Situé à Nanterre dans les Hauts-de-Seine, le Service central des courses et des jeux est chargé de tout ce qui touche aux jeux d'argent en France.
Depuis toujours, l’être humain a voulu mettre sa fortune entre les mains de la chance. Pourtant, le démon du jeu ne s’invoque pas n’importe comment en France. Au cœur de Nanterre dans les Hauts-de-Seine, se trouve le Service central des courses et jeux. Actu Hauts-de-Seine est allé à la rencontre de ces enquêteurs qui ne laissent rien au hasard.
Au cœur de la police nationale
Intégré à la police nationale, le service est facilement identifiable dès qu’on s’y approche. À la sortie de l’ascenseur, des machines à sous donnent tout de suite le ton. Une impression qui se confirme en pénétrant dans le bureau du commissaire divisionnaire, Stéphane Piallat. En guise de table de réunion, un tapis de roulette.
Jouer de l’argent étant une pratique intemporelle, le Service central des courses et des jeux est le plus ancien de la police nationale. Créé en 1892, il a vu notamment passer entre ses murs Célestin Hennion, le créateur des fameuses « Brigades du Tigre » aux côtés de Georges Clemenceau.
« Jouer en toute sécurité »
Protéiforme, le service est partout, sur tous les fronts : « Nous couvrons la métropole et les Dom-Tom. Le service est compétent sur tout ce qui tient aux jeux d’argents, particulièrement les casinos et les courses hippiques, mais aussi les points de vente PMU et Française des Jeux. Notre but, c’est que le parieur puisse jouer en toute sécurité », résume Stéphane Piallat.
Côté pile, le service fait un vaste travail administratif, car on ne peut pas s’improviser croupier. « Il s’agit d’un service qui va donner des agréments aux professions liées aux jeux d’argent. Cela va du gérant de PMU au distributeur de cartes à jouer. Ces agréments peuvent être octroyés, mais aussi retirés ». Côté face, il y a tout le volet judiciaire : « C’est très large, mais nous intervenons sur les fraudes aux paris ou bien les démantèlements de tripots« .
Plus de 200 casinos en France
Une chose à savoir, c’est que sur le papier, la République n’est pas tendre avec le hasard : « En France, il faut partir du principe que le jeu est interdit. Il y a ensuite des exceptions qui l’autorisent ».
Des exceptions qui ont fait leur chemin : on compte 203 casinos dans l’Hexagone, ainsi que 40% des hippodromes d’Europe : « Les casinos génèrent plus de deux milliards d’euros par an, c’est loin d’être négligeable. C’est notamment pour ça que c’est une industrie très contrôlée », souligne le commissaire divisionnaire. En guise d’exemple, ce dernier sort un énorme livre qui pourrait faire passer guerre et Paix pour une petite nouvelle : « C’est la réglementation des casinos. »
Les spécificités de la région parisienne
À Paris et en petite couronne, le monde du jeu est très spécifique. Les casinos ont longtemps été interdits en Ile-de-France, à l’exception notable du casino d’Enghien-les-Bains. Après la guerre, des cercles de jeu ont été ouverts à Paris, mais au fil des décennies, le crime a gangréné les établissements. Ces derniers ont été fermés au début des années 2000.
Des clubs de jeux à l’essai
Depuis quelques années, ce sont les clubs de jeux qui mènent la danse. Comme le chiffre porte-bonheur, ils sont sept dans la capitale : « Ils sont encore en phase expérimentale jusqu’en 2024. Nous verrons après cette date si nous les laissons ouverts. Pour l’instant, ces lieux sont tenus de façon sérieuse, car ils sont énormément contrôlés ! », souligne le commissaire divisionnaire.
Derrière ces clubs, de grands groupes tels que Partouche sont aux commandes. Il est fini le temps des établissements tenus par la pègre, comme a pu l’illustrer Martin Scorsese dans ses films : « Il faut sortir de l’image d’Épinal du voyou aux chaussures bicolores qui tient un casino pour blanchir ses crimes », précise Stéphane Piallat.
