Vu la procédure suivante :
La société du Grand Casino de Dinant a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation lancée par la commune de Berck-sur-Mer pour l'attribution d'une concession ayant pour objet la gestion et l'exploitation du casino.
Par une ordonnance n° 2502084 du 25 mars 2025, le juge des référés a fait droit à cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 et 18 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Berck-sur-Mer demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la société du Grand Casino de Dinant la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la commune de Berck-sur-Mer et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société du Grand Casino de Dinant, à la SCP Fabiani, Pinatel, avocat de la société Jean Metz
et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Groupe Partouche ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commune de Berck-sur-Mer a cédé en 1997 son ancienne gare routière à la société Groupe Partouche afin qu'elle soit transformée en un bâtiment ayant vocation à accueillir un casino. La société Jean Metz, dont la société Groupe Partouche détenait alors 99% des parts avant d'en devenir l'unique actionnaire en 2004, s'est alors vu attribuer par la commune de Berck-sur-Mer la concession relative à l'exploitation de son casino et des services associés et a conclu, avec la société Groupe Partouche, un bail commercial tacitement reconduit dont les stipulations prévoient expressément que l'activité exercée dans le bâtiment est l'exploitation d'un casino et des services associés. La concession a été renouvelée au profit de la société Jean Metz par un contrat conclu le 30 septembre 2005. Par un avis d'appel public à la concurrence du 9 décembre 2024, la commune de Berck-sur-Mer a lancé une consultation en vue du renouvellement de cette concession. La société du Grand Casino de Dinant a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler cette procédure. Par une ordonnance du 25 mars 2025, contre laquelle la commune de Berck-sur-Mer se pourvoit en cassation, le juge des référés a fait droit à cette demande.
Sur les interventions des sociétés Jean Metz et Groupe Partouche :
2. Les sociétés Jean Metz et Groupe Partouche justifient, eu égard à l'objet et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance au soutien des conclusions présentées par la commune de Berck-sur-Mer. Ainsi, leurs interventions sont recevables.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
3. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que l'article 6.2 du règlement de la consultation imposait aux candidats de disposer, à la date de remise des offres, soit dans un délai de deux mois, d'un titre de propriété du bâtiment devant abriter l'activité d'exploitation de casino au nom du concessionnaire ou d'un contrat d'occupation conclu avec un tiers propriétaire ainsi que des documents certifiant la conformité du bâtiment à la réglementation " établissement recevant du public " (ERP) et à l'ensemble des normes de sécurité applicables. Pour juger qu'en fixant cette condition l'autorité concédante avait méconnu le principe d'égalité entre les candidats, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a relevé que non seulement elle était pratiquement impossible à satisfaire pour les candidats autres que la société Jean Metz, titulaire sortant disposant, grâce au bail commercial que lui a consenti la société Groupe Partouche qui détient l'intégralité de son capital, de la jouissance du bâtiment qui abrite le casino mais aussi qu'elle n'était pas nécessaire à l'attribution de la concession dès lors que, le bâtiment abritant actuellement le casino devant lui faire retour en application des principes régissant les biens nécessaires à l'exécution des services publics concédés, il appartenait à la commune de prévoir, dans la nouvelle convention, que ce bâtiment resterait le lieu d'exercice de l'activité à concéder.
4. La société Jean Metz soutient, en premier lieu, que le juge des référés aurait commis une erreur de droit en jugeant que le bâtiment abritant le casino devait faire retour à la commune au terme de la convention, alors que ce bien immobilier appartient à la société Groupe Partouche qui est tiers au contrat de concession.
5. Dans le cadre d'une concession de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique. Le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d'une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s'opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée.
6. A l'expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l'exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu'elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public. Le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d'une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession.
7. Lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu'ils n'ont pu être totalement amortis, soit en raison d'une durée du contrat inférieure à la durée de l'amortissement de ces biens, soit en raison d'une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus.
8. Les règles énoncées ci-dessus trouvent également à s'appliquer lorsque le cocontractant de l'administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu'il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci. Une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions énoncées au point 5. Elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l'expiration de la convention, dans les conditions énoncées au point 6. Les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l'équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l'acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n'en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique.
