Colloque à Valenciennes : le jeu problématique une addiction ?
Jean-Pierre G. MARTIGNONI-HUTIN
Président fondateur de l’Observatoire des jeux (ODJ) fondé avec
M.Valleur ( Directeur du centre Marmottan) et C.Bucher ( psychiatre)
Jean-pierre.martignoni@univ-lyon2.fr
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· Un important colloque sur la question du jeu se déroulera à Valenciennes
les 5,6 avril 2017 au théâtre d'Anzin. Organisé par le GREID (Association
GRoupe Ecoute Information Dépendance) Franck Hugot (directeur du Greid)
Elise Bourdin (éducatrice spécialisée) Inès Roux (Psychologue) en sont les
organisateurs. Ces deux journées, soutenues par Valenciennes Métropole,
traiteront de la problématique des jeux de hasard et d’argent » à travers «
le prisme » du jeu excessif, addictif, compulsif… : « Quand jouer n’est plus un jeu»
· Logiquement, la plupart des intervenants sont des acteurs régionaux,
soignants, psychologues, médecins, thérapeutes, cadres de santé,
éducatrices spécialisées…Mais un certain nombre de personnalités ont
accepté d’y participer, notamment - et c’est a souligner - Jean-François
Vilotte, mais également : Pr Robert Ladouceur (professeur émérite de
psychologie, université de Laval, Québec) Dr Marc Valleur, psychiatre,
Centre médical Marmottan. On trouve aussi la police des jeux, des
opérateurs, J. Lefebvre pour le PMU ; Richard Fricher & Carine Boucau,
MCD au célèbre casino régional de Saint Amand les eaux, bastion historique
du groupe fondé par Isidore « Partouche ».
· Cette diversité donne à cette manifestation un caractère national,
d’autant qu’elle se déroule dans un contexte particulier (élections
présidentielles, important rapport de la Cour des Comptes pour refonder la
politique Des jeux de la France, rapport Myard/Juanico, projet sécuritaire
d’identifier des millions de joueurs pour soi-disant lutter contre
l’addiction, le jeu des mineurs, les interdits de jeu, le blanchiment
(LAB/FT)…) Ajoutons, pour souligner que ce colloque est en phase avec
l’actualité du gambling et du e.gambling, une offensive générale
de la Française des jeux pour attirer de jeunes joueurs, placer ses pions
sur les paris sportifs à cote fixe et le live betting dans son
réseau de proximité, au grand dam de la filière hippique. L’opérateur
historique des loteries - qui met en avant sa politique de jeu responsable
et de lutte contre le jeu compulsif, le jeu des mineurs - pourrait être
accusé dans cette affaire de double langage et d’abus de position
dominante, notamment par Bruxelles) (1)
· Ironie de l’histoire dans cette belle région du Nord - Pas-de-Calais, –
région très joueuse particulièrement touchée par la crise économique - la
Française des jeux championne de la lutte contre le jeu excessif (sic)
teste actuellement le «ticket à gratter digital»( Illiko Live) En
fusionnant le jeu de grattage avec le jeu numérique, l’opérateur vise
clairement une population jeune qui joue déjà sur mobile à des jeux type
Candycrush ou Clash of Clans...
(Confer l’interview de Stéphane Pallez, présidente-directrice générale
de la FDJ, réalisée par Christophe Caron dans La Voix du Nord du
07/02/2017)
· Ajoutons pour conclure (et c’est une invitation supplémentaire à
participer à ce colloque) que les organisateurs ont eu l’intelligence de ne
pas fermer les débats, comme c’est souvent le cas en matière de jeu
pathologie maladie. Ils posent en exergue une question épistémologiquement
pertinente, dont tout le reste dépend en réalité : le jeu problématique une addiction ? Ce doute scientifique des
organisateurs est tout à leur honneur intellectuel, dans une période ou
certains s’interrogent sur « la médecine face à la post-vérité » (2) ou
d’autres condamnent le fait que « la culture scientifique est en recul dans
les médias ou, trop souvent, les raisonnements simplistes sont présentés
comme des informations incontestable » (3)
· Certes, cette question du jeu « problématique », du jeu « responsable »
et de « la recherche sur les jeux d’argent » est une question ancienne,
complexe, conflictualiste* et deux jours ne suffiront pas pour la traiter.
