thérapeutiques surprenantes – certains diront scandaleuses - apparaissent
pour soigner les addicts du jeu. Comme celle imaginée par un professeur de
toxicologie d’Helsinki, consistant à tester sur 130 joueurs un vaporisateur
contenant du naloxone, un produit de traitement des overdoses aux opiacés.
La logique pharmaco-commerciale de l’affaire se dévoile. Après avoir fait
croire par tous les moyens que le jeu était une drogue, certains rêvent de
fournir un produit censé remplacer le jeu par une vraie drogue. Ironie de
l’histoire ces apprentis sorciers n’ont réussi pour l’instant qu’à
déclencher chez certains patients atteints de troubles neurologiques… une
addiction aux jeux d’argent en prescrivant du Sifrol, un antiparkinsonien.
Le jeu pathologie maladie : une histoire de santé publique ou
d’intérêts privés ?
En réalité cette doxa - sous couvert de santé publique - défend ses
intérêts ses pouvoirs, ses postes, ses réseaux…. Elle souhaite ( comme pour
le tabac, l’alcool, la drogue) développer de nouveaux marchés qui
intéressent l’industrie pharmaceutique Elle exploite l’inquiétude (mais
aussi l’hypocrisie) des « politiques » qui cherchent à se donner bonne conscience en pathologisant un fait social et
culturel ou en instrumentalisant à des fins idéologiques cette
pathologisation, comme on a encore pu le constater dernièrement avec la
privatisation de la FDJ.(20)
La doxa du jeu pathologie maladie se dévoile également et souligne sa
légèreté scientifique quand elle parle du caractère particulièrement addictif de certains jeux. Prenons quelques
exemples :
-
Rapido a été sacrifié sur l’autel de la doxa du jeu pathologie maladie par l’association
SOS joueurs et deux députés qui trouvaient ce jeu « particulièrement addictif » car rapide ! Rapido a été
prohibé… mais la FDJ a continué à financer SOS joueurs.
-
Les machines à sous furent préalablement accusées par cette même doxa
d’être « particulièrement addictives » à cause de « l’ambiance
casino » (sociabilité, socialité, musique, convivialité joyeuse, slots
colorées qui tintantanibulent, bruit de l’argent, absence d’horloge …)
· En 2010 ce fut les jeux sur internet régulés par l’ARJEL - poker
notamment - d’être accusés par la doxa d’être particulièrement addictifs …mais - va comprendre Charles ! (21)-
pour des raisons inverses que celles citées précédemment : le joueur
désocialisé, seul devant son ordinateur, qui flambe en ligne H24 au poker
cash game, allait forcément tomber dans l’addiction. (
La vaste étude nationale représentative ( quanti et quali) que nous
avons réalisée à l’ARJEL sous le contrôle de JF Vilotte et de deux
cadres de l’Arjel ( et non des moindres) démontrait que cette
prédiction était pour le moins réductrice. Mais dès son arrivée Rue
Leblanc (22) Charles Coppolani a interdit la publication de l’étude sur
le site de l’Arjel alors que Jean François Vilotte avait donné son aval
avant son départ (23). En annonçant ensuite notre licenciement C.
Copppolani a empêché que cette vaste enquête puisse se terminer
normalement, censurant de fait la publication de l’ensemble des
résultats qui apparaissaient riches et féconds.
· Plus récemment, en 2018, les jeux de grattage qui représentent un
pourcentage stratégique du volume d’affaire de la FDJ ont également été
accusés d’être « particulièrement addictifs »… par J.M. COSTES ( ODJ/Bercy)
et SOS joueurs avec la « complicité » du quotidien Libération….( 24 )
· On le voit, en accusant tous les jeux d’argent d’être particulièrement
addictifs, en établissant une hiérarchie ludique de l’addiction basée sur
le sens commun - qui est rarement synonyme de bon sens scientifique - la
doxa dévoile sa légèreté scientifique, son absolutisme et sa méconnaissance
des jeux d’argent
« Le jeu pathologie maladie : un construit social issu des
représentations dominantes duquel émerge la figure du joueur
pathologique comme nouvelle maladie »
Le fait que la doxa du jeu pathologie maladie donne des explications
contradictoires pour expliquer « l’addiction ludique » jette un doute sérieux, sur le sérieux scientifique de ces
affirmations et prouve que cette « addiction sans substance » ( concept
controversé ) - a toutes les caractéristiques d’une usine à gaz….
