Vingt ans de poker, à jouer seul contre une machine à sous, pour l’appât du gain et deux gros jackpots. David (un prénom d’emprunt), Perpignanais âgé de 66 ans, cheminot à la retraite, a accepté de raconter son parcours de joueur invétéré. Un miseur masqué. Audacieux, compétiteur, concentré. Shooté à l’adrénaline.
David, comme personne, n’est né joueur. Il est tombé dedans par hasard, à la quarantaine, un soir d’anniversaire au Boulou. "Après le restaurant, on est passé au casino", raconte-t-il, en riant. L’époque était aux jetons. David en reçoit "un petit seau", en cadeau de bienvenue. Le Catalan avance à tâtons. Pris entre le son des machines à sous, le bruit de l’argent qui ruisselle et les lumières qui flashent, "j’étais complètement perdu."
Vegas ou macao ? Non, le Boulou et Canet
David s’imagine à Vegas ou macao. Les yeux pétillants d’espoir, "je me suis assis devant une machine à rouleaux qui faisait tilter des citrons." Juteux, peut-être ? En tout cas, le voilà accro au manche qu’il baisse et remonte en vain. Soudain, surprise. "C’est gagnéééééé !", claironne une voix électronique. "Je vois les jetons sortir, je les ramasse et, trop content, je passe à la caisse." Il vient de gagner 250 € pour une mise d’1,50 €. L’engrenage pointe ses griffes. Plutôt retenu par sa compagne Josiane, le Catalan revient de temps en temps défier la chance. Puis, la fréquence de ses visites s’accélère. "Je gagnais un peu, ça nous payait les restaurants du week-end." Or, il n’en reste pas là. "Beaucoup de monde, des chefs d’entreprise, des commerçants jouaient gros, très gros, les machines crachaient des tonnes de jetons, ça flambait de tous côtés", se remémore le "petit" joueur qui rapidement ressent l’envie d’imiter les grands. Et, l’habitude s’installe.
Dépendant du plaisir de jouer
David quitte le casino du Boulou pour celui de Canet. "C’est un vrai plaisir de jouer, que je ne fasse rien ou que je gagne, je suis tout excité", s’accoutume le cheminot qui décide de s’essayer au poker. Et adore. Le phénomène Bruel fonctionne à fond. "Je tentais des carrés, des brelans, des fulls voire des royales. J’aime parce que tu peux choisir tes cartes, tu réfléchis, et c’est tout ou rien", s’emballe-t-il en finissant par s’offrir un rond de serviette sur son robot poker de prédilection. Là où il enchaîne les parties et engrange des points sur sa carte VIP. Qui passe du statut d’or à celui de platinium.
En contrepartie, David obtient des repas bonus gratuits au restaurant du casino de Canet. "J’aurais pu y manger tous les jours, midi et soir", confie l’abonné au platinium qui joue désormais son salaire et tous ses gains. Avant d’augmenter la mise. "J’ai provoqué la chance." Résultat, en novembre 2022, il décroche 32 000 €. "C’était beau, j’étais heureux, ma copine m’a dit, "on encaisse et on s’en va". Josiane ignore que les fées et autres bonnes étoiles de David ne le lâcheront pas. Le 15 janvier 2023, "il me sort trois cartes, un roi, un valet et un as. Je choisis de les garder et, bam, je décroche pour la seconde fois en quatre mois le Royal Flush, 32 000 € de plus."
Il empoche 64 000 € au poker en 4 mois
David prend "des sous", il se fait plaisir, s’offre "une BMW flambant neuve". Sans pour autant cesser de ressasser cette petite phrase chuchotée à l’oreille par le directeur du casino. "Attention, tu tapes fort David, tu devrais ralentir la cadence." Renaud Carboneill le prévient, David croit maîtriser. Faux. Cinq mois et quelques pertes plus tard, en juin 2023, il sort du déni et demande à se faire interdire de casino pour trois ans, la durée légale. "Tout est question de gestion. Il ne faut pas se laisser bluffer par le jeu ni la gagne", raisonne-t-il après avoir côtoyé plusieurs potes addicts déprimés ou divorcés. Pire, "un directeur de banque et son épouse ont claqué 600 000 €, ils s’en sont tirés avec une saisie sur salaire", refuse David dépensant, lui, jusqu’à 1 000 € par soirée. Sa différence avec eux, la volonté. "J’aime jouer, je sais que j’y retournerais sûrement un jour, mais poc a poc", prédit-il, profitant aujourd’hui différemment de la vie. "Des fois je regrette, l’adrénaline me manque, mais je me suis mis en sécurité." À la place, David s’est lancé à la pétanque. "N’i a prou, j’allais droit dans le mur, j’ai réagi", se félicite le sexagénaire. Il a payé pour apprendre que la machine donne autant qu’elle reprend, et souvent nettement moins. D’où son nouveau pari ? "Arrêter avant de me retrouver en calçoutet !"
(source : lindependant.fr/Corine Sabouraud)