Une équipe a réussi à déjouer la sécurité du casino, grâce à une arnaque qui tient du bonneteau. Trois des cinq suspects sont en fuite, les deux autres ont été jugés ce mercredi à Pontoise.
Elle s'appelle « Colour up scan ». Cette arnaque sur le mode bonneteau à la roulette anglaise, bien connue des casinos, a permis à ses auteurs de tromper la vigilance des croupiers et des agents de sécurité. Ils ont empoché au moins 127 300 € au mois d'août 2019, au casino d'Enghien. C'est un minimum, selon l'établissement.
Jusqu'à deux ans de prison requis par le parquet
Mais finalement repérés et identifiés par la police judiciaire, cinq hommes, originaires d'Espagne et de République dominicaine, ont été jugés ce mercredi pour escroquerie en bande organisée devant le tribunal correctionnel. Sur le papier tout du moins. Dans la réalité, seuls deux d'entre eux, les petites mains de l'équipe, étaient présents à Pontoise, les autres restant introuvables. Le parquet a requis ce mercredi soir jusqu'à 2 ans de prison à leur encontre et la délivrance de mandats d'arrêt pour ceux en fuite.
L'arnaque se joue en équipe. Elle réside dans la manipulation des jetons de couleur dont chaque joueur détermine la valeur à l'achat : de 5 à 100 €. Avec un peu d'habileté et le concours de complices qui détournent l'attention du croupier à la table, le joueur dissimule des jetons dans sa poche, quitte la table, ce qui est proscrit avec des jetons, les transmets discrètement à un complice dans les toilettes. Le seul endroit du casino dépourvu de caméra de surveillance. Le complice qui avait acheté des jetons de même couleur pour une valeur nominale de 100 € récupère les espèces en multipliant ainsi par 20 la valeur du jeton…
L'équipe a tenté sa chance dans d'autres casinos
Simple. Mais il faut que les croupiers ne remarquent pas qu'il manque des jetons sur la table et ne s'alarment pas des allers-retours fréquents des mêmes personnes aux toilettes. Ce qui a fini par arriver à la fin du mois d'août. L'examen des vidéos par la PJ a permis de détailler en image la méthode et d'identifier les auteurs qui ont tenté l'aventure au-delà d'Enghien. L'équipe a apparemment écumé les casinos de Cannes, Cassis, Lille, lyon ou Marseille sans succès, semble-t-il, ne parvenant pas à tromper le personnel.
« Il s'agit de professionnels, d'une équipe qui est en représentation, qui veut échapper à la vigilance des caméras, des croupiers, des équipes de surveillances. C'est une représentation qui doit être parfaitement exécutée. Lorsque cela n'est pas le cas, cela ne marche pas », a souligné le procureur pour qui les prévenus « ne sont pas des figurants ». Selon lui ce sont des professionnels. « Il faut agir sans excès, avec finesse. Il ne faut pas s'agiter dans tous les sens. Cela ne peut pas se faire avec des personnes qui ne sont pas totalement au fait de l'opération. » Il a souligné également l'utilisation de fausses identités par certains.
« C'est lui qui m'a montré comment cacher les jetons. » Nelson G., la cinquantaine, éleveur de poules en Espagne, reconnaît les faits et charge « Bacaloa », le patron de l'équipe, selon l'enquête. Il l'avait chargé de gratter les jetons et de les transmettre au complice. « Il est responsable de tout. » Il parle aussi de celui qui apparaît comme son second, Marco A., absent à l'audience, « qui payait l'avion, l'hôtel, les voitures ». Le prévenu, détenu depuis son interpellation en Espagne en septembre 2019, assure être incapable de dire si l'équipe a tourné auparavant dans d'autres pays européens. Il admet en tout cas avoir gagné 800 € par semaine pour son rôle.
Autre petite main présente à l'audience, Felix A., cuisinier en CDD qui vit en France. « J'avais une pression énorme pour payer mes dettes » explique le prévenu qui était juste chargé de jouer à la table, de faire le nombre pour distraire les croupiers. « Je me demandais comment on pouvait gagner autant d'argent », confie-t-il, comprenant seulement à la fin qu'il y avait un loup. « À la fin j'avais peur. Tout le monde nous regardait… »
Un préjudice estimé à 334 000 € par le casino
Selon le casino d'Enghien, principale victime, le préjudice serait de l'ordre de 334 000 €. Mais la période des faits retenue par le tribunal recoupe celle pour laquelle le casino disposait d'image vidéo. Le préjudice étant évalué selon l'établissement de jeux à 127 300 € entre le 9 et le 17 août. Le casino de Cannes n'ayant lui perdu que 414 €.
Un préjudice contesté par la défense. « Il est calculé de manière simpliste », a plaidé Me Séverine Colnard qui l'estime surévalué et surtout non démontré. Elle souligne « la négligence du casino d'Enghien qui a contribué à son propre préjudice ». La défense relève ainsi qu'il s'agit d'une arnaque « fréquente » selon le casino lui-même et à la portée de tout le monde, qui peut être déjouée par l'attention des croupiers. Des croupiers dont le niveau a été mis en cause, en particulier lorsque l'un d'eux évalue le nombre de jetons sur la table seulement à 20 près, ne se rendant pas compte qu'il en manque, encore moins combien. La défense, qui a aussi contesté la notion de bande organisée, a réclamé que le casino soit débouté de ses demandes.
Des peines de 10 mois à 2 ans de prison
Le tribunal n'a pas suivi. Il a prononcé en soirée des peines de prison allant de 10 mois dont 6 avec sursis pour une des petites mains, Félix A., jusqu'à 2 ans de prison ferme et mandat d'arrêt pour le suspect principal. Il a aussi condamné les auteurs à rembourser solidairement le casino d'Enghien à hauteur des 127 300 € qu'il réclamait.
D'autres joueurs avaient découvert une faille technique dans les roulettes électroniques d'Enghien pour gagner à coup sûr. Une trappe permettait de faire un reset de la machine, le croupier devant rembourser les mises. Utile lorsque l'on perd… Des peines de trois à six mois de prison ferme avaient été prononcées en septembre 2018. Le montant du préjudice du casino avait été cependant revu à la baisse, la défense estimant alors qu'il ne reposait sur aucune donnée fiable. Le tribunal l'avait baissé de 783 000 € à 150 116 €.
(source : leparisien.frFrédéric Naizot)