Quand « les politiques » auront un doute épistémologique sur cette «
maladie du jeu », consulteront les écrits qui critiquent le DSM ils
s’interrogeront, comme l’a fait dernièrement Yann VERDO dans le quotidien
les Echos… : « Les jeux, une drogue ? » ( 25) Ils se poseront ensuite une
autre question soulevée depuis longtemps par Marc VALLEUR qui pourtant
n’est pas sociologue :
« Qu’y a t il de réellement nouveau dans ces descriptions médicales
ou psychiatriques d’un phénomène existant depuis la plus haute
antiquité ? (…) Une évolution des regards, l’inscription dans le
champ médical de conduites qui préalablement relevaient de la
morale ,
un construit social issu des représentations dominantes duquel
émerge la figure du joueur pathologique comme nouvelle maladie
?
» (26)
2013 = Annus Horribilis
Malgré les difficultés personnelles et professionnelles - tragiques(27),
incommensurables - que nous affrontons depuis 2013 - cette année horrible - dont certaines ironie de l’histoire sont
directement liés aux débats politico scientifique sur le jeu excessif –
nous avons décidé de continuer à me battre scientifiquement contre la doxa,
en évitant le pathos, pour ne pas que ce combat soit perçu comme du
ressentiment suite à notre éviction de l’ARJEL décidée par un seul homme =
Charles Coppolani ex haut fonctionnaire de BERCY, ex Directeur de
l’Observatoire des jeux (ODJ/BERCY), et bientôt ex directeur de l’ARJEL,
qui vient d’annoncer qu’il terminait son mandat. (RAPPORT D’ACTIVITÉ ARJEL
2018-2019, 89 pages, 2019)
Mais face à autant d’impostures intellectuelles nous ne saurions renoncer ;
face à autant d’injustices et de conflits d’intérêts nous ne saurions
abdiqués. En France dans le domaine de la recherche, comme dans de nombreux
autres domaines, quand vous n’allez pas dans le sens du vent, quand vous ne
criez pas avec les loups, quand vous n’aboyez pas avec les chiens,
vous êtes pris pour un original, mais généralement vous apparaissez surtout
comme un empêcheur de tourner en rond.
Dès 2008 à l’occasion de l’expertise Inserm nous avions, avec mes collègues
Élisabeth BELMAS historienne et Sophie CRAIPEAUX sociologue, alerté la
directrice de l’expertise (Madame Étiemble) et les pouvoirs publics sur le
fait que les Jeux de hasard et d’argent étaient fondamentalement un fait
social et culturel collectif profondément inscrit dans l’Histoire de France
non une maladie individuelle. Mais déjà à l’époque nous n’étions pas pris
au sérieux. Signe qui ne trompe pas Madame Etiemble, quand elles nous
donnait la parole lors de l’expertise Inserm nous présentaient comme les
représentants des sciences douces, sous entendu que les
addictologues étaient eux du coté des sciences dures. En outre
nous étions minoritaires dans cette expertise. Addictologues et
spécialistes des drogues dominaient et préparaient leur OPA sur les jeux
d’argent. Nombre de ces experts se sont ensuite recyclés dans les jeux
d’argent ( 28) alors qu’ils n’étaient pas du tout spécialistes du gambling.
Certains n’avaient pas écrit une ligne sur le sujet avant l’expertise et
encore moins réalisés d’études de terrain pour aller observer les joueurs,
les interroger.
Nous avons ensuite souligné à de multiples occasions (colloques, médias) et
sur de nombreuses contributions ( articles) que cette notion de jeupathologique, compulsif, impulsif, addictif… était un construit social et que le concept « d’addiction sans substance »
d’addiction comportementale » suscitait des débats scientifiques au sein
même des addictologues. En vain. Au mieux nous étions présentés comme un
doux rêveur, au pire comme un sociologue provocateur, manière très
efficace et très malhonnête d’éviter tout débat.