Mais assurément, la région Nord pas de Calais - ou l’on pleure deux fois
quand on y vient - apporte sa contribution au débat, à travers cette
manifestation.
*confer en annexe A une habile synthèse réalisée par A. Brody
docteur de
l’Université Sorbonne Paris Cité
,
qui montre ou se situe la critique scientifique contre la doxa du jeu
pathologie maladie, effectuée depuis des lustres par certains
sociologues et historiens.
*Confer en annexe B, un de nos articles qui date de 2011 mais
reste d’actualité et qui montre que la soi disante politique jeu
responsable de la Française des jeux (plus de 14 milliards de CA en
2016) masque en réalité une incitation au jeu accrue
©
Jean-Pierre G. MARTIGNONI-HUTIN,
Sociologue (Université Lumière, Lyon 2)
,
Chercheur associé au Centre Max Weber(CMW) équipe TIPO
(Travail, institutions, professions et organisations)
institut des sciences de l’homme, ISH, Lyon 2, Lyon, France, UE. Mars
2017.
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Notes :
-
(à paraître) : JP Martignoni :
« Identifier les joueurs : une mesure liberticide = Alors que le
débat sur l’identification des parieurs s’accentue, la Française
des jeux, fort de son monopole, place ses pions sur les paris
sportifs à cote fixe et le live betting ( prise de paris en direct)
dans son réseau de proximité, au grand dam de la filière hippique.
L’opérateur historique des loteries pourrait être accusé d’abus de
position dominante notamment par Bruxelles »(*)
( 8 pages, 26 notes, 6 annexes, Mars 2017)
-
« La médecine face à la post vérité » (Didier Raoult, professeur de
microbiologie à la faculté de Marseille) (Les Echos du 27/2/2017 ;
idées&débats)
-
« Plus que jamais la République a besoin de savant » Bernard Accoyer
(député LR Haute Savoie), JY Le Déaut (député PS Meurthe et Moselle),
D. Orliac(député RRD du Lot) ( Les Echos du 7 mars 2017, le point de
vue)
annexe A = extrait de l’article =
« Pour une approche du gambling en termes de jeu »
A. Brody ( revue sciences du jeu,
3 | 2015 : Questionner les jeux d'argent et de hasard
)
(…) La » passion du jeu » a depuis longtemps fait l’objet d’une
condamnation morale, que ce soit pour des raisons religieuses,
philosophiques, sociales ou politiques (voir notamment Mehl, 1990 ;
Belmas, 2006 ; Hamayon, 2012). Le penchant des joueurs pour les jeux de
hasard et d’argent – puisque que c’est de ces jeux en particulier dont
il est question – a successivement été dénoncé comme un péché (XVIIe
siècle), puis un vice (XVIIIe), avant d’être condamné comme une
violation des lois visant à réprimer cette « passion funeste »(…)
Depuis que l’Association américaine de psychiatrie (APA) a reconnu en
1980 le « jeu pathologique » comme un « trouble mental », l’étude du
gambling a commencé à être envisagé sous un angle médical. Classé à
l’époque parmi les « troubles du contrôle des impulsions » (APA, 1983 :
315), le jeu pathologique fut d’abord défini dans la nosographie
psychiatrique comme une « impossibilité de résister aux impulsions à
jouer et à un comportement de jeu qui compromet, gêne ou désorganise
les objectifs personnels, familiaux ou professionnels. » (315)
Aujourd’hui, les psychiatres parleraient davantage d’une « addiction
sans substance » ou d’une « addiction comportementale » (APA, 2013)
pour qualifier ce phénomène de dépendance au jeu, comme si c’était le
jeu lui-même qui était à l’origine de l’assuétude du joueur.(…)
C’est du moins l’analyse critique que font certains sociologues pour
remettre en cause la « doxa du jeu pathologique » (Martignoni-Hutin,
2011), n’hésitant pas à parler d’une « pathologisation » (Suissa, 2005)
pour rendre compte du discours médical à l’égard du jeu
2
. Suivant cette perspective critique, il conviendrait d’analyser la
construction sociale du « jeu pathologique » en réinscrivant l’histoire
