Casino. La reconversion du chai à vin en complexe de loisirs a fait couler beaucoup d’encre. Rencontre avec l’homme à l’origine du projet.
L’annonce de l’implantation d’un casino sur la presqu’île Waddington fait beaucoup réagir depuis cet été. Francis Debrey, directeur du développement et responsable du projet du chai à vin pour le compte de l’entreprise Eiffage construction Haute-normandie, donne tous les détails.
Quel était le contexte du projet ?
Francis Debrey : « Un collectif des villes de Paris, Rouen, Le Havre, d’autres collectivités et des ports attenants ont lancé un appel à projet nommé Réinventons la Seine. Ils ont désigné 41 sites et ont appelé les acteurs économiques à faire des propositions sur le foncier et des bâtiments désaffectés ou sans usage. Nous avons trouvé le principe intéressant, du fait que nous étions libres de proposer un programme sur un ou plusieurs sujets. En deux mots, c’était : dites-nous ce que vous feriez pourvu que cela soit fiable économiquement pour une exploitation future. »
Qui a proposé un projet au Chai à vin ?
« C’est une initiative personnelle. Je suis un enfant du territoire. J’y suis né et j’y ai grandi. C’est pour moi un souvenir d’enfance fort. Je l’ai vu en fonctionnement avec tous ses réseaux de cuivre. Après, comme professionnel du bâtiment et de l’architecture, je me suis toujours dit que c’est dommage de laisser à l’abandon, aux pillages et au vandalisme, cette remarquable structure. C’est une affaire qui tournait en rond depuis trente ans. Quand on s’intéresse au patrimoine, on ne peut pas laisser passer l’opportunité. »
Et pourquoi l’option casino ?
« Même si je ne suis pas joueur, je me suis toujours posé la question : pourquoi il n’y en a pas ? Quel est l’état de la législation ? Je creuse le sujet et je m’aperçois qu’il y a trois critères qui peuvent rendre Rouen éligible. D’abord, il doit y avoir une ville principale dans une agglomération de 500 000 habitants. Je regarde les chiffres et nous n’en sommes plus très loin. Puis, il faut une scène nationale en partie financée par une collectivité pour l’aspect culturel. Nous avons le Théâtre des arts et le Centre dramatique national de normandie. Enfin, il faut une ville touristique et là, c’est sans discussion. Avec ces éléments, tout converge ! C’est le moment de proposer un casino. Je me suis mis à la recherche d’un architecte. Rouennais lui-même, Christophe Bidaud, de CBA Architecture, a plongé immédiatement. »
C’est donc véritablement une aventure locale ?
n « Ce seront des entreprises locales comme le bureau d’études de Bois-Guillaume où l’économiste de Déville-lès-Rouen qui le créeront, avec Eiffage et CBA. Pourquoi aller voir à l’extérieur ? On est fiers de dire qu’il y a du talent ici et on sait travailler avec eux. »
Que comprendra le site ?
« Un musée des arts forains, un espace œnologique, des bars, des restaurants, un cabaret et, bien entendu, un casino avec des espaces de jeu. En somme, un complexe de loisirs et de divertissement, avec aussi la cible des séminaires d’entreprises. J’entends bien les critiques, mais les jeux sont sous réglementation. Par exemple, les mineurs n’ont pas le droit d’y entrer. C’est très contrôlé. Et puis, le reste des espaces seront accessibles à tous, notamment le rooftop, libre d’accès grâce à un escalier, et des ascenseurs indépendants du casino. Il a pour vocation de devenir un lieu de promenade sans obligation de consommation. Au global, nous garderons l’ADN du bâtiment en y ajoutant une surélévation pour les terrasses, des liaisons verticales et un parking. Ce sera un mixte d’architecture contemporaine et de préservation du patrimoine industriel pour le mettre en évidence et le magnifier.
Sera-t-il géré en concession ?
« Oui, il sera exploité par une entreprise après consultation par la Ville de Rouen. Nous portons les murs et les mettons à disposition de la ville, qui se fera payer par un loyer. L’adjudicataire gérera l’ensemble du site, sauf peut-être l’espace œnologique pour lequel nous sommes en contact avec les caves Pierre Noble de Rouen. Nous sommes aussi en contact avec le musée des Arts forains de Paris Bercy. »
L’opération est-elle fiable ?
« Bien entendu ! Pour nous, en dehors du projet exceptionnel que cela représente pour l’entreprise, c’est un investissement de 49,5 millions d’euros. Sur un chantier de deux ans, la construction fera travailler des centaines de personnes d’Eiffage et aussi des sous-traitants. Après, pour l’exploitation et sur la base de celui de Forges-les-Eaux, le casino dégagera un chiffre d’affaires important taxé par les collectivités. Au bas mot, la ville de Rouen touchera 3 millions d’euros par an. Pas négligeable, alors que les dépenses publiques sont contraintes. D’autre part, l’exploitation créera environ 350 emplois directs, sans compter les prestataires et les fournisseurs. Le complexe va attirer énormément de monde et mettre la Métropole Rouen normandie dans une autre stature. C’est une opportunité d’avoir un élan économique. Cela fait l’unanimité chez les politiques et les acteurs économiques. Cela fera du bien à tout le monde. »
Que répondez-vous aux critiques ?
« C’est normal qu’il y ait des opposants, mais c’est surtout sur un aspect moral. Des déclarations avec des grandes phrases. Le casino sera-t-il un lieu immoral ? On peut aussi proposer d’autres projets, mais seront-ils viables économiquement... J’ai entendu parler d’une proposition d’un grand musée d’art contemporain. Je ne suis pas contre, mais prenez le Louvre, premier musée au monde avec 10 millions de visiteurs. Son budget annuel est de 191 millions d’euros et sa billetterie ne couvre pas les charges de personnel. On peut toujours rêver ! Il ne faut pas rester sur des clichés et des images anciennes. Les nouveaux casinos accueillent toutes les classes et pas uniquement les millionnaires. Il faut aussi savoir qu’on peut uniquement y passer un bon moment sans jouer. Alors oui, on peut jouer les vierges effarouchées et regarder les autres faire. Le casino sera complémentaire des autres activités, dans une concurrence positive. »
Le projet est-il prêt à démarrer ?
« Il faut compter environ 18 mois pour la conception. En parallèle, il nous faut obtenir le permis de construire. Après, nous lancerons les appels d’offres et les travaux pourront débuter. Nous avons tous les soutiens locaux, alors seule l’autorisation du Ministère de l’Intérieur pourrait faire capoter le projet. C’est à la Ville de s’en occuper. Mais, on n’envisage pas un tel refus. Ce n’est pas dans l’air du temps, avec le dialogue sur le développement économique. »
(source : paris-
normandie.fr)