Véritables locomotives économiques pour les villes qui les accueillent, les casinos et les collectivités concernées craignent qu’un projet de loi ne remette en cause ce fructueux équilibre.
500 millions d’euros. C’est ce que rapporteraient les casinos chaque année aux communes, selon le syndicat Casinos de France (1). Une manne financière importante répartie entre 196 collectivités, communes balnéaires, thermales ou certaines grandes agglomérations de 500 000 habitants. Mais pour combien de temps encore ?
nt class="normal" href="https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-593.html" target="_blank">Le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique pourrait bien rebattre les cartes. C’est en tout cas ce que craignent les acteurs concernés. L’un des objectifs de ce texte, voté par le Sénat au début de l’été, est de créer une nouvelle catégorie de jeux, les Jeux à objets numériques monétisables (Jonum) en ligne. Les casinotiers craignent que les casinos illégaux en ligne ne s’engouffrent dans cette brèche. Tandis que les communes estiment que cette nouvelle concurrence pourrait entraîner le déséquilibre de leur économie locale.
Moteur économique
« La relation entre les villes et les casinos est historique, rappelle Philippe Bon, délégué général de Casinos de France. Le fondement même de ces établissements repose sur nt class="normal" href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006071174/" target="_blank">la loi du 15 juin 1907 dont l’objectif était de contribuer au développement touristique des stations classées. Il existe bien sûr des exceptions, comme Saint-Malo, le Havre ou nice, où la présence d’un casino n’est pas indispensable à leur développement, soit parce qu’elles sont de grandes villes ou qu’elles ont une activité économique importante, mais dans la quasi-totalité des cas, la présence du casino est nécessaire pour répondre aux exigences des stations classées. Si on enlève le casino, l’équilibre est rompu. »
A La Baule, comme à Enghien-les-Bains, ce lien quasi filial se vérifie bien. « Quand Barrière s’enrhume, nous on tousse ! résume Franck Louvrier, maire (LR) de La Baule. En portant un tel texte, le gouvernement ne doit pas oublier qu’il n’est pas seulement question de jeu, mais surtout d’économie touristique. »
Premier employeur privé de cette station balnéaire avec près de 500 emplois, le casino Barrière à La Baule affiche un chiffre d’affaires de 7,2 millions d’euros, dont 1,6 à 1,8 sont reversés à la ville, soit 2,8% du budget.
« Cela peut paraître dérisoire mais c’est conséquent car cela nous confère une forme d’indépendance au moment où l’Etat se défausse », estime l’élu.
En plus de ces recettes, la ville bénéficie des investissements du groupe (deux hôtels, un golf, des restaurants) qui jouent directement sur l’attractivité. « Sans tous ces investissements, nous ne serions pas dans la même dynamique, estime le maire. Par exemple, si nous sommes le camp de base de l’équipe argentine de rugby pendant la coupe du monde, c’est grâce à l’infrastructure hôtelière qui permet à l’équipe et à son staff de séjourner ensemble dans l’un des deux hôtels du groupe. »
Prochainement, une antenne du palais des congrès devrait être installée au-dessus du casino afin d’attirer davantage de tourisme d’affaire. « Tout cela illustre le lien stratégique qui nous unit », souligne Franck Louvrier.
Gagnant-gagnant
« Les municipalités sont les grandes gagnantes dans cette histoire, confirme Jean-Pierre Martigoni, sociologue spécialiste des jeux, rattaché au centre Max Weber de l’université Lyon II. Sans rien faire, ou presque, elles perçoivent des subsides importants. »
Une relation qui met parfois en évidence les ambiguïtés politiques. « Alain Bocquet, maire communiste de Saint-Amand-les-Eaux, où se trouve un casino Partouche, a déclaré être contre les casinos, sauf à Saint-Amand, raconte le sociologue. Ce à quoi Isidore Partouche a répondu qu’il n’aimait pas les communistes, sauf dans les villes où il y a des casinos. Cela résume bien l’affaire… »
Mais entre manne financière et piège budgétaire, la frontière est mince. C’est particulièrement vrai pour les petites communes. A Ouistreham par exemple, les recettes tirées du casino représentent 15% du budget de la ville. A Luc-sur-Mer, c’est un plus d’un tiers du budget global.