du concept dans un processus plus vaste de « médicalisation » et de
contrôle des comportements déviants aux États-Unis (Conrad &
Schneider, 1980 ; Rosecrance, 1985) et à travers le monde (Suissa,
2008). Ce faisant, on comprend mieux comment le discours des
psychiatres américains s’est imposé à partir des années 1980 pour faire
du jeu pathologique un problème médical (Castellani, 2000), avant
d’être reconnu comme un problème sanitaire et social dans les années
1990-2000 (Suissa, 2003, 2006 ; Mangel, 2009). En parlant de
pathologisation ou de médicalisation, il s’agit non seulement de
décrire ce processus qui préside à la reconnaissance du jeu
pathologique comme une maladie ou un problème de santé publique, mais
aussi de souligner cette tendance générale à penser le jeu – y compris
celui des « joueurs sociaux » – en termes de pathologie. Selon l’INSERM
(2008 : 38) qui se réfère notamment aux travaux de Suissa : « L’usage
même de ce terme – pathologie/maladie – relève d’une idéologie de la
médicalisation, en tant que modalité de contrôle social dans la gestion
des rapports sociaux de déviance. » Face à cette idéologie dominante,
le sociologue s’efforcera de déconstruire les catégories d’usage en
matière de gambling pour redéfinir les termes du débat scientifique.(…)
Tel est précisément l’enjeu d’un article dans lequel Jean-Pierre
Martignoni-Hutin pose la question suivante : « Que peut apporter la
sociologie dans le débat sur le jeu compulsif ? » (Martignoni-Hutin,
2005) La réponse du sociologue se situe à plusieurs niveaux : une fois
le travail de déconstruction engagé sur le plan épistémologique et
conceptuelle, la sociologie interviendrait dans le débat scientifique
pour reformuler le problème, discuter les études sur le sujet et
réaliser de nouvelles enquêtes. Dans un texte plus récent,
Martignoni-Hutin (2011) pose finalement les jalons d’une « sociologie
du gambling contemporain » qui ne soit pas focalisée sur la dimension
pathologique du jeu, considérant « qu’il y a danger à aborder les jeux
d’argent à travers la problématique de l’addiction, car une fois
acceptés comme entité morbide individualisée, ces jeux sont analysés
comme des formes plus ou moins aiguës de jeu pathologique. »
(Martignoni-Hutin, 2011 : 59). Pour éviter cet écueil, il faudrait
étudier, selon lui, « la biographie du joueur, son histoire sociale,
économique, familiale, conjugale… avant de le traiter un peu facilement
de drogué du jeu. » (60) En somme, il s’agirait d’aborder la
trajectoire du joueur non plus sous l’angle de l’addiction mais de la
socialisation. Cherchant à ouvrir le débat au-delà de sa discipline,
Martignoni-Hutin plaide même pour la création d’un « observatoire
pluridisciplinaire dédié aux jeux d’argent et [à] la socialisation
ludique contemporaine » (56). Si un Observatoire des jeux (ODJ) a
depuis vu le jour en France, force est de constater que celui-ci
s’intéresse davantage aux conséquences du jeu sur un plan sanitaire (…)
annexe B
LA politique « JEU RESPONSABLE » DE LA FRANCAISE DES JEUX MASQUE EN
REALITE « UNE INCITATION AU JEU ACCRUE »
Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin ( sociologue)
(20 avril 2011)
• « Après avoir lancé « Crescendo » en novembre 2010 et « 2011 année de
rêve » en décembre, la Française des jeux (FDJ) a commercialisé « Mots
croisés » en février 2011 et quelques jours après « Créatio », un jeu
de grattage disponible uniquement sur internet. Depuis, la FDJ a lancé
:?
?
« Mille Bornes », en mars, un jeu qui n’est pas donné par les temps qui
courent (5 euros)?
?
« Poker « en avril un jeu à 3 euros qui vise à surfer sur la succès du
Poker en dur et en ligne?
?
elle annonce un deuxième tirage pour Euromillions à partir du 10 mai
2011 alors que le Loto compte déjà trois tirages hebdomadaires (lundi,
mercredi, samedi).?
