MORPION : un jeu de grattage à 50 centimes d’euros !
Fonds de tiroirs, Fonds de poches ?
D
u jamais vu dans l’histoire de la Française des jeux (FDJ) : sur fond
de crise sociale des Gilets Jaunes, la FDJ prémonitoire a lancé un jeu
de grattage à 50 centimes d’euros qui met les loteries instantanées à
la portée de toutes les bourses
par
Jean-Pierre G. MARTIGNONI-HUTIN Jr
(Sociologue, Chercheur associé au Centre Max Weber, Université
Lumière (Lyon II)
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Avril 2019
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Sur fond de crise sociale des Gilets Jaunes, la FDJ a relancé (1) il y a
quelques mois un jeu de grattage emblématique (2) MORPION. Mais désormais
il coute 50 centimes ! Le jeu donnant à voir sur notre société,
comme l’affirmait le grand théoricien du jeu ROGER CAILLOIS - et les jeux
d’argent n’échappent pas à cette « loi » - plusieurs pistes
peuvent être avancées pour expliquer ce jeu de temps de crise.
La Française des jeux (FDJ) chercherait-elle à gratter les fonds de tiroirs des Français ? A un premier niveau
d’analyse, c’est l’impression que donne Morpion. Un jeu de grattage à moins
de 1 euro ? Du jamais vu dans l’histoire de la FDJ. Les tickets cartonnés
les moins chers jusqu’à présent coûtaient 1 euro, à l’instar de « Banco »,
« Numéro fétiche » « Goal »…. Cette « braderie » ludique est d’autant
remarquable que l’opérateur de Boulogne nous avait plutôt habitué ces
derniers temps à sortir des jeux à des prix « audacieux » - pour ne pas
dire « prohibitifs » - comme le jeu de grattage mission patrimoine vendu 15
euros. Un tel prix (98,39 Francs) ça peut choquer en période de vaches
maigres. Dans le Gers un buraliste a même refusé de vendre ce jeu onéreux
qu’il trouvait « hors de prix ».(3)
Avec ce « retour « (4) du Morpion nous ne sommes pas dans la même
catégorie. De par son prix minimaliste Morpion ne comporte pas comme
mission patrimoine, un aspect transgressif qui appelle à la
transgressivité. Mais les « petites bourses », les Français qui ne sont pas
« plein aux as »,
les petites gens… peuvent être attirées par ce petit jeu à petit prix
qui nécessite seulement 5 pièces de 10 centimes. Une misère.
Le jeu de la misère ?
Certes il serait facile dans ce premier niveau d’analyse d’accuser la FDJ
de faire les fonds de poche de nos concitoyens en leur « piquant »
ces pièces jaunes qui ont fait le succès de la Fondation de Madame
Chirac depuis 2009. Ce serait oublier la liberté du joueur d’entrer dans le jeu, l’acte ludique étant volontaire. Si l’on
exclut le procès idéologique consistant à diaboliser la FDJ, comment
comprendre ce jeu sans nier cette dimension économique et sociale ?
Cette désinflation du prix de ces petits tickets du bonheur
souligne-t-elle une accentuation de la crise et de la paupérisation d’une
partie des français qui n’ont même plus les moyens de jouer. Pas
impossible. On sait la FDJ attentive à sa clientèle et plus largement au moral des Français. L’opérateur historique sait humer l’air du
temps. En outre il a perdu ces dernières années 1,6 millions de joueurs.
Sortir un jeu de grattage à bas prix permet de tenir compte de la situation
économique du pays tout en ratissant large pour attirer de
nouveaux joueurs. L’opérateur ne cache pas sa volonté dans cette « relance
« (5) du Morpion d’élargir sa cible de gratteurs :
« Morpion s’adresse notamment à des clients qui n’ont jamais gratté, un
peu comme une offre découverte. La mise accessible permet de tester le
jeu de grattage »,
souligne Patrick Buffard, directeur général adjoint de la FDJ en charge du
marketing.
Un jeu « démocratique » qui met les loteries de grattage à la portée de toutes les bourses.
Prendre les petites pièces
qui trainent dans les poches des clients qui fréquentaient les saloons
c’était déjà l’idée de Charly FEY, le génial inventeur des machines à sous.
