Le récent mariage entre Accor et Barrière le prouve: le marché des casinos excite encore les financiers. Explications
Les machines à sous, un moyen de faire fortune? Non, pas en jouant, naïfs que vous êtes! Mais en les exploitant. Car chacun de ces engins – la France en compte 16 400 – rapporte en moyenne plus de 150 000 euros par an à son heureux propriétaire. Un authentique jackpot qui explique pourquoi nos casinotiers sortent périodiquement l’artillerie lourde. Dernier exemple en date: la semaine dernière, les groupes Barrière et Accor Casinos ont convolé pour donner naissance à un nouveau numéro un français des plaques et des jetons.
Ô la touchante fusion réalisée par échange de titres! «Après neuf mois de négociations, nous nous rapprochons de partenaires historiques et d’amis», exulte Dominique Desseigne, l’ex-notaire veuf de Diane Barrière et usufruitier de l’empire familial. Détenant 51% du nouvel ensemble, ce parfait «jet-setter» qui s’affiche désormais au bras de la milliardaire libanaise Mouna Ayoub accueille à son tour de table le géant de l’hôtellerie Accor (34% du nouveau groupe) et le fonds d’investissement Colony Capital, un pro américain des jeux (15%)
Bien sûr, la concurrence feint l’indifférence. Chez Partouche, le groupe familial qui dominait jusqu’alors le secteur, on se gausse: «C’est le mariage de la carpe et du lapin sous l’œil du renard américain.» «Cette fusion ne change rien», assure, de son côté, Philippe Gasagne, le patron du groupe Moliflor. Mais l’opération risque bien d’accélérer la concentration du secteur. Car, malgré la tutelle réglementaire et économique de l’Etat et des collectivités locales qui ont prélevé l’an dernier 55% du produit brut des jeux, le business des casinos fait toujours rêver les financiers. «Les casinos assurent 15 à 20% de retour sur investissement. Leurs résultats continuent de croître (NDLR: 3% l’an dernier) même pendant les années de stagnation économique», souligne Christian Rouyer, délégué général du syndicat Casinos de France. La prochaine opération? Georges Tranchant, l’ex-député RPR des Hauts-de-Seine devenu condottiere des machines à sous dans les années 1990, a laissé entendre à la presse qu’il pourrait prochainement céder une douzaine de ses établissements. Avant de se rétracter: «Ce n’était qu’une plaisanterie. Je ne suis pas réellement vendeur et je ne saurais pas quoi faire de l’argent!» Plus troublant: selon nos informations, Isidore Partouche lui même, l’homme qui a bâti un empire de machines à sous en trente ans, aurait mené des négociations avec deux pools de fonds d’investissement en vue de céder tout ou partie de son groupe fort endetté. Une info que l’ancien radioélectricien d’Alger dément farouchement – «Je préfère jouer tout seul dans mon coin» –, mais que nous maintenons.
Partouche contre le reste du monde! La bataille a commencé il y a deux ans. A l’époque, c’est Accor qui cherche à passer la vitesse supérieure en lançant une OPA sur l’Européenne de Casinos, le groupe bâti par André Der Krikorian. Mais l’hôtelier tombe sur un os: Partouche, piqué au vif, a surenchéri par deux fois. Au lieu des 52 euros par action initialement proposés, il emportera l’affaire à 66,5 euros par titre… Une aubaine pour la famille Krikorian.
Aujourd’hui, Accor réplique en faisant casino commun avec Barrière, son associé de quinze ans. Mais à qui revient l’initiative? «C’est moi qui ai eu l’idée de ce mariage qui simplifie les structures de mon groupe», assure Dominique Desseigne chez Barrière. Pas si sûr, car selon Alain Maillot, le fidèle avocat, c’est plutôt le fonds d’investissement Colony Capital, déjà actionnaire à 50% d’Accor Casinos, qui a convaincu les deux anciens rivaux de s’unir. «Tout le monde avait intérêt à ce que le deal se réalise», confirme Sébastien Bazin, directeur de Colony Capital en Europe. Doté de très gros moyens, ce fonds d’investissement associé à Eurazeo (banque Lazard), qui consent un prêt participatif de 100 millions d’euros au nouveau groupe, détient une option de vente de sa participation, exerçable entre 2007 et 2010. Objectif: empocher une jolie plus-value découlant des économies réalisées par le nouveau président du directoire, Sven Boinet, un ancien d’Accor choisi par Dominique Desseigne… Mais aussi des nouvelles autorisations de machines à sous généreusement distribuées par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy: le parc français a bondi de 10% en un an.