?
et pour la première fois en avril 2011 un jeu consacré au tennis,
Roland Garros
• Christophe Blanchard Dignac ( PDG de la Française des jeux) peut se
réjouir, ses équipes marketing font preuve d’une imagination débordante
pour lancer en permanence de nouveaux « jeux » et notamment des jeux de
grattage. Peut-être faudrait-il parler de « produits », de « coups
marketing » tant l’intérêt ludique de ces jeux paraît parfois
restreint. Il s’agit en réalité de faire le plus d’argent possible le
plus rapidement possible en jouant, coté joueur sur la tentation du «
je vais essayer au moins une fois », coté médias sur « le buzz de la
nouveauté ». Agences de presse et médias jouent en effet un rôle
considérable dans ces lancements en reprenant pro domo les nombreux «
communiqués de la FDJ » (nonobstant les budgets publicitaires
considérables qui accompagnent ces lancements). Le fait que par
ailleurs la FDJ « arrose » en permanence de ses publicités de nombreux
journaux ( locaux et nationaux) et organes d’information ( radio,
télé), favorise objectivement ce curieux prosélytisme ludique, opéré
gratuitement par les médias à chaque nouveau jeu de la FDJ. La
directrice de la communication de la FDJ (Laetitia Olivier) ne cache
pas qu’elle doit jongler entre des métiers très différents dont «
influence ( lobby, presse) » ( cité par Stratégie .fr du 27 janvier
2011)
• L’opérateur historique avait déjà surperformé en 2010 (+5,5 %) en
dépassant pour la première fois la barre symbolique des 10 milliards.
Avec une telle politique, l’opérateur « publique » atteindra facilement
le taux de croissance de 3% qu’il s’est fixé pour 2011 et sans doute le
dépassera-t-il. Mais de tels résultats ne tombent pas du ciel. Ils
proviennent de « l’activisme commercial » de la FDJ. Christophe
Blanchard Dignac court donc le risque de subir des critiques pour «
cette incitation au jeu particulièrement prononcée », alors qu’il
affiche par ailleurs une politique éthique de jeu responsable.
• Ainsi, certains esprits critiques pourraient accuser le PDG de la
Française des jeux de surfer et même d’exploiter sans vergogne une
crise économique qui perdure. Les Français en grande difficulté
financière cherchant plus que jamais à « décrocher le pactole » pour «
changer de vie » , « se refaire », ou tout simplement pour essayer «
d’améliorer l’ordinaire ». Un ordinaire de plus en plus affecté par
l’augmentation des prix, la dépression économique mondiale, l’
imposition fiscale locale et nationale en perpétuelle augmentation ;
sans oublier l’arrivée inflationniste de l’Euro dont nos concitoyens ne
se sont toujours pas remis. Conscient de cette situation ( parfois
dramatique pour les catégories populaires et désormais aussi pour les
classes moyennes) CB Dignac exploiterait sans le dire, la théorie de la
pauvreté de certains économistes spécialisés dans le gambling : plus on
est pauvre plus on joue.
• D’autres pourraient soupçonner le « patron » de la Française des jeux
de n’avoir guère l’esprit public, de ne pas avoir le sens de l’intérêt
général, mais d’agir en réalité, comme « la pire des entreprises
privées », exploitant jusqu’à la corde dans une vision courtermiste, un
précieux patrimoine ludique qui ne lui appartient pas, contribuant
ainsi à « tuer la poule aux œufs d’or » de Bercy, tout en piétinant
sans vergogne un « principe de précaution » longtemps instrumentalisé
pour freiner l’ouverture à la concurrence et combattre les directives
européennes. Même si elle a depuis retourné sa veste ( et d’une belle
manière) la FDJ a longtemps mis en avant sa politique de jeu
raisonnable pour tenter de prouver que la meilleure façon de lutter
contre le jeu pathologique était de maintenir le monopole, qui existe
encore en matière de loteries et de jeux de grattage.
