Il y a un mois, le casino municipal de Campione, petite enclave italienne sur le lac de Lugano, était mis en faillite et devait fermer. Depuis, toute la population se mobilise pour sa réouverture et le sauvetage de 487 emplois.
Le soleil resplendit sur Campione d’Italia tout près de Lugano. Entre lac azur et montagnes vertes, l’enclave semble plus belle que jamais. Une "Belle au bois dormant" toutefois depuis ce 27 juillet, jour de la fermeture de sa maison de jeux - la quatrième d’Italie - mise en faillite par le préfet de Côme (I). Les ruelles du bourg sont quasi désertes, les parkings vides et le silence feutré.
Mais l’enclave s’anime près du casino, cet imposant bâtiment de pierres jaunes projeté par l’architecte Mario Botta et qualifié d’"ecomostro" par ses détracteurs. Ceux-ci lui reprochent ses treize étages qui en ont fait, à son ouverture en 2004, le plus grand casino d’Europe. Un édifice devisé à 90 millions de francs qui avait fini par coûter le double.
Grande solidarité
"Tous unis pour la même cause" indique une des banderoles fixées un peu partout sur les façades des maisons et dans les rues. Juste en-dessous de la maison de jeux, sur le parking devenu inutile, les employés du casino ont monté leur quartier général. Sous une vaste tente, ils ont installé une buvette, une cuisine de camp, des tables et des bancs.
A l’entrée du "Presidio" ouvert le jour même de la fermeture du casino on peut lire: "Salviamo Campione, day 32, mancato incasso 6,4 milioni di euro" ("Sauvons Campione, 32e jour, manque à gagner 6,4 millions d’euros"). Les employés s’y relaient sept jours sur sept. Ils servent deux repas quotidiens aux manifestants de piquet et à leurs soutiens, soit presque tout le village.
"La solidarité est grande. Nous sommes soutenus par les habitants, l’école enfantine, les commerçants, les associations qui nous financent et nous fournissent fruits, légumes et autres denrées", raconte à l’agence Keystone-ATS Paolo Bortoluzzi, employé du casino et membre du syndicat italien CGIL.
Pas droit au chômage
Il nous explique que pour lui et tous ses collègues - 487 personnes dont la moitié vit sur le territoire tessinois - il n’y a pas d’autres solutions que la réouverture à court terme. "Aucun d’entre nous n’a été licencié, donc nous n’avons pas droit au chômage, ni en Suisse ni en Italie."
Paolo Bortoluzzi et deux autres syndicalistes, Claudio Padula et Gianni Tursi, ne cachent pas leur amertume. "La mise en faillite a été un coup dur, nous nous y attendions d’autant moins que depuis six ans déjà, nous acceptons des baisses de salaire continues."
Les ennuis financiers du casino municipal ne datent pas d’hier. En 2017, le chiffre d’affaires de la maison de jeux a dépassé les 90 millions d’euros, alors que l’endettement s’élève à 100 millions environ. Un plan de remboursement sur cinq ans a été mis sur pied, avant de tomber à l'eau. "Une vraie baffe pour nous autres employés après des années de sacrifices!", s'exclame Paolo Bortoluzzi.
Si ses collègues et lui-même admettent que "la gestion du casino aurait pu être plus prudente", ils pointent aussi du doigt la concurrence des salles à sous et des slot-machines que l’on trouve dans de nombreux établissements publics italiens ainsi que celle, féroce, des jeux en ligne. "La crise économique qui frappe l’Italie joue aussi son rôle et les autres casinos de la Péninsule ne naviguent sûrement pas dans des eaux sûres", précisent-ils.
"Que Salvini vienne nous voir!"
L’amertume des employés se manifeste aussi à l’encontre du gouvernement italien, notamment du Ministère de l’Intérieur. "Salvini n’a jamais répondu à nos appels à venir voir sur place ce que signifie cette fermeture pour l’enclave", déplore Paolo Bortoluzzi. "Qu’il se déplace et fasse rebattre le cœur du village!"
Les employés du casino et leurs sympathisants manifesteront mercredi dans les rues de Côme, jusque devant la Préfecture. "Nous demanderons au préfet si le gouvernement s’intéresse à nous, comment et quand la maison de jeux rouvrira et quelles mesures seront prises pour rééquilibrer la gestion et éviter qu’une telle situation ne se reproduise."
L’heure du premier repas approche. Les cuisiniers s’affairent autour des chaudrons. "Nous sommes tous solidaires, mais nous ne tiendrons plus longtemps le coup", concluent les syndicalistes et les employés de piquet. "Nous vivons dans un limbe, nous n’avons plus d’emploi sans avoir été licenciés, nous ne sommes pas non plus des chômeurs."
(source : bluewin.ch/ATS)