L'OMC donne onze mois aux Américains pour autoriser les casinos en ligne basés sur l'archipel des Antilles.
Compte à rebours déclenché. Les Etats-Unis ont onze mois, et non quinze comme ils le souhaitaient, pour mettre en conformité leur législation sur les jeux et paris en ligne. Et permettre, légalement, à des parieurs américains de flamber des dollars sur le Net dans des casinos virtuels situés à l'étranger, notamment dans des paradis fiscaux où toutes les grandes firmes de paris ont placé des billes. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a rendu vendredi sa décision. Si, à compter du 3 avril 2006, Washington n'a pas levé certaines restrictions au jeu et aux paris sur le Net, Antigua-et-Barbuda, petit archipel (442 km2) des Caraïbes, peuplé de 68 000 habitants, sera en droit de demander des rétorsions financières. Enième épisode d'un conflit entamé il y a deux ans...
Concurrence. Tout commence en mars 2003. Antigua, qui tente depuis cinq ans de trouver un compromis avec les Etats-Unis, porte plainte contre eux devant l'OMC. Le paradis fiscal dénonce plusieurs lois, fédérales (sur les courses de chevaux) ou étatiques (Louisiane, Utah, Massachusetts, ou Dakota-du-Sud) contraire... au fameux AGCS, l'accord général sur le commerce des services. Signé en 1995, lors de la création de l'OMC, il vise à mettre en concurrence les services entre pays. Or, Saint John's, la capitale d'Antigua, ne table alors plus uniquement sur le tourisme ; et, sur les conseils de la Banque mondiale, tente de se diversifier. Via des casinos en ligne, où près de 3 000 personnes travaillent. Le 10 novembre 2004, un jugement de première instance donne raison à Antigua. Motif : certaines mesures de protection, fussent-elles motivées, comme l'assure Washington, par la protection «contre le crime organisé et le blanchiment d'argent», constituent des barrières douanières. Répréhensibles, selon le credo libre-échangiste de l'OMC. Les Etats-Unis ne décolèrent pas.
Avril 2005. Dans un jugement d'appel, l'OMC nuance sa position. Le gendarme du commerce mondial reconnaît bien que les Etats-Unis ont démontré que leur législation était «nécessaire à la protection de la moralité publique ou au maintien de l'ordre public». Mais le pays doit modifier ses lois sur certains points, notamment les courses de chevaux.
Foudres. Le business des paris en ligne applaudit la décision. Jusqu'alors, craignant les foudres du ministère de la Justice américain, des moteurs de recherches comme Google, Yahoo, n'acceptaient pas de pubs pour les paris en ligne de firmes basées à Antigua. Des sociétés de cartes de crédit comme Visa ou MasterCard se fermaient aux transactions sur le jeu en ligne. Des Banques comme Bank of America ou Citibank se tenaient à l'écart de tout business avec Antigua. Laquelle, qui n'avait même pas un ambassadeur à Genève, siège de l'OMC, n'a pas traîné pour rejouer un remake de David contre Goliath. «Une importante victoire pour le plus petit Etat membre de l'OMC qui a infligé une défaite aux Etats-Unis», se félicitait en avril Mark Mendel, l'avocat de l'île des Antilles.
L'économie d'Antigua représente à peine 0,007 % de l'économie américaine. Et la décision de l'OMC n'est pas vraiment de nature à ruiner le géant américain. Mais l'industrie du jeu en ligne s'annonce florissante. Estimée à 10 milliards de dollars cette année, elle en pèsera des dizaines d'ici à 2010. Et l'île, membre du Commonwealth, a reçu l'appui du Royaume-Uni. Un rapport du gouvernement britannique épinglait en 2003 la position américaine, notant qu'«en dépit de l'apparente illégalité des paris transfrontaliers les Etats-Unis ont plus de parieurs en ligne que partout ailleurs dans le monde».
Les partisans d'Antigua rappellent que seul le puritanisme peut expliquer le tir de barrages de Washington. «Car, que je sache, n'importe quel Américain a un casino à moins de deux heures de chez lui», affirme Mark Mendel, casinos localisés dans certaines zones (Las Vegas, Reno, atlantic City) mais aussi dans des enclaves indiennes ou sur des bateaux. La décision de l'OMC annonce de chauds débats aux Etats-Unis. «Les paris sur l'Internet magnifient le côté destructeur du jeu en faisant rentrer les casinos dans vos maisons», s'est ainsi emporté Spencer Bachus, un député républicain d'Alabama.
(source : liberation.fr/Christian LOSSON)