• Mais c’est justement sur ce terrain du jeu responsable, du jeu
pathologie maladie, de la responsabilité sociale de l’entreprise
Française des jeux (RSE), que Christophe Blanchard Dignac pourrait en
final être montré du doigt, mis en accusation et en contradiction, et
cela sur trois registres
1/ Le premier concerne la « dangerosité » des jeux que vend
l’opérateur historique à travers un réseau très dense de distributeurs
(35800) Le chercheur Jörg Häfeli a établi « un instrument d’évaluation
du potentiel de dangerosité des jeux de hasard et d’argent » (1) Parmi
les critères qui le définisse on trouve notamment :?
?
Le critère de disponibilité : la probabilité accrue de développer un
comportement de jeu problématique est directement lié à la
disponibilité d’un jeu?
?
Le critère du degré d’interactivité : dans certains jeux « le joueur
est émotionnellement impliqué », » il vit à fleur de peau la façon dont
se prépare l’issue du jeu » . J. Häfeli précise « on observe cela pour
les loteries dont le tirage s’effectue en direct à la télévision «?
?
Le critère de mise sur le marché : une mise sur le marché à grande
échelle entraine une banalisation du jeu. Cette normalisation favorise
l’excessivité. La routine se substitue à la réflexion critique précise
par ailleurs deux autres chercheurs Meyer & Hayer ( 2005)?
?
Le critère de l’anonymat : le potentiel de risques de jeu excessif
s’élève avec le degré d’anonymat d’un jeu car le joueur ne craint
aucune stigmatisation. L’anonymat supprime l’effet modérateur du
contrôle social induit dans le fait de déclarer son identité, comme par
exemple quand on joue dans un casino. En outre cet anonymat rend plus
difficile la prévention, précise J. Häfeli.
Contre toute attente on s’aperçoit que ces critères correspondent
exactement aux caractéristiques des jeux de la FDJ, notamment des
loteries et des jeux de grattage. Les jeux de l’opérateur historique
possèdent objectivement un potentiel addictogène important et ne
correspondent pas à une offre « douce ». A l’avenir et notamment si
l’Observateur des jeux fonctionne comme un véritable Observatoire
scientifique et non comme une simple Commission, la FDJ devra faire
avec des instruments d’évaluation objectifs et ne pourra plus définir
elle même la dangerosité ou l’innocuité de ses produits. Les jeux
considérés comme les plus dangereux étant avant tout dans l’imaginaire
du joueur freudien véhiculé par la doxa du jeu pathologie maladie (
financée par la FDJ), les jeux de casino (roulette, black-jack,
machines à sous, poker) et les paris hippiques.
2/ Le deuxième registre concerne plus largement les études
sur le jeu. La Française des jeux essaie depuis deux ans ( avec une
accélération depuis la libéralisation des jeux en ligne) de verrouiller
entièrement le volet « recherche sur le jeu pathologique ». Elle
finance le centre du jeu excessif de Nantes à hauteur de deux millions
d’euros sur 8 ans, soit la bagatelle de 13,11 millions de nos bons
vieux francs. La FDJ est le « partenaire fondateur » du centre de
Nantes. Ce n’est pas pour rien et ce n’est pas hasard qu’elle a fondé
ce centre, auto proclamé centre de référence sur le jeu excessif. Sans
la FDJ il n’existerait pas.
Ce scandaleux conflit d’intérêts n’a jamais été dénoncé dans les
médias à une exception près : Claire Legros dans l’hebdomadaire la
Vie (confer annexe ci dessous )
La Française des jeux vient par ailleurs soudainement de verser 270 OOO
euros à deux universités parisiennes pour verrouiller un volet plus
large gambling & sciences sociales. Christophe Blanchard Dignac
instrumentalisant à cette occasion certaines conclusions de l’expertise
Inserm, qui invitaient les pouvoirs publics ( et non les opérateurs !)
à mener des recherches sur les jeux d’argent et à installer un
Observatoire des jeux. La également les circonstances et les raisons de
ce « financement parisien » soudain sont loin d’être clairs. Ne parlons
même pas de l’enquête sur « le caractère addictif des jeux en ligne »
réalisée par MM. Ladouceur/Lejoyeux à Bichat et financée également par
la FDJ. Les conflits d’intérêts semblent se cumuler dans le champ
ludique vu que Michel Lejoyeux fait partie dans le même temps de la
Commission n° 1 de l’ARJEL. Quant au psychologue cognitiviste Robert
Ladouceur ses rapports incestueux avec Loto Québec ( qui se chiffrent
en millions de dollars canadiens) ont été dénoncés depuis des lustres
(2) et les résultats de ses études sur le jeu pathologique ont été
critiqués.
