tabac, paquet neutre…et après ? les jeux d’argent neutres ?
Jean-Pierre Martignoni, sociologue
(Centre Max Weber, Université Lumière ,Lyon 2)
Mal nommés, vu les photos chocs et le slogan qui les recouvrent, les paquets de cigarettes « neutres » sont déjà chez les buralistes. Les 16 millions
de fumeurs n’ont bien entendu guère d’arguments à opposer vu la dangerosité de la plante, régulièrement soulignée par les cancérologues. Le travail des
débitants sera plus compliqué. Qui s’en soucie ? Les conséquences économiques sur les cigarettiers ? Qui s’en préoccupe ? Ces piliers de « l’industrie
du vice » (alcool, tabac, jeux d’argent) ne sont pas en odeur de sainteté… même s’ils créent des emplois.
La curieuse disparition du taux de nicotine et de goudron sur les paquets neutres constitue déjà un argument plus sérieux, comme l’augmentation
probable du marché parallèle (déjà très importante : 27% en 2015 ) indiquant que nous sommes entrés dans une néo-prohibition qui historiquement a
toujours profité aux mafias, petites ou grandes.
Le pétard oui, la clope non !!!
Par ailleurs l’opinion publique, qui n’est pas composée que de fumeurs, pourrait ne pas comprendre cette mesure extrême, dans un moment où le
gouvernement ouvre de coûteuses et contestables salles de shoot, et où Jean Marie Leguen et Terra Nova demandent haut et fort la légalisation et la
dépénalisation du cannabis, comme si c’était une priorité nationale. Le pétard oui, la clope non !
Cette absence de logique dans la politique de lutte contre les addictions avec substance, son caractère socialement et culturellement ethnocentré,
risquent d’irriter nos concitoyens, déjà très remontés contre le Président, le gouvernement, les socialistes, les élites… accentuant le désir d’un
grand soir lepéniste, mélanchoniste ou populiste.
Paquet de tabac neutres, boissons alccolisées neutres….jeux de grattage neutres
Mais le risque le plus grand concerne le « principe de précaution » et ses conséquences sur l’économie s’il était généralisé. Après le paquet neutre
pourquoi pas les voitures neutres, les boissons neutres, les jeux d’argent neutres, les aliments neutres ? On imagine à quoi ressemblerait le parc
automobile, si les voitures affichaient un «Rouler tue », avec photos bien sanglantes d’accidentés de la route à l’appui. Idem en matière de boissons
où les alcoologues, considérant le slogan actuel insuffisant et vieillot, imposeraient de nouvelles mesures liberticides. Bouteilles identiques,
disparition des logos, couleurs et slogans, pour neutraliser les singularités fortes des différentes marques. Une phrase choc imprimée sur chaque
flacon - Boire tue - que personne ne pourrait contester, complèterait le dispositif, ainsi que des photos horribles de têtes avinées ou de foie
cirrhosés. Quant aux jeux d’argent, les jeux de grattage notamment, ces petits tickets du bonheur très colorés - vache à lait de la FDJ - on peut
supposer que leur neutralisation permettrait diminuer cet « impôt sur les imbéciles » tout en luttant contre le jeu pathologique, nouveau relais de
croissance des addictologues.
Pour tous les autres produits de consommation courante, assurément les activistes du principe de précaution trouveront les slogans et les endroits
adéquates pour les exposer notamment sur les produits alimentaires, les boissons gazeuses….
Il est où le bonheur, il est où ? »
Au final, il est de l’ordre du possible, non pas que l’opinion demande aux hommes politiques d’afficher « la politique tue » sur leur propre personne,
mais qu’une majorité de nos concitoyens en conclut que la généralisation du principe de précaution et du politiquement correct, les invitent à « tuer
le politique » tant il est vrai qu’il annihile progressivement les libertés, incapable qu’il est de traiter des vraies questions : emploi, pouvoir
d’achat, fiscalité, épargne, retraite, criminalité, pollution de l’air qui - comme le tabac – va dans les poumons…
Christophe Mae chante actuellement « il est où le bonheur, il est où ? » tube qui connaît un grand succès et donne peut-être plus à voir sur notre
société que certains indices (indice de confiance, du bonheur…). En écoutant cette ritournelle, on peut s’interroger. Si les Français étaient tous en
CDI, mieux payés, avec une bonne retraite, s’ils payaient moins d’impôts, voyaient leur épargne correctement rémunérée ….bref s’ils étaient un peu plus
heureux, peut-être consommeraient-ils moins d’alcool, de médicaments… et de tabac ?
Jean-Pierre Martignoni, sociologue. (Centre Max Weber, Lyon 2)
Ps : cet article est le texte « intégral » d’une contribution qui a été publié – « pour partie » - dans le quotidien Les Echos.fr du 25/10/2016. Seul
le titre a été changé et des intertitre ont été ajoutés