La FDJ ne fait finalement que renouer avec l’histoire des jeux d’argent en
proposant un jeu à moins de 1 euro. En outre un jeu si bon marché est très
déculpabilisant. Celui qui l’achètera n’aura même pas l’impression d’être « joueur ». S’il gagne (le
gain maximal étant de 500 Euros) il sera tout fier de son coup et
assurément remerciera Dame Fortuna. S’il perd…même pas mal. Vu la
petitesse de la somme investie le joueur oubliera vite ce déboire ludique
et poursuivra ses activités quotidiennes. Le hasard faisant parfois bien
les choses il n’est pas impossible que les gazettes annoncent qu’un joueur
a gagné « 500 boules » en achetant un seul ticket à 50 centimes. Dans ce
cas le taux de retour atteindrait le pourcentage faramineux de 100 000 % !!
Cela confortera ceux qui pensent que ce jeu de gagne petit n’est pas si idiot qu’il en a l’air.
Ce jeu comporte donc - si l’on veut rester sur le chemin de crête de
l’objectivité - un deuxième niveau d’analyse. Que ça plaise ou non aux
moralistes, aux rigoristes anti jeu, aux addictologues…
Morpion met les loteries instantanées à la portée de toutes les
bourses.
Ce jeu démocratise les loteries instantanées. Nombre de nos concitoyens
n’ont pas les moyens d’acheter des jeux de grattage à 5, 10, 15 euros. Cela
ne signifie pas qu’ils ne souhaitent pas jouer, bien au contraire. Morpion
met fin à cette injustice. Avec ce jeu tout le monde peut gratter sans se ruiner. Qui n’a pas 50 centimes
dans sa poche ?
Un jeu qui permet aux petits joueurs de flamber
Mieux, Morpion permettra aux petits joueurs qui le souhaitent de flamber à leur manière en achetant de nombreux tickets. Cette
catégorie de gamblers préfèrera par exemple acheter 30 Morpions qu’un seul
ticket de mission patrimoine. Au final la somme dépensée sera identique -
15 euros - mais la démarche ludique s’en trouvera transformer.
Le joueur joue toujours pour gagner mais il souhaite aussi se distraire,
faire un écart, passer du temps ... Avec 30 tickets le temps ludique s’allonge, renforçant l’espérance ludique. Chaque
dévoilement issu du grattage peut être le bon. Certains joueurs
tenteront parfois (une fois par mois, quelque fois par an) des flambes plus
importante tout en restant dans les limites du raisonnable : 60 tickets :
30 euros, 120 tickets 60 euros…
La modestie du prix permettra à d’autres de jouer régulièrement, voir
quotidiennement. Avec un budget jeu de 15 euros, le joueur pourra par exemple acheter un Morpion tous les jours
pendant un mois. Le slogan publicitaire de la FDJ « chaque jour est une
chance » ( 6) sera conforté
Ticket acheté quotidiennement, flambe plus ou moins grande, cette
récurrence permettra au joueur attentif d’établir différentes statistiques.
Dans son travail ludique il notera les régularités observées. L’entrée dans
le jeu (in ludo) se transformera progressivement pour certains en illusio. Le petit bout de carton coloré sans intérêt devient un
jeu intéressant.
MORPION : chiffres, caractéristiques
Morpion a eu une première vie. Il a été lancé en 1994, arrêté en 2012 puis
en 2016. Au total 3,2 milliards de tickets ont été vendus depuis sa
création. Sa cote de popularité est importante. 55% des Français le
connaissent d’après l’opérateur.
Morpion nouvelle formule reprend les codes qui ont fait son succès :
univers humoristique et fun (mascotte), simplicité (le joueur découvre
trois O ou trois X en ligne, en colonne ou en diagonale), tickets colorés (
verts, bleus, jaunes) slogan rigolo qui joue en outre sur une redondance
sémantique marketing éprouvée (
« Si t’as le gros lot, tu m’paies le resto ! / Si tu gagnes des sous,
on part où ? / Si tu gagnes du blé… Tu m’emmènes en soirée !) ».
