Projet. Maintenant que Rouen dispose du label « station de tourisme », rien ne devrait s’opposer aux travaux du casino dans l’ancien chai à vin. C’est sans compter la complexité d’un dossier que ses promoteurs espèrent encore débloquer.
En annonçant lundi 27 janvier 2020 que Rouen venait d’obtenir son label de « station de tourisme », Laurent Bonnaterre a rappelé à tout le monde que cette mention était une des conditions à l’ouverture du casino promis dans l’ancien chai à vin, sur la presqu’île Waddington. Jusqu’ici, un des projets phares pour Rouen.
Au lendemain de son « scoop », le président de l’office de tourisme se félicite d’ailleurs de cette avancée dans le calendrier, se disant « favorable à ce casino qui correspond aux besoins des touristes, notamment asiatiques ». Mais ce serait aller un peu vite en besogne que d’annoncer l’ouverture. Car, ce label « station touristique », nécessaire, est loin d’être suffisant.
Directeur du développement et responsable du projet Chai à vin pour le compte de l’entreprise Eiffage Construction Haute-Normandie, Francis Debrey confirme que la reconversion du chai rouennais (lire par ailleurs) bute toujours sur une ligne du code de la sécurité intérieure. Il limite par diverses conditions l’implantation des établissements de jeux d’argent de hasard.
« Faire évoluer la loi »
Si Rouen remplit désormais celles concernant la population (une agglomération de 500 000 habitants), les équipements culturels (posséder une scène nationale ou un centre dramatique national et un opéra) et l’intérêt touristique (le fameux label), il lui manque... un orchestre national. La tuile qu’Eiffage n’a pas vu tomber...
« Évidemment, je le savais, commente le porteur du projet et nous nous étions rapprochés du ministère de l’Intérieur pour préciser la lecture d’un texte assez complexe. » Le doute se serait glissé entre les conditions impératives et les alternatives. « Mais le ministère a fini par confirmer que l’orchestre national était une condition nécessaire », regrette bien Francis Debrey. Pas un moment il n’envisage de réviser le projet. « Il suffit de faire évoluer la loi, comme l’a fait avant nous Jacques Chaban-Delmas, pour obtenir l’autorisation d’ouvrir un casino à Bordeaux. La ville ne remplissait pas les conditions, limitées alors aux stations balnéaires, climatiques et villes thermales. Il avait donc fait ajouter la possibilité d’ouvrir un casino dans les villes possédant un orchestre national ». En 1998, rappelle encore Francis Debrey, « Jean-Marc Ayrault a introduit à l’Assemblée nationale l’article notant qu’il fallait désormais que les villes candidates disposent d’un Centre dramatique national ou d’une scène nationale ».
Pour Eiffage, il « suffit » donc d’ajouter aux conditions existantes la mention « ...ou scène lyrique d’intérêt national », label détenu par l’opéra de Rouen. Et il s’y emploie. Car, pour le promoteur, « le projet ne peut se passer du casino qui rend l’ensemble économiquement viable. Il fallait ce locataire capable de payer sur vingt ans 40 M€ d’investissement », souligne Francis Debrey. Il met aussi en avant 350 emplois créés par le complexe et « 3 ou 4 millions d’euros de recettes, versés à la Ville qui pourraient être redistribués à d’autres projets, moins viables ».
à savoir
Un projet parmi trois
Lauréat de l’appel à projet Réinventer la Seine, le complexe imaginé par Eiffage et retenu parmi trois propositions, comprend, outre le casino, un cabaret, deux restaurants panoramiques, un espace dédié à l’œnologie et un musée des arts forains, en lien avec la foire Saint-Romain qui se tient sur la presqu’île.
Tradition normande
La région compte 22 casinos, 20 en station balnéaire et 2 en station thermales à Forges-les-Eaux et Bagnoles-de-l’Orne.
Après mars, les jeux seront faits
Si Eiffage parvient à faire évoluer la loi, il faudra que le décret modificatif soit signé au plus vite, car, d’ici mars, les jeux seront faits pour un projet qui ne fait pas l’unanimité chez les candidats à la mairie de Rouen. Parmi eux, seul Jean-Louis Louvel (actionnaire de Paris-Normandie) de la liste Rouen autrement n’a pas donné suite à notre sollicitation.
À l’instar du président de l’office de tourisme et aussi maire de Caudebec-lès-Elbeuf, Jean-François Bures (Au cœur de Rouen) se dit « favorable à ce casino comme à toute initiative qui peut renforcer notre attractivité et notre rayonnement. Ce projet participe de la même démarche que celle choisie pour les églises de Rouen - Saint-Nicaise, Saint-Pierre-du-Chatel, et Sainte-Croix des Pelletiers - qui vont renaître grâce à des initiatives privées ».
Pour des raisons d’attractivité touristique et économique Marine Caron (Ensemble pour Rouen) se dit, elle aussi favorable au projet tout en précisant les enjeux : « C’est une bonne chose pour notre ville de Rouen qui n’a de cesse d’être à la traîne de tous les classements nationaux. Mais un tel projet doit aussi être pensé de façon plus globale avec une véritable stratégie d’investissement et de redynamisation de la presqu’île Waddington. De telles réflexions doivent, plus largement, aborder la reconversion des friches industrielles afin d’en faire des zones d’animation et d’activité durables et accessibles à tous ». Une « bonne chose » aussi pour Guillaume Pennelle (Rassemblement national) qui rappelle avoir soutenu le projet en conseil municipal.
En revanche, s’il advenait qu’un candidat de gauche gagne Rouen et la Métropole, plus question de roulettes ni de machines à sous.
Lionel Descamps (Rouen, notre commune) parle de « lieux où se voit beaucoup de misère sociale. Pour nous, ajoute le candidat, le chai devrait devenir un lieu ludique et culturel ». Et Lionel Descamps d’évoquer aussi « la concurrence que cela ferait aux établissements du Havre, Dieppe et de Forges-les-Eaux ».
Nicolas Mayer-Rossignol (Fier.e.s de Rouen) annonce tout net « qu’il faudra relancer un appel à projets sur d’autres bases », considérant que « le chai à vin est un emblème de Rouen qui mérite mieux que ça. Il faut être ambitieux et en faire quelque chose d’exceptionnel. J’ai plusieurs idées, viables, sur le sujet ».
Jean-Michel Bérégovoy (Réenchantons Rouen) se dit aussi prêt « à mener bataille pour qu’il n’y ait pas de casino, mais quelque chose de plus pertinent pour Rouen ». Selon lui, « les casinos font partie d’un développement du passé ». Mais surtout « un casino n’est pas compatible avec les valeurs que nous défendons pour notre métropole. » En revanche, il tend la main aux entreprises qui, « si elles souhaitent investir, peuvent toujours participer à la création d’un tiers-lieu qui fait tant défaut à Rouen ».
(source : paris-normandie.fr/Pascale Bertrand)