9. Si les règles énoncées ci-dessus ne trouvent pas à s'appliquer aux biens qui sont la propriété d'un tiers au contrat de concession, quand bien même ils seraient affectés au fonctionnement du service public et nécessaires à celui-ci, il en va différemment dans le cas où, d'une part, il existe des liens étroits entre les actionnaires ou les dirigeants du propriétaire du bien et du concessionnaire, lesquels permettent de regarder l'un comme exerçant une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de l'autre ou de regarder l'un et l'autre comme étant placé sous le contrôle d'une même entreprise tierce et, d'autre part, le bien, exclusivement destiné à l'exécution du contrat de concession, a été mis par son propriétaire à la disposition du concessionnaire pour cette exécution. Dans un tel cas, le propriétaire du bien doit être regardé comme ayant consenti à ce que l'affectation du bien au fonctionnement du service public emporte son transfert dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions précédemment énoncées.
10. Il ressort des énonciations, non contestées sur ce point, de l'ordonnance attaquée que le bâtiment abritant actuellement le casino est la propriété de la société Groupe Partouche, qui l'a acquis auprès de la commune en vue de l'aménager pour pouvoir exploiter le futur casino et qui le loue à la société Jean Metz, dont elle détient l'intégralité du capital, par l'effet d'un bail commercial dont les stipulations prévoient expressément que l'activité exercée dans le bâtiment est l'exploitation d'un casino et des services associés. Dans ces conditions, en retenant que la circonstance que le bâtiment du casino n'était pas la propriété du concessionnaire ne faisait pas obstacle à ce qu'il fasse retour à la commune au terme de la convention, le juge des référés n'a pas méconnu les principes énoncés aux points précédents.
11. En deuxième lieu, si les jeux de casino ne constituent pas, par eux-mêmes, une activité de service public, la convention conclue pour leur installation et leur exploitation a pour objet, compte tenu des obligations imposées au cocontractant quant à, notamment, la prise en charge du financement d'infrastructures et de missions d'intérêt général en matière de développement économique, culturel et touristique et des conditions de sa rémunération substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation, de confier à ce cocontractant l'exécution d'un service public. Par suite, les biens nécessaires au fonctionnement du service public ainsi confié au cocontractant, alors même que des jeux de casino y sont installés, constituent des biens de retour et appartiennent à la personne publique contractante.
12. Au cas présent, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le bâtiment litigieux a été spécialement aménagé en vue d'y accueillir l'activité de casino et les services connexes prévus par le contrat de concession. Contrairement à ce que soutient la commune requérante, en jugeant, ainsi que cela ressort des motifs de l'ordonnance attaquée, que ce bâtiment était nécessaire au fonctionnement du service public, le juge des référés a exactement qualifié les faits de l'espèce.
13. En troisième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont nouveaux en cassation et, par suite, inopérants.
14. En quatrième lieu, en retenant, d'une part, que l'article 6.2 du règlement de la consultation imposait aux candidats de disposer, à la date de remise des offres, d'un titre de propriété ou d'un contrat d'occupation et, d'autre part, que, compte tenu de la taille de la commune de Berck-sur-Mer, le délai de deux mois dont disposaient les candidats pour remettre une offre, impliquant qu'ils aient pu, dans ce délai, négocier l'achat ou l'occupation d'un bâtiment en mesure d'accueillir l'activité de casino, était insuffisant, pour en déduire que la commune avait méconnu l'égalité de traitement entre les candidats en procurant un avantage à la société Jean Metz, laquelle avait, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, effectivement déposé une offre dans les délais, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier. Il n'a pas non plus inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'un tel manquement était susceptible d'avoir lésé la société du Grand Casino de Dinant, qui a été dissuadée de présenter sa candidature du fait de ce manquement, alors même qu'il s'agissait de la troisième procédure conduite en vue du renouvellement de la concession et que la première avait été engagée près de deux ans auparavant.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la commune de Berck-sur-Mer doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que celles présentées, au même titre, par la société Jean Metz. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, à ce titre, à la charge de la commune de Berck-sur-Mer une somme de 3 000 euros à verser à la société du Grand Casino de Dinant.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la société Jean Metz et de la société Groupe Partouche sont admises.
Article 2 : Le pourvoi de la commune de Berck-sur-Mer est rejeté.
Article 3 : La commune de Berck-sur-Mer versera à la société du Grand Casino de Dinant une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la société Jean Metz au titre de ce même article sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Berck-sur-Mer, à la société du Grand Casino de Dinant, à la société Jean Metz et à la société Groupe Partouche.
Conseil d'État - Décision n° 503317