Il y a bien, au niveau de la recherche sur le jeu, la mise en place par
Christophe Blanchard Dignac d’un « Plan B », sans Comite consultatif du
jeu et sans Observatoire. La Française des jeux finançant la
quasi-totalité des études en cours sur les jeux d’argent, nonobstant «
sa commande à l’AFNOR », visant à auto définir la notion de « jeu
responsable » pour mieux la contrôler. Toutes ces actions et tout cet
argent engagé par l’opérateur ont pour but de court-circuiter
l’Observatoire des jeux, avant même qu’il ne soit installé et sans
doute même au départ, pour qu’il ne soit jamais installé. La FDJ est en
conflit intérêts jusqu’au cou dans cette affaire. Christophe Blanchard
Dignac continue avec de gros moyens financiers son travail de
verrouillage pour occuper tout le terrain : financement de la doxa du
jeu pathologie maladie, communication permanente, instrumentalisation
des agences de presse (et donc des médias) sur la question du jeu
responsable… On est visiblement face à un plan stratégique parfaitement
concerté.
Certes, depuis le 11 mars 2011 l’Observatoire des jeux (ODJ) a été
installé. Mais sa composition semble pour l’instant confirmer les
craintes que nous avons exprimées ( 3 ). A savoir que les les pouvoirs
publics ont cédé à la tentation de mettre en place de manière délibérée
un Observatoire « croupion » Actuellement (la qualité des personnes
n’est pas en cause) l’Observatoire des jeux ressemble davantage à une
Commission, à un COJER bis, qu’à un Observatoire scientifique des jeux
de hasard. L’ODJ apparaît en outre strictement mono-disciplinaire et
centré uniquement sur le jeu pathologie maladie.
Pour remettre les compteurs à zéro en matière de recherches sur le jeu
il aurait fallu dès le départ doté l’observatoire de moyens qui soient
à la hauteur des enjeux scientifiques et statistiques du secteur, c’est
à dire avec un budget au moins aussi important que celui de
l’Observatoire des drogues. Au lieu de ça « le cabinet » nomme Jean
Michel Costes à l’Observatoire des jeux ( la également la qualité, et
en l’occurrence vu le cumul des fonctions, les qualités de la personne
ne sont pas en cause) qui est déjà… directeur de l’Observatoire des
drogues.?
3/ Nous l’avons vu, la FDJ en fait beaucoup en matière de jeu
responsable mais elle en fait sans doute trop. Cela nous permet
d’aborder le troisième registre sur lequel le PDG de la Française des
jeux pourrait être mis en contradiction…en accusation. Nous pensons que
cet engagement en matière de RSE cache une autre réalité. La politique
jeu responsable de Christophe Blanchard Dignac serait beaucoup moins
éthique qu’elle ne veut bien le dire. Elle aurait en réalité pour
fonction de cacher un activisme commercial & marketing forcené. La
FDJ met en avant depuis deux trois ans une politique des jeux
raisonnable, « finance ses ennemis » (les anti jeu de la doxa du jeu
pathologie) pour mieux les contrôler, mais dans le même temps se lance
dans une course effrénée à la croissance, jamais vue depuis sa
création.
