Nuit de flambe au casino de Monte-Carlo
Des jetons comme des plaques d'immatriculation
Tapis rouge avant le tapis vert. Sous les ors du Casino de Monte-Carlo, écrasé par la majesté Belle-Epoque de la salle des jeux délicieusement rococo qui trône entre Hôtel et Café de Paris, je flambe un peu. Mon petit-neveu dirait que « Je me la pète ». Il aurait juste. Ma nuit au casino, je ne la vivrai pas Groucho. Mais plutôt fiérot surtout lorsque, cérémonieusement, le caissier me tend quelques dizaines de jetons qui, bout à bout, font cinq milliers d'euros.
Prêt sans gage ! Quoi qu'il arrive mon carrosse redeviendra citrouille. Si je devais gagner, je reverserais tout à une association humanitaire monégasque, et si je devais tout perdre, le casino récupérerait sa mise. L'essentiel, c'est de participer. Mon smoking spécial Festival de cannes fait donc un extra. Juste pour le chic... Dans mes souliers vernis, je jure pourtant un peu. On m'avait prévenu : l'habit ne fait plus le flambeur. Seul à une table privée, un quadra en polo joue d'ailleurs un black-jack serré à grands coups de jetons de 1 000 €. La flambe peut donc se vivre en sportswear. Même ici à Monaco.
Surtout lorsqu'on est Russe ? Pas nécessairement. Même si mon black-jackeur à manches courtes est slave en diable. Un parmi tant d'autres ? Manifestement. Du baccara à la roulette française, ça parle surtout russe. Et les jetons de 200 000 €, gros comme des plaques d'immatriculation rougeoyantes, se jettent sur des numéros à cheval comme on achète, comptant, une baguette de pain. Si tu es slave ce soir, tu nettoies le tapis vert.
J'aurais voulu être Rain Man
Avec mes petits milliers d'euros, je fais un peu flambe d'en-bas. Mon pactole d'ailleurs s'étiole. La roulette me fait tourner bourrique. Le 21 me fuit et le black-jack est un gouffre sans fond.
Alain Bernardi, le directeur des Casinos, tente de me consoler. « Nul n'est à l'abri de la loi des séries. Le casino pas moins que les joueurs. La semaine dernière, un de nos clients est reparti avec un gain de 1 million d'euros, soit plus de 20 fois plus sa surface traditionnelle de jeu. » Mais rien n'y fait.
Coude à coude avec un veinard milanais qui, lui, érige des buildings de jetons sur le tapis de black-jack, je peste contre la génétique. J'aurais tant voulu être un Dustin Hoffman, façon Rain Man : un disque dur ambulant dont le cerveau turbo peut enregistrer comme on apprend une comptine chacune des trois cents cartes que le croupier sort de son sabot. Fantasme ? Pas le moins du monde. Aux Etats-Unis, le Griffin, sorte de FBI de la triche, piste ces compteurs fous, les fiche, les traque partout dans le monde et, de Las Vegas à Atlanta, les interdit de casino. Mais pas ici. Fair-play monégasque sans doute, les « compteurs de génie » ne sont pas inquiétés.
La triche, à Monte-Carlo, se paie pourtant comptant. Dans les années cinquante, les physionomistes du Casino avaient ordre de refouler tous les joueurs de Casale Monferrato. Pourquoi cet acharnement contre les flambeurs de ce coin perdu du Piémont ? « Parce que ce petit village abritait une vraie école de tricheurs, particulièrement renommée », se souvient Alain Bernardi. Depuis la petite université de l'embrouille a tiré le rideau, mais la vigilance est toujours de mise. Le goudron et les plumes sont toujours prêts. Et M.F., avec son jeton de 1 000 € amovible au bout d'un fil en Nylon invisible, l'a appris à ses dépens. Aussitôt démasqué au début du mois, aussitôt interpellé, aussitôt jugé, il purge déjà ses trois mois ferme dans les geôles monégasques.
Il est deux heures du mat'. Une limousine me descend au Sporting. Migration de la dernière chance. Place du Casino, c'est le fantôme de Winston Churchill qui semblait planer sous les ors et les plafonds à caisson de la salle des jeux historique. Ici, en revanche, sous les néons psychédéliques du Casino d'été, on s'attend à tout moment à croiser James Bond, époque Sean Connery contre le Spectre. Brouhaha de jetons qui cliquettent sur les tapis verts, de coupes de champagne qui « tchin-tchinent » et de disco qui pulse en contrebas depuis le dancefloor du Jimmy'z. Il se murmure qu'un prince arabe est en train de perdre des fortunes dans un salon privé...
La chance qui le fuit me sourira-t-elle cette fois ? Deux jetons. Tout sur le 28. Le « rien ne va plus » du croupier semble ne résonner que pour moi. La boule s'arrête sur le 12.... mais tout va pourtant si bien. En douce, j'ai ôté mon noeud pap'. La tête me tourne. Gagnant ou perdant, le cocktail d'adrénaline, de glamour et de toutes ses légendes sur tapis vert que j'ai glanées de-ci, de-là est envoûtant. Voire tout simplement hallucinant. Une dernière coupe de champagne sur la terrasse. La pleine lune ne m'a pas porté chance. Elle illumine pourtant le « Pélorus » qui mouille à quelques brasses du Sporting. Le paquebot perso de Roman Abramovich qui flamboie de mille spots semble faire la nique au patron monégasque des jeux. L'homme qui, sans sourciller, est capable de mettre 38 millions d'euros cash sur le tapis vert du foot pour s'offrir Michaël Essien n'est en effet pas joueur. Mauvaise pioche pour Alain Bernardi ? « Vous voyez bien : on ne gagne jamais à tous les coups ! »
Quand rien ne va plus, les jeux ne sont pas toujours faits
(source : nicematin.fr/Roubaud Jean-François / CHAVAROCHE)