Près de dix années durant, Jean-Philippe Bryk s'est rendu, chaque jour que faisait le démon du jeu, au casino du Grand Café à vichy (Allier). Entre 1995 et 2004, les machines à sous de cet établissement de jeu ont englouti près de 600 000 euros puisés dans le porte-monnaie de cet accro en quête de jackpot. Aujourd'hui, complètement ruiné, sa vie "cassée", M. Bryk assigne la société Casino du Grand Café devant le tribunal de grande instance de Cusset (Allier), qui examinera cette affaire en audience civile lundi 14 novembre à 14 heures.
"M. Bryk a joué et il a perdu, il n'y a rien de répréhensible au regard de la loi", se défend Patrick Partouche, représentant de la société des casinos Partouche, propriétaire de 50 établissements de jeu en France, dont celui du Grand Café à vichy. Une repartie imparable que M. Bryk ne dément pas : "Je suis entré de mon plein gré, personne ne m'a forcé." "Mais je ne savais pas que le jeu pouvait être une maladie", ajoute-t-il tout en dénonçant la société des casinos qui, selon lui, a "tout fait pour (le) droguer". Car, M. Bryk en est désormais convaincu, la fréquentation des casinos et des "bandits manchots" s'apparente à une pathologie dont l'industrie du jeu profite, "comme un dealer le fait d'un toxicomane". Pour cet ancien mécanicien de 44 ans, le casino a failli en ne l'informant pas des risques de dérives et d'accoutumance, abusant "de sa faiblesse et de sa vulnérabilité".
Tout avait pourtant bien commencé pour lui. Au printemps 1995, il pénètre une première fois dans l'enceinte du casino du Grand Café. Il se dirige immédiatement vers les machines à sous et a "la malchance de gagner 10 000 francs" (1 500 euros). Enthousiasmé, M. Bryk, qui, à cette époque vient d'ouvrir un garage de vente et de réparation d'automobiles à Cusset, se prend au jeu. Une semaine plus tard la baraka sourit à ce nouvel adepte : il empoche 100 000 francs (15 000 euros). Les mois s'écoulent et la passion du jeu le saisit au point de "présenter un caractère obsessionnel", selon son avocat Me Gilles-Jean Portejoie. M. Bryk délaisse son garage, s'éternise devant les machines à sous, perd de l'argent. Pour compenser ces pertes de plus en plus lourdes, et surtout pour continuer de jouer, il emprunte des sommes à des amis, contracte un crédit auprès de sa banque.
Au Grand Café, le personnel le connaît et continue de lui réserver le meilleur accueil. Consommations, repas et autres prestations lui sont offertes. "Nous sommes des commerçants et avons pour habitude de bien traiter nos bons clients. Nous faisons notre métier", explique M. Partouche. Lorsque M. Bryk laisse des chèques en bois, la société du Grand Café ne s'en émeut pas. Au contraire. Elle accorde à ce consommateur impénitent un statut de VIP, avec facilités de caisse à la clé. "En deux ans, en 1997 et 1998, j'ai fait 30 000 francs (4 500 euros) de chèques sans provision. Le casino n'a rien dit. Il a simplement attendu que j'alimente mon compte, avant de représenter les chèques à ma banque."
A ce moment, M. Bryk dépense en moyenne 5 000 euros par jour pour assouvir sa passion. Il n'entend plus ses proches qui tentent de le raisonner. Un soir, il menace sa femme qui refuse de lui donner de l'argent et lui met un couteau sous la gorge. Se faire interdire d'établissements de jeu auprès du ministère de l'intérieur comme certains joueurs le font, n'aurait selon lui rien empêché : "Je ne fréquentais que les salles de machines à sous qui ne sont pas soumises à des contrôles d'identité."
Pour M. Partouche, la démarche judiciaire de M. Bryk est "intellectuellement malhonnête", car s'il avait gagné "il n'aurait fait aucun reproche". Sevré depuis une dizaine de mois de cette "véritable addiction", M. Bryk assure ne pas chercher "à récupérer son pognon". Il se rêve en "porte-parole des piégés du jeu". Et dénonce le slogan promotionnel des casinos fatals : "Venez à vichy faire une cure de jackpot."
(source : lemonde.fr/Yves Bordenave)