En final la politique éthique mis en œuvre par CB. Blanchard Dignac
aurait pour conséquence en réalité – sous couvert d’une action visant à
lutter contre le jeu excessif et le jeu de mineur – de produire plus de
jeu. Habile stratège le patron de la FDJ aurait profité du débat sur le
jeu pathologique, de l’inquiétude des pouvoirs publics en matière de
santé publique, non pas pour mettre la pédale douce en matière de
développement mais au contraire pour accélérer sa croissance tout
azimut.?Si notre hypothèse se vérifiait, cela voudrait dire que la
politique de jeu responsable mis en œuvre par CB Dignac des deux
dernières années va produire en final… du jeu pathologique ! Les
meilleures preuves de cette démonstration se situent dans les résultats
de l’opérateur. Si la FDJ a réussi contre toute attente en pleine crise
économique à augmenter son volume d’affaire, c’est parce qu’elle a très
fortement boosté son offre de jeux en ligne et surtout en dur et
qu’elle continue à le faire à marche forcée
En final, certains pourront considérer que le PDG de la FDJ –
responsable mais pas coupable – n’est après tout qu’un grand commis de
l’Etat qui fait très bien son travail et remplit avec zèle les caisses
du Trésor Public. Reste à savoir de quelle marge de manœuvre CB Dignac
a disposé dans cette affaire et si elle n’a pas été trop grande
justement. Reste à savoir si la politique des jeux de la France doit se
décider à Bercy ou dans la forteresse de Boulogne (siège de la FDJ).
Reste à savoir si les excès de zèle du patron de la FDJ, sa politique
expansionniste, sa boulimie ne sont pas en contradiction avec la
politique des jeux responsable affichée par le gouvernement depuis
quelques années, et inaugurée par Nicolas Sarkozy avec les casinos
quand il était Ministre de l’Intérieur (mise en place d’un contrôle aux
entrées obligatoire pour les machines à sous).?
D’autres considèreront que ce n’est pas un problème de « personnes » et
que les vraies questions sont les suivantes : « L’industrie des jeux de
hasard et d’argent est elle compatible avec les notions de jeu
responsable et de développement durable ? « ( Martignoni 2010), «
Comment réussir à concilier une politique responsable de développement
des activités de jeux ? » ( Peano 2010) « L’éthique dans l’industrie du
jeu, quels enjeux et quelle crédibilité ? « (Massin 2010) , « La
gestion des jeux de hasard et d’argent : une perspective éthique ? «
(6) Ces problématiques, certains chercheurs spécialisés dans le
gambling les posent depuis longtemps dans des colloques et
publications. La puissance publique pourrait s’en inspirer.
Quant à la question du financement par l’industrie du jeu de la
recherche sur le jeu excessif (une convergence d’intérêts primaires qui
entraîne un conflit intérêts que la Française des jeux connaît bien) la
également les chercheurs ont travaillé la question (Hurst, Mauron ,
2010) (7) Monsieur Blanchard Dignac pourrait s’en inspirer. Potius sero
quam numquam* »
* Mieux vaut tard que jamais
© JP Martignoni , 20 avril 2011
CQFD = quelques heures après que le présent article soit terminé, la
Française des jeux lançait UN NOUVEAU JEU DE GRATTAGE : ROLAND GARROS.
Ce nouveau jeu conforte l’analyse de la présente contribution.
Rappelons que la FDJ propose 19 jeux à gratter , secteur qui a rapporté
4,29 milliards d’euros en 2010 en progression de 10,6%. Le jeu Cash 500
000 euros à lui seul, rapporte 1,189 milliards d’euros. Cette frénésie,
cet activisme commercial forcené, cette incitation au jeu accrue
pourraient un jour être reprochée à Christophe Blanchard Dignac ( le
PDG de la FDJ) qui met en avant non sans une certaine duplicité, « une
politique des jeux éthique, raisonnable et responsable »(sic)
————
Notes
?(1) Jörg Häfeli : « Un instrument d’évaluation du potentiel de
dangerosité des jeux de hasard et d’argent » (75-91) In C. Dunand, M.
