L’Autorité nationale des jeux (ANJ) ouvre ce mardi une plate-forme pour s’interdire volontairement de miser par une simple demande sur Internet. Une démarche simplifiée pour aider à sortir de l’addiction.
« Je pariais le matin avant d'embrasser ma copine. » Pol, 19 ans, a compris après « trois ans d'addiction et plusieurs milliers d'euros perdus » que les paris sportifs minaient sa vie. Un à un, en ce début d'année, cet étudiant nancéien (Meurthe-et-Moselle) en droit s'est auto-exclu des sites où il plaçait « entre deux et dix paris par jour, principalement sur le foot, le tennis et la NBA, mais parfois sur la D 2 allemande, le championnat colombien ou le billard, pour combler le manque ».
A partir de ce mardi, ce joueur, comme tous les autres, peut demander son placement sur la liste des interdits volontaires de jeux sur le site de l'Autorité nationale des jeux (ANJ). Après vérification de son identité par un simple coup de téléphone, le demandeur sera placé dans le fichier pour la durée incompressible de trois ans et ne pourra plus jouer au casino ou sur les sites de paris sportifs, hippiques ou de jeux en ligne (poker…) agréés par l'ANJ. Jusqu'ici, chaque site proposait une auto-exclusion allant d'un jour à un an.
« L'objectif est que l'interdiction de jeu ne représente plus une culpabilisation publique, alors qu'il fallait se rendre au commissariat pour intégrer le fichier national, qui est transversal, explique Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de l'ANJ. Nous voulons que l'interdiction soit effective dans les quinze jours (NDLR : contre un mois et demi à deux mois avant). Le but n'est pas de banaliser cette démarche, qui est très impactante pour les personnes. On va accompagner le lancement de cette mesure, orienter les joueurs vers des structures de soins si besoin. Nous allons animer cette communauté par de l'information régulière et de la pédagogie. »
Un point utile, car ce n'est qu'une étape, selon Pierre Perret, ancien addict qui s'en est notamment sorti en créant l'Institut du jeu excessif. « D'après ma longue expérience, ce n'est pas parce que vous êtes interdit que l'envie est supprimée, explique celui qui était adepte du PMU et des casinos. Une offre illégale existe en ligne et le PMU et la Française des jeux ne contrôlent pas les identités. J'ai des amis qui ont déjà fait plusieurs centaines de kilomètres pour se rendre en Belgique ou en Italie afin de miser. »
Il poursuit : « Dans l'ancienne procédure, aller voir des policiers était un frein. Certains s'imaginaient que leur banque allait être au courant et tout le monde a quelque chose à se reprocher. C'est bien de proposer une solution technique efficace mais ce ne sera pas du tout miraculeux, il restera à traiter le problème… »
Un point aussi soulevé par les addictologues, du fait des liens entre jeu, endettement et recherche de sources de revenus à tout prix. « Pour certains qui avaient des problèmes avec la légalité, ce n'était pas toujours évident, confirme Thomas Gaon, psychologue à l'hôpital parisien Marmottan. Dans le processus de soin, l'interdiction se fait d'un commun accord. Si le patient n'est pas au courant, on lui explique que c'est une mesure de protection. Pour les joueurs de casino, c'est une option qui vient vite sur la table. Au tabac, cela fonctionne moins. »
40 000 interdits volontaires en France
« Notre rôle est de proposer un accompagnement, prolonge le psychiatre Mario Blaise, chef de pôle de l'établissement spécialisé dans les addictions. Quand les joueurs réalisent qu'ils sont en difficulté, pour qu'ils l'acceptent, il faut qu'ils reconnaissent le problème et fassent des démarches pour limiter leur offre de jeu, l'accès à leur argent et à leurs comptes bancaires, afin de se protéger. »
Au terme du délai de trois ans, les personnes seront informées de la fin de leur interdiction de jeu et pourront sortir du fichier sur le même site Internet. Pol, l'étudiant nancéien, se sent « bien après une semaine de sevrage » et réclame que la nouvelle plateforme « soit autant mise en avant que les pubs pour les sites de paris, qui visent très clairement les jeunes et particulièrement les jeunes défavorisés ».
Le service en ligne arrive à point nommé, alors que les confinements et la fermeture des lieux culturels ont conduit à « un risque excessif supérieur », selon Isabelle Falque-Pierrotin. Elle dévoile « une hausse de 22% du produit brut des jeux » (NDLR : les mises des joueurs moins les gains versés) sur les supports en ligne au mois de novembre. Selon l'ANJ, la France compte 400 000 joueurs pathologiques et 1 million de joueurs à risque. Alors que le fichier actuel ne compte que 40 000 interdits de jeu, l'instance souhaite « voir ce chiffre progresser, sans se fixer d'objectif ».
(source : leparisien.fr/Yves Leroy)
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