Une chose est sûre: d’ici trois à cinq ans, l’acquéreur du «ticket» de Colony sera Accor. Le titan de l’hôtellerie dispose d’une option d’achat qui lui permettra de se hisser à 49% du groupe Lucien Barrière. «Mais attention, je conserverai toujours la majorité, que j’ai promis de transmettre à mes enfants», prévient Dominique Desseigne, le nouveau président du conseil de surveillance, qui initie déjà Alexandre (17 ans) et Joy (11 ans) aux mystères du groupe familial.
En attendant, les grandes manœuvres ont déjà commencé pour décrocher les rares concessions ouvertes en France. A Toulouse, l’appel d’offres, annulé une première fois par un recours du groupe Tranchant, devrait aboutir au début du mois de juillet prochain. Mais le souhait de la municipalité UMP de créer «un casino haut de gamme», doté d’un restaurant gastronomique et d’une salle de spectacles de 1000 places, pourrait avantager le groupe Lucien Barrière, déjà concessionnaire, via Accor, du casino de Bordeaux.
A Lille, en revanche, Barrière paraît en moins bonne posture. C’est Partouche qui part favori pour créer, selon les souhaits de Martine Aubry, un «casino populaire» en plein cœur du quartier d’Euralille. D’autant que le groupe de Monsieur Isidore, qui contrôle plusieurs établissements dans la région, sponsorise déjà le club de foot Lille Olympique… «Bof! Pas sûr que cela suffise. Au Havre aussi, nous avons soutenu le club de foot, et ça n’a pas empêché Partouche de remporter la concession», réplique-t-on chez Barrière, qui a cessé depuis de financer le malheureux Havre Athletic Club.
Heureusement, il y a l’Europe. Après l’appel d’offres pour le casino de Bruxelles, les casinotiers tricolores guignent les établissements de jeux autrichiens et néerlandais bientôt privatisés. «Nous avons le savoir-faire», jure Christian Rouyer de Casinos de France. Mais le jeu sera plus difficile en Grande-Bretagne, où le secteur est en pleine dérégulation. «Nous sommes encore petits par rapport aux grands groupes anglo-saxons», admet Dominique Desseigne. Pour percer, il faudra conclure des alliances, réunir des montagnes de cash... Bref, les financiers ne sont pas près de s’éloigner du tapis vert.
Le groupe Barrière : fiche d’identité
Après la fusion avec Accor Casinos, le nouveau numéro un français des jeux de table et des machines (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires) contrôle 38 établissements (Enghien, Nice, Cannes Croisette...), 13 hôtels de luxe et 57 restaurants dont le Fouquet’s.Dominique Desseigne (à gauche) préside le conseil de surveillance.
Un fonds glouton
Des hôtels et des résidences pour cadres américains, des casinos à Las Vegas et atlantic City, des centaines de milliers de mètres carrés de bureaux en Asie du Sud-Est et en Chine et toute la Costa Smeralda, ex-propriété de l’Agha Khan en Sardaigne: l’énumération du patrimoine de Colony Capital laisse rêveur. En douze ans, ce fonds d’investissement créé par le businessman d’origine libanaise Thomas Barrack a déjà investi 10 milliards de dollars! «C’est essentiellement de l’argent que les fonds de pension américains nous confient», explique Sébastien Bazin, le directeur de la branche européenne qui vient de prendre 15% du groupe Lucien Barrière. Mais attention, Colony, qui assure opérer depuis le Delaware, Etat américain à la fiscalité clémente, ne veut surtout pas être pris pour un de ces «fonds rapaces» qui se rémunèrent en dépeçant les entreprises en difficulté. «Nos investissements ont une durée de dix ans. Nous sommes de véritables opérateurs industriels dans l’immobilier, l’hôtellerie et les jeux», précise Sébastien Bazin. Colony Capital entend bien multiplier les opérations en Europe, et singulièrement en France, où Tom Barrack est depuis longtemps propriétaire. Principale cible: l’immobilier professionnel parisien, «un marché aujourd’hui plus porteur que Londres…».
(source : nouvelobs.com/Sylvain Courage)