Structures au statut juridique obscur, ces salles tenues par les réseaux mafieux sont en voie d’extinction. De nouveaux clubs gérés par des casinotiers doivent bientôt ouvrir dans la capitale.
A un mois de l’ouverture de nouveaux clubs de jeux à Paris, ça s’agite en coulisses. Selon nos informations, trois groupes ont déjà déposé un dossier de candidature à la préfecture de police, les casinotiers Partouche, Tranchant et Raynaud. Un quatrième, Barrière, songerait sérieusement à y aller. Après des années de dérives, les cercles - à la forme juridique baroque - vivent leur crépuscule. Véritables lessiveuses permettant aux réseaux mafieux de blanchir des fonds tout en sortant des montagnes de cash, ils ont fermé les uns après les autres. Seul le cercle Clichy-Montmartre tourne encore, avec l’obligation de changer de statut d’ici fin 2018. Après le Wagram, l’aviation Club de France (ACF), le Cadet, c’est le Club anglais qui a mis la clé sous la porte en février, sur fond de travail dissimulé et de blanchiment en bande organisée (lire ci-contre). Soit la quatorzième fermeture sur les quinze établissements que comptait la capitale à la grande époque.
A partir du 1er janvier donc, Paris verra émerger une nouvelle offre légale de jeux. Avec l’ambition d’assécher l’un des effets pervers générés par la fermeture des cercles : l’essor des tripots clandestins où se jouent, chaque soir, des milliers d’euros en liquide. «Nous avons quotidiennement des coups de fil d’informateurs nous signalant la présence d’une table clandestine dans l’agglomération parisienne», relate une source policière. En témoignent les 19 enquêtes ouvertes, 227 gardes à vue et 57 déferrements réalisés en 2014 et 2015 par la Brigade de répression du banditisme (BRB), chargée de traquer les tables franciliennes. A la différence des cercles, qui avaient la forme d’association à but non lucratif, les nouveaux clubs auront le statut de société commerciale. Ils devront garantir la traçabilité des fonds et se doter d’un commissaire aux comptes. Enfin, ils seront soumis à une enquête administrative approfondie, préalable à l’autorisation d’ouverture. Cette dernière est directement exercée par le Service central des courses et jeux de la police judiciaire (SCCJ). Un criblage minutieux de l’équipe dirigeante est effectué avant que le dossier ne soit définitivement transmis pour avis définitif à la Commission des jeux.
Troubles à l’ordre public
Afin de ne pas faire d’ombre aux casinos, qui exercent depuis plusieurs années un lobbying discret, la Place Beauvau a décidé que les clubs seraient privés des jeux les plus populaires : roulette et Black Jack. Les machines à sous, souvent pointées du doigt pour leur potentiel hautement addictif, seront également proscrites. Du moins dans un premier temps. Seuls les jeux de cercle et de contreparties seront au menu, telles les différentes formes de poker, baccara, punto banco et mah-jong. Un parti pris qui expliquerait le manque cruel d’appétit que suscite la réforme. «La mode du poker, il faut bien le dire, est un peu passée, lâche un observateur avisé. La nouvelle loi, souhaitée par le gouvernement socialiste avant l’alternance politique, a vocation à assainir le milieu. Après, il est vrai qu’elle arrive peut-être après la bataille.»
Autres points d’achoppement : une fiscalité dissuasive et un ticket d’entrée jugé trop onéreux par certains pour ce qui n’est encore qu’une expérimentation de trois ans - cinq avaient initialement été envisagés. Le fantasme des casinos à Paris est un vieux serpent de mer. Depuis un siècle, la règle générale est celle de l’interdiction des jeux d’argent afin d’éviter les troubles à l’ordre public. A l’exception de celui d’Enghien (Val-d’Oise), les casinos sont prohibés dans un rayon de 100 kilomètres autour de la capitale. Une dérogation permet cependant au ministère de l’Intérieur d’autoriser certains jeux de banque, comme le poker ou le punto banco, dont le périmètre actuel a été fixé par décret en 1947.
A la Libération, la plupart des cercles de jeux ouverts dans la capitale sont confiés à des Corses, pour services rendus durant la Résistance. La surveillance de ces établissements, où se presse une foule interlope, sera assurée pendant des décennies par les Renseignements généraux (RG). Le service «courses et jeux», un des plus sulfureux de la maison, est rebaptisé ironiquement «Corses et jeux». C’est la grande époque du cercle Wagram, de l’aviation Club de France et du cercle Concorde, tous tenus en sous-main par des clans insulaires.
(source : liberation.fr/Emmanuel Fansten , Willy Le Devin)