Conflits d’intérêts/Jean Luc Vénisse/ CRJE de Nantes/ Française des
jeux
Soulignons pour conclure provisoirement l’historique de cette construction
sociale - qui reste à écrire de manière exhaustive pour la période
contemporaine et dans le cas Français - que l’expertise Inserm a comporté
un conflit d’intérêts scandaleux jamais dénoncé.
En pleine expertise INSERM nous apprenons dans la presse que Jean Luc
Vénisse ( qui participait à l’expertise bien que n’étant pas du tout un
spécialiste des jeux) venait de signer un partenariat de plusieurs millions
d’euros sur trois ans pour créer au CHU de Nantes un centre de référence
sur le jeu excessif (CRJE) financé par… la Française Des Jeux. Il se
passait des choses en coulisse sonnantes et trébuchantes et la directrice
de l’expertise était certainement au courant. Naïf, nous avons cru qu’à la
prochaine réunion de travail de l’INSERM, Madame Etiemble allait demander
au bénéficiaire de ce pactole de quitter l’expertise, pour des raisons
évidentes de conflits d’intérêt.
Nous avons même pensé, dans notre naïveté provinciale, que Monsieur
Vénisse, ce nouveau venu, parvenu récemment dans le champ des JHA
par une seule étude, allait présenter de lui-même sa démission, par
déontologie ou par simple honnêteté intellectuelle. Que nenni. Ce conflit
d’intérêt sonnant et trébuchant passa comme une lettre à la poste. La
directrice de l’expertise félicitant même l’heureux gagnant. Jeanne
Etiemble a ensuite offert de très bons chocolats noirs à tous les experts.
Une manière très parisienne de nous faire avaler la pilule et de calmer le jobard. Pas besoin d’avoir fait une thèse en biochimie
génétique comme Madame Etiemble, pour savoir que le chocolat calme,
réconforte et possède des propriétés anti stress. Mais la directrice de
l’expertise avait oublié les apports bénéfiques du chocolat sur la mémoire… Ce qui explique sans doute pourquoi nous nous sommes
longtemps souvenus - et nous rappelons ici – cette « anecdote »… qui n’en
n’était sans doute pas une.
Pourquoi à cette occasion n’avons nous pas protesté, démissionné, dénoncé
dans un communiqué AFP ce conflits d’intérêts scandaleux ? Mystère. Les
raisons de ce silence restent sans doute enfouies dans notre socialisation
primaire qui nous a inculqué outre la politesse, une soumission naturelle à l’autorité que représentait pour nous
Madame Etiemble, l’Inserm….JPM.
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© j.p.georges. martignoni-hutin jr.sociologue, octobre 2019, université
lumière Lyon 2, ISH, Centre Max Weber(CMW)UMR 5283, équipe TIPO, Lyon,
France.
Jean-pierre.martignoni@univ-lyon2.fr
Notes =
1. « L’addiction aux jeux d’argent : un phénomène social ? « Le 26
septembre 2019 à l’Université Saint-Louis (Boulevard du Jardin Botanique
43, 1000 Bruxelles)
casper@usaintlouis.be
.
2. « Sébastien Leclerc* , un belge à la conquête de Paris » par
Julien Tissot ( L’actualité des clubs de jeux parisiens, 21 janvier 2019) * Sébastien Leclerc est le directeur opérationnel d’Adent Group en
France depuis 2016
3. « Le groupe Ardent veut doubler de taille dans les jeux d’argent en 5
ans » ( L’Echo (journal Belge) 19 janvier 2019).
4.
