Du croupier au patron, avec les fiscards ripoux, tout le monde détournait la recette.
Le mécanisme mis en place au casino de namur était simple comme bonjour. Il a permis, sur 20 ans, entre 1983 et 2004, une fraude sur un montant évalué à plus de 50 millions d’euros. Et, visiblement beaucoup y trouvaient leur compte. Du simple croupier à l’administrateur-délégué, en passant par les chefs de salle chacun recevait sa part du gâteau dans de discrètes enveloppes. Mais ce système bien huilé n’aurait pas pu être mis en place sans la complicité des agents du fisc chargés de contrôler le casino. Chacun recevait 500 euros par mois pour fermer les yeux lors des contrôles journaliers des recettes du casino.
Hier, tout ce petit monde était convoqué devant le tribunal correctionnel de namur pour rendre des comptes. Ils sont 49 sur le banc des prévenus pour un procès qui se poursuivra, à raison d’une audience par semaine, jusque la fin de l’année.
Les casinos ont un fonctionnement bien particulier. En fin de nuit, les comptes sont réalisés. Les recettes sont rassemblées dans une caisse et comptés en présence d’un agent du ministère des Finances venu sur place. Un bordereau, signé par le fonctionnaire, en atteste. C’est sur cette base que le casino est imposé. Encore faut-il que les fiscards soient honnêtes : à namur, ce n’était pas le cas…
Selon l’ex-directeur général du casino, Albert Ancion, la combine a été mise en place en 1983 par le patron du casino, Joseph Khaida, décédé en 2000, date à laquelle son fils Armand, qui l’épaulait de longue date lui a succédé. Tous les prévenus s’accordent à dire que Joseph Khaida - que tout le monde, même son fils Armand, désigne par "M. Khaida" - était un sacré personnage. Il en imposait. Quand il parlait, tout le monde se taisait et s’exécutait. "En le regardant, les gens pouvaient se sentir menacés", concède son fils qui est formel : il n’était pas violent. On chuchotait qu’il avait le bras long. Ce qu’il laissait lui-même entendre. On disait sous cape qu’il était de la mafia. Il avait débuté dans les casinos dans l’Algérie française et affirmait, à qui voulait bien l’entendre, qu’il n’avait jamais eu de problèmes, graissant la patte de l’OAS et des Fellaghas.
Albert Ancion dit avoir voulu au départ s’opposer à la combine de "M. Khaida". Mais que confronté à un "Attention, on peut tomber dans les escaliers" et les assurances que le chef des agents du fisc était dans la poche de son patron, il s’est laissé convaincre. "Voilà comment un homme qui a essayé de s’élever par le travail se retrouve dans un cercle vicieux, dont il ne sortira que quand il sera à la prison de Jamioulx. J’assume mon erreur", dit aujourd’hui cet homme de 74 ans qui "a tout perdu, même ma maison, saisie". Selon lui, le "noir raisonnable" détourné chaque jour était encore de 2200 euros en période de vaches maigres.
Armand Khaida a commencé à 21 ans à travailler avec son père. C’est notamment lui qui convoyait l’argent détourné en France. Il a été une fois intercepté avec 100 000 euros à la douane. C’était aussi un joueur invétéré. Une société de tiercé a fait le décompte de ce client en or : entre 1988 et 2004, il a misé près de 15 millions d’euros et en a perdu 4 millions. Ce qu’il conteste, affirmant avoir accumulé les gains.
Six agents du fisc sont poursuivis pour avoir fermé les yeux - pendant 20 ans pour certains - contre rétribution. Ils parlent, sans convaincre, de pressions, d’avoir été mis devant le fait accompli, d’avoir "suivi le mouvement" de ne plus pouvoir faire marche arrière, une fois pris dans l’engrenage, d’avoir cru les assertions de "M. Khaida" selon lesquelles ils pourraient bien être mutés à Arlon. D’autant, dira l’un, qu’il voyait son chef, titubant les samedis au casino, tellement ivre que le portier ouvrait les deux battants de la porte d’entrée pour qu’il ne se cogne pas.
Le système a tourné 20 ans. "M. Armand" affirme avoir voulu y mettre un terme au décès de son père. Selon ses dires, cela a duré 8 mois car les employés avaient lancé un système parallèle car "ils ne pouvaient se passer de leur salaire B". "A deux, c’est difficile de garder un secret. A quarante-neuf, c’est inéluctable", dit-il. Mais ce n’est pas un prévenu qui a dénoncé la combine en 2004. C’est une joueuse.
(source : lalibre.be/JACQUES LARUELLE)