Le monde des tripots clandestins
Pourtant, les tripots existent en région parisienne, et ils sont de plusieurs sortes : « Il y a ceux qui veulent se substituer aux établissements légaux de manière plus ou moins professionnelle ou encore des cercles de malfaiteurs qui en plus de jouer entre eux, ouvrent leurs tables à un public plus large », détaille Stéphane Piallat.
Une autre facette de cette économie souterraine, ce sont les tripots communautaires : « Ce sont des individus de même nationalité qui vont se réunir pour jouer ».
Exemple insolite : des membres de la communauté philippine se sont réunis pendant plusieurs années au bois de Boulogne pour suivre en direct sur grand écran… des combats de coqs ! « Quand on pense qu’à la belle époque, c’est à cet endroit que se déroulaient ces combats animaliers, c’est un sacré hasard », ironise Stéphane Piallat.
Ces tripots hétéroclites, qui les fréquente ? Un peu tout le monde, si on en croit l’agent : « Il peut y avoir des personnes interdites de jeu ou bien d’autres attirées par le côté illégal de l’établissement. Ce n’est pas négligeable, mais il y a aussi des clients qui viennent, car ils ont la possibilité de fumer à l’intérieur ! »
Une augmentation pendant la pandémie
Durant la pandémie de Covid, les tripots ont explosé à Paris et en petite couronne : « Comme l’offre légale n’était plus disponible, des cercles de jeux clandestins ont fleuri un peu partout. On pouvait en trouver dans des petits restaurants comme des triplex parisiens« . En 2021, un tripot de luxe où champagne et masseuses étaient proposés a été démantelé dans le 16e arrondissement de la capitale.
Des lieux dangereux
S’ils peuvent donner envie aux quidams avides de s’encanailler, ces lieux souterrains peuvent toutefois se révéler dangereux. Stéphane Piallat met en garde : « Dans les tripots, on peut se retrouver face à des gens peu recommandables, notamment si l’on s’endette. De même, il est fréquent que certains gagnants se fassent voler leurs mises« . La triche peut aussi être présente, étant donné l’absence de contrôles.
Car la triche, c’est aussi un volet important dans les missions du service. Les techniques sont nombreuses et évoluent constamment : « Ça peut aller de la manipulation de cartes et de jetons à des techniques plus sophistiquées. Il y a aussi ce qu’on appelle le baronnage, lorsqu’un croupier a des accointances avec des joueurs par exemple », illustre notre interlocuteur.
Un tripot légal sous le ministère de l’Intérieur
Pour se former, le personnel utilise même un espace plutôt original : un tripot aménagé dans les sous-sols du ministère de l’Intérieur place Beauvau : « Il y a des tapis de jeux ou encore des machines à sous pour s’exercer. C’est là que se forme à la tricherie le personnel, mais aussi certains magistrats évoluant dans ce milieu. C’est le seul tripot de France autorisé », précise Stéphane Piallat.
Des affaires plus communes
À côté de ces tripots clandestins et des tentatives de triche élaborées, il y a aussi toutes ces affaires communes que doivent traiter les enquêteurs :
« Le monde du jeu, c’est un monde avec des histoires qui sortent de l’ordinaire. Nous avons eu une femme sous curatelle s’étant fait voler un ticket gagnant à 500 000 euros par un voisin de comptoir. Une autre fois, un homme a perdu aux machines à sous. Il fait trois pas pour quitter le casino, puis se retourne et fracasse la machine avec un tabouret en hurlant. Il y a aussi l’individu aisé financièrement qui va voler quelques jetons à son voisin ».
Objectif Jeux Olympiques
De la même manière que d’autres services et tribunaux, l’horizon proche du service, c’est la Coupe du monde de rugby et les Jeux Olympiques, avec une augmentation possible des paris illégaux : « La Coupe du monde de rugby va être une sorte de round d’observation, mais pour les Jeux Olympiques, nous allons développer le traitement de l’information en langue étrangère. Une coopération internationale sous l’égide d’Interpol va aussi avoir lieu prochainement ».
(source : actu.fr/Antoine Blanchet)