Rihs-Middel, & O. Simon (Eds.), Prévenir le jeu excessif dans une
société addictive : D’une approche bio-pscho-sociale à la définition
d’une politique de santé publique. Genève : Éditions Médecine &
Hygiène., 2010
(2) Pierre Desjardins : « Le livre noir de Loto Québec « ( Les
intouchables Montréal, Québec, 2003)
(3) JP Martignoni : « Il ne faut surtout pas que l’Observatoire soit un
Observatoire croupion »* (IGAmagazine n°9, avril 2011, 42-45) ;
Communiqué sur l’observatoire des jeux de hasard et d’argent annoncé
par un arrêté du 11 mars publié au journal officiel ( 13 mars 2011) ( 2
pages, 21 mars 2011)
(4) Isabelle Toussaint : « Hippisme : trop de courses tue les courses «
( dépêche AFP du 12 mars 2011)
(5) « Les jeux d’argent en ligne : un an après son adoption quelle mise
en œuvre de la loi sur la libéralisation des jeux d’argent en ligne «
(Colloque Agora Europe organisé par JF Lamour et F. Trucy, Paris,
Maison de la Chimie, 22 mars 2011)
(6) JP Martignoni : L’industrie des jeux de hasard et d’argent est-elle
compatible avec les notions de jeu responsable et de développement
durable ? : intérêts, contradictions et enjeux » ( 226-232) Valérie
Peano : « Comment réussir à concilier une politique responsable de
développement des activités de jeux avec une industrie globale de plus
en plus performante ? (233-237) Sophie Massin : « « L’éthique dans
l’industrie du jeu, quels enjeux et quelle crédibilité ? «
(213-218)Magali Brodeur : « La gestion des jeux de hasard et d’argent :
une perspective éthique ? « ( 219-226) Ces quatre article se trouvent
dans l’ouvrage collectif : C. Dunand, M. Rihs-Middel, & O. Simon
(Eds.), Prévenir le jeu excessif dans une société addictive : D’une
approche bio-pscho-sociale à la définition d’une politique de santé
publique. Genève : Éditions Médecine & Hygiène., 2010
(7)Samia A. Hurst, Alex Mauron : « Financement industriel de la
recherche et conflits d’intérêts », (241-248) ibid. : C. Dunand, M.
Rihs-Middel, & O. Simon (Eds.), Prévenir le jeu excessif dans une
société addictive : D’une approche bio-pscho-sociale à la définition
d’une politique de santé publique. Genève : Éditions Médecine &
Hygiène., 2010
Annexe
«
Conflit d'intérêts dans l'univers du jeu = Un congrès international
francophone d’addictologie s'ouvre à Nantes demain 6 octobre. Une
initiative financée principalement par… la Française des jeux ».(
CLAIRE LEGROS publié le 05/10/2010 dans La Vie)
« Du 6 au 8 octobre, les médecins spécialistes de l’addiction aux jeux
d’argent ont rendez-vous à Nantes pour un congrès international. Une
initiative louable au moment où le marché des jeux en ligne explose en
France, mais dont l’organisation pose question. En effet, c’est la
Française des jeux (FDJ), premier opérateur français des jeux d’argent
(10 milliards d’euros de CA en 2009), qui est le principal partenaire
financier de l’organisateur du congrès. Le deuxième n’étant autre que
le PMU. Le rapprochement date de 2007. À l’époque, la FDJ souhaite
cultiver une image d’industriel responsable et cherche des partenaires
du côté médical. Elle approche plusieurs services spécialisés dans le
traitement des joueurs pathologiques et propose des financements. À
Nantes, le partenariat aboutit à la création d’un Centre de référence
sur le jeu excessif (CRJE), financé à hauteur de 250 000 € par an par
la FDJ et de 70 000 € par le PMU, l’hôpital mettant à disposition son
personnel médical.
Des experts de l’addiction financés par les opérateurs de jeux…
Alors, comment garantir l’indépendance de leurs travaux de recherche?
Interrogés, la directrice du centre de Nantes, Christelle Andrès, ainsi
que Raymond Bovero, à la FDJ, mettent en avant la convention signée
entre les partenaires. Christelle Andrès reconnaît qu’il serait
"souhaitable pour le centre de renforcer les garde-fous en développant
les crédits publics et en devenant une fondation". Pour Jean-Pierre
Martignoni, sociologue du jeu à l’université Lyon-II, "le conflit
d’intérêts est patent, comme lorsque la FDJ finance une étude à
l’hôpital Bichat pour évaluer le caractère addictogène des jeux en
ligne". Pour en sortir, plaide-t-il, "il faudrait un engagement fort de
l’État et la création d’un observatoire indépendant". ??Problème :
l’État, dont la mission est de protéger les joueurs fragiles, est aussi
l’actionnaire à 70 % de la FDJ. Conflit d’intérêts ou grand écart…
faites vos jeux ! « » CL