L'un est chef de table dans l'un des tout premiers casinos français, où il émarge à 2 300 euros mensuels. L'autre, délégué syndical CGT et employé dans une salle de machines à sous au casino (Accor) de Saint-Raphaël, où il gagne 1 340 euros brut mensuels, plus un treizième mois et une participation au bénéfice équivalente à deux mois de salaire. Deux métiers différents, deux témoignages sur leurs conditions de travail.
Cyril Saragaglia, 29 ans
Technicien MAS et syndicaliste CGT
«Les gens sont payés une poignée de figues»
«Mon travail consiste à dépanner les machines à sous, à les remplir quand elles sont vides, c'est-à-dire quand les gens ont gagné. En salle, on est toujours suivi par un membre du comité de direction, en permanence, dès que le casino est ouvert. Dans une salle de 158 machines, il faut porter des seaux avec des milliers de jetons, les installer dans des machines ou sur des chariots, les peser, les remettre dans les chariots... Tous les anciens de la pesée, ceux qui ont pratiqué pendant plusieurs années, ont des problèmes de genoux, de dos et des hernies. Et le bruit est infernal. En pic d'exploitation, vous avez de la musique dans les salles, la musique des machines, le bruit des jetons qui tombent, les machines, les compteuses en caisse, plus le brouhaha des gens. C'est pesant. Au Croisette, à Cannes, les employés des machines ont des filtres dans les oreilles... Je travaille de 7 à 14 heures, de 14 à 21 heures, ou de 21 heures à 4 ou 5 heures du matin. J'ai de plus en plus de mal à m'adapter à ces rythmes découpés. Par ailleurs, c'est quelquefois très tendu entre les clients, ou entre les clients et les salariés. Certains clients, quand ils perdent, deviennent très agressifs et tapent sur les machines. Mais les machines à sous sont faciles à exploiter, rentables et durent des années. De l'autre côté, à la roulette française, il faut un croupier qualifié, ce qui nécessite une formation de plusieurs années, alors même qu'on ne sait pas si le client va faire perdre le casino. Dans les salles de machines à sous, la moyenne d'âge est de 20 à 25 ans ; les gens sont payés une poignée de figues. Mais ils ne sont pas trop mobilisés en vue de la grève.»
Laurent, 38 ans
Chef de table (1)
«Ça va devenir comme chez McDo»
«La base des rémunérations, ce sont les clients qui gagnent, sont contents, et donnent des pourboires. Ceux-ci sont partagés selon un ratio précis entre croupiers, chefs de table et chefs de partie. Mais, depuis quelques années, les pourboires ne suffisent plus à payer les salaires. Depuis l'euro, j'ai perdu 25 % de ma rémunération. Les clients allant de plus en plus aux machines à sous, les fréquentations des salles de jeux traditionnels sont inquiétantes. Mon travail, c'est de surveiller le bon paiement des jeux, qu'il n'y ait pas de tricherie, pas d'erreur, que le client soit content. Et qu'on lui offre à boire. En fait, les chefs de table surveillent les croupiers, les chefs de partie surveillent les chefs de table, bref tout le monde surveille tout le monde, et, après, la vidéo surveille tout ça. Je travaille le week-end, les fêtes, et je finis souvent à 4 heures du matin. Je ne suis pas syndiqué, mais je trouve positif que tout le monde se mobilise. Si on ne fait rien, la situation des casinos va empirer. Il n'y a plus de professionnalisme, ça devient un travail d'étudiant. Ça va devenir comme chez McDo, avec des jeunes formés à la va-vite qui, au bout de quelques mois, feront autre chose. C'est un boulot passionnant, qui fait qu'on est prêt à sacrifier une vie de famille. Et les patrons sont en train d'en faire un travail de merde.»
(1) Le prénom a été modifié.
(source : liberation.fr/D'ALLONNES David REVAULT)