Campione, village italien perdu dans les terres suisses, est un havre pour les grandes fortunes milanaises... et les autres.
S'il n'y avait pas l'inscription « Campione d'Italia » sur l'arche en pierre marquant l'entrée dans le village, le visiteur ignorerait qu'il quitte le territoire suisse pour l'Union européenne. Coincée entre le lac de Lugano et la montagne, Campione est une anomalie, une minuscule enclave italienne de 2 kilomètres sur 800 mètres à l'intérieur de la Confédération helvétique. Il n'y a pas de douane, les 3 000 Campionais utilisent le franc suisse, et même les policiers italiens circulent dans des automobiles immatriculées en suisse.
La principale spécialité de ce caillou inconnu est d'être un paradis fiscal. Campione vit exclusivement de son casino, le plus important d'Italie, installé à quarante-cinq minutes de Milan. L'enclave italienne a même demandé au célèbre architecte Mario Botta de lui édifier une maison de jeux pharaonique, pour accueillir chaque année un demi-million d'adeptes de la roulette, du black jack ou du chemin de fer. Coût des travaux, achevés normalement en 2005 : 100 millions d'euros.
Le non à Mussolini
Campione est entrée dans l'Histoire en 777, lorsqu'un riche marchand lombard cède ses oliviers et ses vignes au monastère milanais de Saint- Ambroise. Une donation confirmée par Charlemagne en 790. Résultat : quelques siècles plus tard, ce bout de terre ne rejoindra pas la suisse comme le reste du Tessin en 1512. Depuis, les suisses n'ont pas ménagé leur peine pour annexer ce minuscule village, qui comptait moins de 300 âmes au siècle dernier. En vain. Campione a su tirer avantage de sa curieuse situation géographique (elle n'est qu'à une quinzaine de kilomètres de la frontière italienne). Ainsi, en 1944, protégée par la neutralité suisse, elle fut la seule commune de l'Italie du Nord à refuser la République sociale italienne de Mussolini.
Tirant profit de cette situation peu commune, les Campionais bénéficient, aujourd'hui, d'une incroyable mansuétude fiscale. Pas d'impôts locaux, pas de taxes, et la quasi-obligation d'ouvrir des comptes en suisse, protégés par le secret bancaire, et donc hermétiques au fisc italien. « Seule difficulté pour s'y installer, les autorités sont tatillonnes avant de vous accorder un permis de séjour. Pour éviter d'accueillir des résidents fictifs, pendant deux mois elles contrôlent votre présence jour et nuit », souligne l'un des rares Français installés dans l'enclave. En revanche, un demi-millier de riches Allemands se sont établis à Campione. Quelques Russes fortunés commencent également à lorgner ce paradis fiscal italien. En novembre 2001, perquisitionnant dans les locaux de la société Al-Taqwa, à Lugano, soupçonnée de financer l'organisation d'Oussama ben Laden, les policiers suisses avaient été contraints de demander l'aide de leurs collègues italiens. Youssef Mustafa Nada et Ali Ghaleb Himat, deux des dirigeants d'Al-Taqwa, occupaient deux des plus belles villas de Campione, avec vue panoramique sur le lac.
Toute la vie de la bourgade tourne autour du casino municipal. « La légende dit que le fichier des joueurs pourrait, s'il était publié, faire sauter le nord de l'Italie », jure l'avocat Edouard Chambost, auteur d'un « Guide des paradis fiscaux ». Avec un chiffre d'affaires estimé à 120 millions d'euros, le casino de Campione serait le plus prospère de la péninsule, loin devant ceux de San Remo et de Venise. Il a été le premier à accueillir des machines à sous.
Longtemps hostile aux maisons de jeu, la suisse s'est décidée l'année dernière à accorder 21 concessions de casino sur son territoire. L'enclave italienne aura bientôt trois rivaux directs, installés à Lugano, Mendrisio et Muralto, dans le canton du Tessin. « Mais on ne concurrence pas Campione ! » lâche avec un sourire Marco Mariotti, responsable du marketing, faisant allusion aux deux dernières nouveautés : « Ils ne proposeront pas, comme nous, le Video Poker et le Royal Ascot ! »
(source : lepoint.fr/Ian Hamel)