« Jeux d’argent : le belge ardent mise sur lemarché français : le
premier groupe belge de jeux d’argent veut croitre en France tant dans
le secteur des casinos que des jeux en ligne
» ( Christophe Palierse , les Échos 30/I2/2018)
5. 1 = «
Golden Palace souffle le Casino de Boulogne sur Mer au groupe
Partouche«
27/02 /2019 , les échos : Nicole Buyse (Correspondante à Lille)2 =
« Repris par Golden Palace le casino de Boulogne rouvre ses porte ce
mercredi «
(Thomas Diquattro, la voix du nord.fr | 09/07/2019 ) 3 = «
Casino de Boulogne-sur-Mer : Golden Palace rafle la mise en évinçant
Partouche »
=( Elodie Soury-Lavergne, le journal des entreprises ; le 28 février 2019)
6. JP Martignoni :
“Une société de hasard par nécessité ? Nécessité et limite des jeux de
hasard et d’argent “
notre intervention à la conférence internationale organisée par la
Fondation Rodin et la Loterie Nationale Belge : “ Le jeu dans tous ses
États ». (Bruxelles , Hôtel Conrad Hilton, 13,14,15 avril 2005)
7. Jacob Amnon Suissa : « La construction d’un problème social en
pathologie : le cas des jeux de hasard et d’argent (gambling) ( Nouvelles
pratiques sociales vol 18 n°1, 2005, 148-161)
8. (Psychotropes : revue internationale des toxicomanies et des addictions
: “ Le Jeu pathologique : quand jouer n’est plus jouer ” n°2 , vol
11, juillet 2005, p 55-86 )
9.
JP Martignoni deux interventions au congrès international sur le jeu
organisé par le Centre du jeu excessif de Lausanne ( Direc. = Jacques
Besson – Resp. = Olivier Simon) = « Prévenir le jeu excessif dans une société addictive ? Université
de Lausanne Dorigny, 19 et 20 juin 2008 ) 1
= « L’industrie des jeux de hasard et d’argent est-elle compatible avec
les notions de jeu responsable et de développement durable ? » 2 = « Le
processus d’expertise collective à l’épreuve de l’interdisciplinarité »
»
10. JP Martignoni : Participation à la demande de l’Arjel au groupe de
travail « Addiction » présidée par JF Vilotte (7 et 22 juillet 2009, +
septembre 2009 )
11. (Jean-Pierre MARTIGNONI : :
« Colloque sur les jeux de hasard et d’argent à l’Assemblée Nationale
= L’État et les jeux, l’état du jeu «
(I)( (23/II/2018, 11 pages , 28 notes, plus une annexe)publié
lescasinos.org 23/11/2018 ) : informations et commentaires sur le colloque
organisé par Olga GIVERNET (députée REM de l’Ain) et Christophe BLANCHET
(député REM du Calvados) à l’Assemblée nationale le vendredi 30 novembre
2018 = « Jeux d’argent : enjeux et avenir d’un secteur en évolution » Nous
étions invités à ce colloque par Olga GIVERNET et Christophe BLANCHET)
12. Conférence à la Sorbonne le 11 mars 2019 par la neurologue Jocelyne «
CABOCHE en ouverture de la semaine du « cerveau » ! ( confer Yann VERDO , « Comment les drogues piratent le cerveau » : ( Les Echos idées
débats , II mars 2019)
13. Jean-Pierre MARTIGNONI : » L’addiction au jeu : une drôle de maladie
qui a du mal à trouver ses malades « (mars 2019, 4 pages, 6 notes, 1
annexe) «( publié sur lescasinos.org 29 mars 2019, casino legal France
29/3/2019 )article écrit en réaction à l’article paru dans lescasinos.org
du 27 Mars 2019 : « l’addiction au jeu touche 1,2 millions de Français ( et
seuls 2% se soignent) » ( source : franceinter.fr avec Danielle MESSAGER)
ou l’on apprend que L’hôpital Paul Brousse de Villejuif lance un surprenant
« nouvel essai thérapeutique » ou le médecin ( Amandine LUQUIENS) qui
visiblement a du mal à trouver des malades, ira à la rencontre numérique du joueur « malade du jeu » qui devra
envoyer préalablement un mail
14. les casinos.org du 27 Mars 2019 :
« l’addiction au jeu touche 1,2 millions de Français ( et seuls 2% se
soignent)
» ( source : franceinter.fr avec Danielle MESSAGER)
15. Saint-Glinglin : jour fictif du calendrier liturgique
catholique, utilisé pour renvoyer à une date indéterminée et lointaine,
voire jamais, l'accomplissement d'un événement.
16. Poudre de perlimpinpin : remède prétendument miraculeux mais
totalement inefficace.
17. Jean-Pierre MARTIGNONI : En attendant sa privatisation la FDJ
surperforme….…sur fond de crise sociale ( mars 2019, 22 pages, 56
notes, 4 annexes) «( publié sur : les casinos.org 13/3/2019 ; casino legal
France 13/3/2019)
18.
