Loto-Québec verse chaque année plusieurs centaines de milliers de dollars à des agences de voyages qui ont pour mission d'amener au casino des personnes principalement âgées et pauvres.
Ces entreprises, qui offrent souvent plusieurs voyages par semaine aux différents casinos du Québec, reçoivent 5 à 10$ par passager, a appris Le Journal de Montréal.
«Chaque année, environ 8 000 personnes se rendent en autobus dans l'un des trois casinos du Québec», indique le porte-parole de Loto-Québec, Jean-Pierre Roy.
Or, les participants aux voyages sont en majorité des femmes âgées à faible revenu, révèle une récente étude réalisée au département de psychologie de l'Université Laval et dont le Journal a obtenu une copie.
«Il y a significativement plus de personnes à faibles revenus, de personnes âgées et de femmes parmi les usagers des voyages nolisés qu'au sein des joueurs de casino en général», écrivent les auteurs de cette étude.
Ainsi, 53% des participants ont un salaire annuel de moins de 30 000$. «Le voyage ne coûte pas très cher. Ce sont des gens qui choisissent l'autobus parce qu'ils n'ont pas de voiture pour aller au casino», dit Francine Ferland, l'une des auteurs de l'étude.
La majorité des voyageurs sont âgés dans la soixantaine. Parmi eux, près de 70% sont des femmes.
Les forfaits en autobus offerts par Loto-Québec sont très alléchants. Les joueurs paient entre 10$ et 20$ pour le voyage. En retour, ils reçoivent 10$ pour jouer, un autre 10$ à utiliser lors de leur prochaine visite au casino et la possibilité de gagner des cadeaux. À l'occasion, un repas leur est aussi offert.
La société d'État n'a pas dévoilé le montant exact versé aux agences de voyages. Lors du passage du Journal hier, cinq autobus, pouvant accueillir une quarantaine de voyageurs, étaient stationnés au Casino de Montréal.
Plus de joueurs à risque
D'après la recherche, les participants dépensent leur argent surtout dans les machines à sous. Il n'y a pas plus de joueurs compulsifs à bord des autobus que dans la population en général.
Toutefois, on retrouve 5% de plus de joueurs à risque que dans la population normale.
«On ne sait pas quel bord vont prendre les joueurs à risque. Deviendront-ils des joueurs occasionnels ou pathologiques, on ne le sait pas, dit Mme Ferland.
«Ils jouent un peu plus que la moyenne. Il en découle quelques conséquences négatives qui affectent peu leur vie», ajoute-t-elle.
On vend le jeu comme un loisir
«Loto-Québec semble profiter de la solitude des personnes âgées. Dans notre société, il doit bien y avoir d'autres activités que le casino pour les divertir.»
Alain Dubois de la coalition Emjeu déplore que les personnes âgées se distraient autant dans les casinos.
«Loto-Québec vend le jeu comme une simple activité ludique. Mais le jeu a quelque chose de dangereux, particulièrement les machines à sous», dit l'agent de relations humaines dans un centre de réadaptation pour joueurs compulsifs de Montréal.
D'ailleurs, 97% des participants aux voyages en autobus jouent aux machines à sous lorsqu'ils sont au casino, selon l'étude réalisée au département de psychologie de l'Université Laval.
Pour le plaisir
D'après Alain Dubois, trop peu d'efforts sont consacrés pour tirer de l'ennui les gens du troisième âge. «Il faut dire que les centres pour personnes âgées n'ont pas beaucoup de moyens.»
Toujours selon l'étude, 88% des voyageurs privilégient les forfaits en autobus parce qu'ils leur permettent d'avoir du plaisir au casino.
»On vient pour s'amuser
Avant même d'arriver au casino, les participants aux forfaits en autobus sont déjà en train de jouer. «Plusieurs jouent au bingo durant le voyage», lance un chauffeur d'autobus.
Toutes les personnes âgées, venues hier au Casino de Montréal en autobus, le confirment. «On vient pour s'amuser», répondent-elles lorsque le Journal les questionne sur les raisons de leur voyage.
«C'est toujours le même monde d'un village à l'autre. Ça les fait sortir un peu, ça leur fait voir des gens et ce n'est pas trop dispendieux», dit Claude Lachance, un chauffeur d'autobus de la région de la Beauce.
De tous les joueurs, aucun ne semble s'inquiéter d'une quelconque dépendance au jeu. «Je dépense 300$ à 400$ lorsque je viens. Mais là, j'ai gagné 480$ en mettant deux 25 sous. Et la journée n'est pas finie», dit Louise Gosselin, tout excitée.
Cette résidante de la Beauce se rend aux casinos de Charlevoix et de Montréal surtout en autobus.
Et combien de fois par année vient-elle au casino? «Autant de fois que possible», répond-elle d'emblée.
Maniaque
De son côté, son conjoint fréquente les voyages organisés pour rencontrer des amis. «Je prends ça easy. C'est ma femme qui est maniaque de ça», dit Simeon Quirion.
D'autres joueurs, comme Yvette Bourque, se disent plus raisonnables. «Je ne suis pas chanceuse. Alors, je ne dépasse pas 30$», indique la retraitée, qui est venue au casino en autobus pour se changer les idées avec sa meilleure amie.
Ce que l'étude dit:
«Les participants aux voyages sont des individus qui devraient être soigneusement surveillés.»
«Le pourcentage de joueurs à risque est relativement élevé dans cette étude. Il est possible que les voyages d'une journée au casino rencontrent mieux les besoins de cette catégorie de joueurs.»
«La majorité des participants utilisent le service d'autobus parce que c'est divertissant, plusieurs mentionnent qu'ils le font pour oublier leur problème, rencontrer des gens ou rompre la solitude.»
«L'ennui et le désir de fuir les tracas quotidiens sont les raisons le plus souvent invoquées par les femmes pour jouer. Ces facteurs peuvent prédisposer au jeu pathologique.»
(source : canoe.com/Caroline Roy)