Après de longs mois d’incertitude, la ville de Thonon vient enfin de désigner le délégataire qui aura la chance de construire et d’exploiter son futur établissement de jeux, dont la vocation est à la fois de dynamiser le cœur de la cité et, surtout, lui procurer des ressources nouvelles. Une version de « l’argent n’a pas d’odeur » qui incommode les narines de l’opposition.
La ville de Thonon a-t-elle misé trop gros en voulant s’équiper d’un casino, à une petite dizaine de kilomètres de celui d’Évian et une trentaine d’Annemasse ? C’est en tout cas l’opinion unanime des oppositions municipales, pour lesquelles, « c’est une ineptie totale, en contradiction avec les besoins d’une ville moyenne ». L’opposant de droite Franck Dalibard s’étonnera à, ce propos, que la ville n’ait rien trouvé « de nouveau pour le vivre ensemble à Thonon que de transformer la ville en un Las Vegas miniature et laisser les gens aller dépenser leur argent. Tant pis pour l’éducation et la santé » ! Et celui-ci d’abonder dans la démarche municipale en proposant « d’installer des machines à sous dans les écoles et l’hôpital ».
Plaisanterie à part, c’est au tour de la représentante de la gauche, Sophie Parra d’Andert de s’étonner de voir « une infrastructure premium dans un endroit coincé entre la route et la voie ferrée », alors même que « cet endroit devrait être gardé comme réserve foncière pour les projets de mobilité à venir ». Un argument aussitôt balayé par le maire, Christophe Arminjon. Lequel « assume le choix de l’emplacement : un site en cœur de ville, accessible de partout, à côté d’un parking et offrant une topographie avantageuse ». Quant aux réserves foncières pour les futurs déplacements, « elles sont inscrites dans le SCoT (schéma de cohérence territorial) et le PLUi. Elles existent et seront préservées ».
Pas de quoi convaincre l’opposante, pour qui « vous implantez l’industrie du jeu au cœur du système éducatif, à proximité de plusieurs établissements scolaires ». Mais qu’importe, du temps que « les règles vis-à-vis des établissements scolaires sont respectées », répondra le maire.
La socialiste renvoie alors la balle sur « l’argument moral, le problème addictif. Selon les études, ce sont les jeunes issus des milieux défavorisés qui rêvent de devenir riches qui sont le plus addictes de ce système prédatif ». Et de questionner : « Quelle est la ville que vous voulez ? Celle où règne de l’argent, du marketing agressif ? On veut une ville durable, pas du greenwashing pour le pognon. »
Dehors, une grande manifestation d’une quinzaine de personnes brandissait des pancartes « non au casino », rêvant de faire subir au projet Thononais le même sort que feu le vélodrome Arena 74.
Un ÉQUIPEMEnT « RESPOnSABLE »
Mais à l’intérieur de la salle du conseil municipal, ce sont plutôt le scintillement des paillettes et la douce musique de la monnaie sonnante et trébuchante qui parvenait aux yeux et aux oreilles de la majorité municipale, hypnotisée par la longue introduction du maire et la présentation vidéo du futur ouvrage par le consortium Golden Palace-Spie Batignolles « European amusement », candidat gagnant de la DSP (délégation de service public) chargé de la réalisation de l’équipement. Un véritable chef-d’œuvre d’architecture dont la vocation est de reconvertir la friche SnCF à cet endroit et de mutualiser le parking de la gare, qui servira enfin à quelque chose. Délicatement lové derrière « une double peau de micro-perforations » alternée de grandes baies vitrées pour « inviter à rentrer dans l’établissement », le bâtiment devra répondre à la triple vocation du jeu, de la restauration et de l’animation. Il disposera donc d’une salle de machines à sous, d’une brasserie, d’une salle polyvalente d’environ 300 places de concert assises et d’une terrasse réservée à l’événementiel donnant sur une salle couverte équipée « traiteur » de 200 à 250 couverts pour les banquets et les mariages. Le tout, sur une emprise au sol d’« environ 2 000 m2, à quelques centaines de mètres près (sic) ». Il y aura « même un terrain de pétanque ». Ô bonne mère, quel pastis !
Et comme le veut le discours désormais bien rodé des bétonneurs, celui-ci agit dans une « démarche environnementale » avec une « construction passive, pour une réduction au maximum des dépenses en énergie ». Ce sera même « le premier établissement de jeu réalisé avec des caissons de bois et de la paille locale ». Bref, un bâtiment qui vit « avec son temps, responsable ». Si ça, ce n’est pas éthique !
LE JACKPOT
Pour Christophe Arminjon, l’ambition est multiple. Tout d’abord, « renforcer notre positionnement de station touristique », puis « dynamiser l’attractivité de la ville », notamment en apportant de la « vitalité commerciale », « résorber une friche urbaine » mais surtout, de générer des « ressources nouvelles » pour la commune. Laquelle rêve déjà du jackpot. Selon la DSP, la ville n’aura rien d’autre à mettre au pot que le terrain, sous forme de bail. Ce sera au délégataire de financer la construction du bâtiment, pour une ouverture prévue en février 2027. Après quoi, il devra s’acquitter d’une redevance fixe de 170 000 euros par an, à laquelle s’ajoutera une contribution de 2,5 % du chiffre d’affaires des activités autres que le jeu, sans oublier le reversement par l’État de 10 % de la taxe sur les jeux. Le tout accompagné d’une enveloppe de 300 000 euros par an pour la « contribution d’animations artistiques de qualité ». Soit, à la louche, une rentrée cumulée pour la ville de 2,5 millions d’euros par an pendant les 20 ans de la DSP. Après quoi, la commune deviendra propriétaire du bâtiment et pourra relancer une nouvelle DSP. Et ainsi de suite. Champagne !
En clair, la ville a fait le choix pour financer ses ambitions : « Soit peser sur le contribuable, soit en développant l’économie. Cet argent permettra de répondre encore plus aux besoins des Thononais. » Lesquels « ne sont pas des Chablaisiens de seconde zone par rapport aux Évianais ». À se demander pourquoi le pays n’est-il pas couvert de casinos ?
Enfin, concernant l’argument moral soulevé par son opposition, Christophe Arminjon estimera pour sa part que « c’est faire offense à la responsabilité de nos citoyens que de considérer qu’il faut les empêcher de jouer pour ne pas tomber dans l’addiction. Ils sont libres de choisir ». Un plaidoyer d’autant plus crédible qu’il émane d’un maire dont la première décision a été de doubler la police municipale, de l’équiper d’une Zoé LAPI pour traquer les irresponsables qui ne paient pas leur stationnement et de truffer la ville de caméras et de radars. Tout un joyeux attirail repressif dont la vocation est, à l’évidence, de ne pas « offenser la responsabilité de nos citoyens »
(source : lefaucig
ny.fr/Serge Coste)