MORPION complète la gamme de jeux de grattage à mises modérés (Numéro
Fétiche, Goal !, Banco = 1€, Black Jack (2€), Maxi Goal ! (3€). Cette gamme
de la marque illiko a représenté 7,4 Mds€ de mises en 2017 (+8%) 100
millions de MORPION seront disponibles dans les 30 800 points de vente de
la FDJ. Gain maximal 500€, le jackpot le plus faible de la FDJ. Le TRJ sera
de 66% : 1 chance sur 4,39 de remporté le gros lot
Pour son retour « en grande pompe « (7). 3 films publicitaires (2 films de
20sec et 1 de 10sec) ont accompagné le lancement de Morpion à la manière
d’une bande annonce d’un blockbuster américain. En outre un tag de 5
secondes rappele l’interdiction du jeu aux mineurs
MORPION/mission patrimoine
hierarchie ludique, hierarchie sociale ?
Au final Morpion est-il un jeu provocateur mais pour des raisons inverses
que mission patrimoine qui provoque par son prix audacieux ? Impossible de
trancher dans ce sens car comme nous l’avons vu l’acte ludique est
volontaire. Nous soulignerons plutot la double hierarchie - ludique et
sociale - qui se dévoile si l’on compare les deux jeux.
D’un coté Morpion un petit jeu pour les gens de peu. Un jeu qui
renvoie quand même à la pauvreté supposée du joueur. Un jeu certes
qui coute pas cher mais un jeu de gagne petit qui rapporte une misère même quand on décroche le jackpot.
D’un autre coté mission patrimoine un jeu prestigieux au format
XXL richement décoré. Un jeu cher qu’il faut pouvoir se permettre
d’acheter. Un jeu qui renvoie quand même à la richesse supposée du
joueur. Un jeu tout a la fois noble et citoyen qui permet de
participer à la sauvegarde du riche patrimoine historique français
et donc d’entrer un peu dans cette histoire. Un jeu finalement -
on ne prête qu’aux riches - qui peut rapporter très gros : 1,5
millions d’euros au grattage (8). avec un TRJ généreux : 72%
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Souhaitons au final à tous les joueurs de gagner à Morpion…mais de ne pas
en attraper…des morpions ! Impossible d’échapper à la polysémie du mot.
Certes « morpion » est un jeu de réflexion se pratiquant à deux joueurs et
dont le but est de créer le premier un alignement sur une grille et la FDJ
s’ en est inspiré pour créer son propre Morpion. Mais le « morpion » c’est
aussi le « morbac » ce parasite ancestral de l’homme qui colonise les poils
pubiens situés en bas, en dessous de la ceinture. La curieuse
mascote bleue utilisée ne symbolise t elle pas ce petit parasite détestable
qui gratte. Certes nous n’échappons sans doute pas au piège de la sur
interprétation en voyant dans Morpion un jeu du bas destiné aux
classes situées en bas de l’échelle sociale et dans mission patrimoine un jeu du haut destinées à ceux qui sont mieux placés dans cette
hiérarchie et peuvent se permettre de débourser 15 euros pour un « riche »
morceau de carton.
© j.p.georges. martignoni-hutin jr.sociologue, avril 2019,
université lumière Lyon 2, ISH, Centre Max Weber(CMW)UMR 5283,
équipe TIPO, ISH, Lyon, France.
Notes =
- Jeux à gratter : le retour du «Morpion»Le Parisien, Vincent
Mongaillard|27 septembre 2018
- communique de PRESSE DE la FDJ : 27 SEPTEMBRE 2018 = « FDJ RELANCE LE
JEU EMBLÉMATIQUE « MORPION », PREMIER TICKET DE GRATTAGE À 0,50€ »
-
Actu toulouse.fr , 11 sept 2018, « Loto du patrimoine : un buraliste du
Gers appelle au boycott de ces tickets hors de prix »
- Le Monde 27/9/2018 « Morpion » fait son retour chez les
buralistes
- La FDJ relance le "Morpion"; Marie Sasin , RTL.FR du 27/09/2018
- ''CHAQUE JOUR EST UNE CHANCE'' : LA SIGNATURE DE LA FDJ DEVIENT UNE
CAMPAGNE CBNEWS : 20 DÉCEMBRE 2017 AMELLE NEBIA
- LE "MORPION" FAIT SON RETOUR EN GRANDE POMPE », Lise Garnier,
capital.fr du 27/9/2018
- Au total mission patrimoine distribuera 6 lots à 1,5 millions, 8 à 150
000 euros, 20 à 15 000 euros et des milliers de gains intermédiaires et des
centaines de milliers de gain de rejeu