« La régulation des jeux d’argent et de hasard : enquête demandée par
le comité d’évaluation et de contrôle publiques de l’assemblée
nationale » cour des comptes, octobre 2016, 187 pages)
19. « Drogue : la plaisir qui tue « ( Science en vie n°884 , mai
1991, pp 66-78
20. « Privatisation de la FDJ : un risque pour l’addiction au jeu ? =
La FDJ entrera en bourse fin novembre, pour une privatisation complète
début 2020. Ce changement peut-il avoir un impact sur l’addiction au
jeu ?
« lucie descamps ; 4 octobre 2019 Yahoo finance France
21. « va comprendre Charles ! » Locution interjective
prononcée par André Pousse en réponse à Guy Marchand dans une publicité
pour le Pari Mutuel Urbain des années 1990. Le slogan de cette publicité
était :
« Avec le PMU, aujourd’hui on joue comme on aime ». Dans cette
publicité ces
acteurs français (incarnant des parieurs chevronnés et virils) s’étonnaient
que les nouveaux joueurs ( notamment les femmes) gagnent, alors que ces
dernières fondaient leurs jeux sur le hasard, le nom des chevaux, leur date
de naissance et autres détails sans rapport avec la course. Dans cette
publicité télévisée, les femmes jouent au hasard, […], les deux complices
se gaussent gentiment des femmes qui jouent leur date de naissance mais
gagnent néanmoins : va comprendre Charles ! — (Jean-Pierre
Martignoni-Hutin, Faites vos jeux : essai sociologique sur le joueur et
l’attitude ludique, 1993, p. 159) cité par wiktionnaire le dictionnaire
libre. Interjection populaire destinée à soulever une incompréhension
22. Siège de l’ARJEL à Paris dans le 15°
23. « Le président de l’autorité de régulation tire sa révérence « : JF
Vilotte a précisé que son départ relevait d’une décision personnelle » (
Christophe Palierse : Les Echos 19 décembre 2013)
24. Confer notre article = Jean-Pierre MARTIGNONI :
« HARO SUR LES JEUX DE GRATTAGE : Alors que sortira le 3 septembre
Mission Patrimoine, un jeu de grattage voulu par le Président de la
République pour restaurer les monuments historiques, la doxa du jeu
pathologie maladie se déchaine dans la presse* contre ces loteries
instantanées qui pèsent 50 % des ventes de la Française des jeux »
(13 pages, 26 notes, aout 2018, publié sur : lescasinos.org 29/8/2018 ; (*)
Charlotte Belaich, « Accros au grattage : à la FDJ, de l’huile sur le jeu
(Libération 25 juillet 2018 pages 14,15)
25. Yann VERDO ,
« Comment les drogues piratent le cerveau » : encadré « Les jeux, une
drogue ?
( Les Echos idées débats , II mars 2019)
26. Marc Valleur, Christian Bucher, « le jeu pathologique »,
Armand Colin, 2006, page 5
27.
En 2013 nous avons perdu notre fils Jacques de 20 ans en pleine
santé et quelques mois après nous avons été licencié de l’ARJEL par
Charles Coppolani qui remplaçait JF Vilotte suite à sa démission
inattendue ( confer note 19). Perdre son enfant et son travail la
même année… je ne le souhaite à personne. Ce haut fonctionnaire de
Bercy qui a remplacé JF Vilotte étant Président de l’observatoire
des jeux, fondé par Marc Valleur et Christian Bucher et moi même.
28. Cité dans Le Figaro : carole bellemare les décideurs, les nominations
du jour 1/I2/2016. = « Observatoire des Jeux : La directrice de recherche
de l'Inserm, dans l'instance depuis 2011, prend la présidence de
l'Observatoire, au sein du Comité consultatif des jeux. Jean-Michel Costes,
expert démographe, ancien directeur de l'Observatoire de la lutte contre la
drogue et la toxicomanie, membre aussi depuis 2011, prend le poste créé de
secrétaire général » -----
© j.p.georges. martignoni-hutin jr.sociologue, octobre 2019, université
lumière Lyon 2, ISH, Centre Max Weber(CMW)UMR 5283, équipe TIPO, ISH,
Lyon, France.