Or, la fermeture des casinos pour raison sanitaire pendant la crise du Covid a mis en évidence les risques de la dépendance financière des communes concernées. Avant que l’Etat ne compense les pertes, la chute des recettes s’est répercutée directement sur leurs budgets.
Bénéfice-risque
« En 2020, nous avons eu très peur car c’est tout un pan de l’économique qui pouvait s’effondrer », se souvient le maire (sans étiquette) de Luc-sur-Mer. « notre dépendance constitue un risque », reconnaît l’élu.
Mais en pesant le pour et le contre, il préfère retenir l’aubaine économique que représente le casino. « Cela nous permet de limiter les taxes et impôts des habitants, d’assurer un niveau de service public important, d’améliorer l’attractivité de la ville, de l’embellir et de dégager des capacités d’investissement sans trop d’endettement. »
Dans les grandes villes, les gains sont plus relatifs. A Dunkerque par exemple, le casino ne représente que 1,7% du budget. A Lyon, c’est 0,8 %. Le casino de Bordeaux, 4ème de France en termes de chiffre d’affaire, rapporte lui 7 millions à la ville sur 600 millions d’euros de budget, soit 1,16 %.
« nous ne dépendons clairement pas du casino, mais il ne faut pas nier que cela nous rapporte de l’argent, reconnaît Brigitte Bloch, conseillère municipale déléguée pour le tourisme et l’économie du vin à Bordeaux. C’est une contribution aux activités culturelles et touristiques, notamment ‘Bordeaux fête le vin’ et le ‘festival Pulsasion’ ».
Une situation enviable sur laquelle lorgnent les villes équestres. Une proposition de loi, déjà votée au Sénat, propose d’élargir l’autorisation d’installation des casinos à celles-ci. Saumur, Saint-Lô ou encore Cluny pourraient être concernées. Sur ce sujet-là, tout le monde semble vouloir sa part du gâteau.
FOCUS
L’avertissement de la Cour des comptes
Une bonne relation, ça s’entretient. Cela pourrait résumer le tome II du rapport annuel 2021 de la Cour des comptes consacré aux casinos. Elle y souligne la passivité des collectivités à l’égard de ces délégations de service public.
« Le niveau de prélèvement sur les jeux focalise l’attention sans que pour autant les collectivités ne cherchent à l’optimiser, écrivent les magistrats. Les communes privilégient une vision à court terme. Elles n’étudient pas les retombées en termes de rayonnement culturel et touristique. Elles ne s’intéressent pas, par exemple, aux impacts sur le commerce local, à la fréquentation hôtelière, aux emplois dépendant de cette activité. Elles abandonnent ainsi, par là même, les actions structurantes, durables et susceptibles d’assurer l’attractivité de leur territoire. »
Un constat sévère, qui appelle à la vigilance en cas de retournement de la conjoncture, comme lors de la crise du Covid. S’il invite à ne pas généraliser ce genre de comportement de la part des communes, le syndicat Casinos de France souligne tout de même l’importance de cette relation « partenariale » : « Parfois, les villes ne comprennent pas l’importance d’être en soutien du casino, explique Patrice Le Brun, délégué aux affaires réglementaires et juridiques du syndicat. Pendant longtemps, ces établissements ont été des aspirateurs à recettes pour les villes. Or il faut bien qu’elles aient conscience de l’importance du « partenariat », dans le sens où les deux parties travaillent dans un même objectif : valoriser et développer la station. »
Un avis partagé par Philippe Chanu : « C’est une relation gagnant-gagnant mais cela s’entretient, insiste le maire de Luc-sur-Mer. On ne se repose pas sur les gains. On fait en sorte de maintenir un fort degré d’animation pour faire venir les touristes dans la ville et un grand nombre atterri finalement au casino. »
(source : lagazettedescommu
nes.com/Mathilde Elie)