« La dépendance au jeu est une drogue »
À l'initiative de deux médecins, un sociologue et un avocat, un Observatoire des jeux a vu le jour, en décembre. Il s'intéresse à toutes les formes de jeux (argent, vidéo) pour mieux comprendre et prévenir les dépendances. Psychiatre à l'hôpital Marmottan (Paris), spécialiste des conduites addictives, le docteur Marc Valleur est l'un des fondateurs.
Le jeu peut-il causer une vraie dépendance, au même titre que la drogue ?
Oui, mais c'est l'une des moins dures. Elle est décrite dans les manuels médicaux depuis très longtemps et considérée comme une maladie. La dépendance apparaît quand le jeu devient le centre de l'existence, au détriment des investissements affectifs et sociaux. Le sujet essaie de contrôler ou de faire cesser, mais n'y arrive pas.
Que sait-on du nombre de joueurs en France ?
Depuis une dizaine d'années, on constate une augmentation extraordinaire de l'offre de jeu, notamment avec les machines à sous, dans les casinos. Pour lutter contre cette concurrence, le PMU développe le « course par course » en direct et la Française des jeux, des cartes à gratter, qu'elle appelle jeux d'impulsion. Tous sont potentiellement très addictifs. Pour l`État, cela rapporte autant que le budget du ministère de la Culture.
Le nombre de joueurs « accros » est en hausse, lui aussi ?
Aux États-Unis, 1 à 3 % de la population serait dépendante du jeu, soit plusieurs millions de personnes. Avec des conséquences terribles : 80 % de dépressions, près de 20 % de délinquance pour se procurer l'argent, des chèques sans provision, du surendettement... La France joue moins, mais elle est en train de rattraper son retard. Psychiatres et psychologues connaissent une augmentation des demandes d'aide venant de joueurs dépendants, de personnes surendettées, dépressives.
Et la dépendance aux jeux vidéo ?
Dans nos consultations depuis deux ans, on a beaucoup de demandes pour des problèmes d'abus ou de dépendance aux jeux vidéo en réseau sur Internet. Ce sont surtout des 15-25 ans, qui jouent à deux grands types de jeu : les premiers sont les « FPS », « first payer shooter », des jeux de tir où l'on est représenté par un bras qui tient une arme. On se déplace dans un décor en trois dimensions, il y a des ennemis, etc. Certains jeunes peuvent jouer huit-dix heures par jour pour devenir des champions. La deuxième forme est le « jeu d'aventures en univers persistant ». Le joueur est représenté par un personnage qui va gagner en habileté au fur et à mesure des aventures. Les joueurs s'associent, constituent des guildes hiérarchisées. Ce sont des jeux très captivants dans des univers qui ne s'arrêtent jamais.
Pour vous, c'est du pur divertissement qui n'apporte rien ?
Pas du tout. Ces jeux sont tout à fait intéressants, utiles psychologiquement et socialement. Même le jeu d'argent, qui est souvent très stupide appuyer sur des boutons de machines à sous ! : il permet de rêver, d'imaginer qu'on est milliardaire, on se confronte au destin. Les jeux d'action ne sont pas très élaborés, mais il faut une concentration terrible, des réflexes extraordinaires. C'est très maturant pour des enfants, des adolescents. Ils permettent de canaliser l'agressivité. Tout le monde n'est pas d'accord, mais je pense que le vrai danger des jeux vidéo n'est pas la violence : c'est de les utiliser comme des parents auxiliaires, des baby-sitters...
Que faire avec l'enfant qui passe beaucoup de temps devant son ordinateur ?
Il faut jeter de temps en temps un oeil pour savoir ce qu'il fait, discuter avec lui, jouer un peu. On a vu récemment des gens qui pensaient que le gamin était en train de devenir informaticien parce qu'il passait toutes ses nuits devant son écran ! S'il joue six heures par jour, mais qu'il est gentil, vient toujours aux repas, part en week-end, reçoit des copains et est bon à l'école, on ne va pas lui interdire le jeu pour l'obliger à regarder la télé !
Quel est le risque de devenir dépendant aux jeux d'argent ?
La pire malchance qui puisse arriver, c'est de gagner le jackpot la première fois qu'on va au casino. Là, l'irrationnel prend d'emblée le dessus : je suis élu par la chance, Dieu a posé son doigt sur moi, je suis différent des autres... C'est embêtant, car la personne va essayer de retrouver cette sensation comme le toxicomane avec son premier flash planant à l'héroïne. Mais la plupart des Français jouent sans trop y croire. Au loto, beaucoup achètent leur carte, rêvent à ce qu'ils feraient avec les millions, et une fois que le film est fait dans leur tête, le jeu a rempli son rôle. Ils n'ont pas besoin d'aller voir le résultat...
Vous venez de créer un Observatoire du jeu : à quoi va-t-il servir ?
Dans un premier temps, il va fédérer des compétences : psychiatres, psychologues, historiens, mathématiciens, juristes. Ensuite, il faudrait que l'État crée un organisme indépendant pour observer les pratiques ludiques, proposer des bonnes conduites, faire de l'information, impulser des enquêtes épidémiologiques sur les dépendances. Nos statuts prévoient que, dès ce que cela arrivera, notre association sera dissoute dans les trois jours.
(source : ouest-france.fr/Recueilli par Marc MAHUZIER)