Au huitième jour du procès qui se tient devant la XIVe chambre correctionnelle de Paris, la défense de Terrazzoni, Kolingar, Tomey-Gil et Graziani a porté ses premiers coups
Entre la réalité et la fiction, entre l'histoire et la justice, entre les jeux et les lois, la bataille de Wagram s'est enflammée devant la chambre correctionnelle de Paris. Les coups de canons ont été destinés au parquet qui avait sacralisé la veille l'ordonnance de renvoi. Les écoutes et les surveillances de la journée du 19 janvier 2011 établissaient selon les policiers une reprise en main du cercle du XVIIe arrondissement qui est aujourd'hui devenu une salle de sport. Une conversation interceptée par les enquêteurs montrait que le trésorier était sommé de partir car son « ami » ne pourrait le protéger. Assommé par le réquisitoire qui demande cinq années de prison, son maintien et 50 000 euros d'amende, Philippe Terrazzoni, en praticien de la boxe, a su encaisser les coups. L'ancien collaborateur du cercle qui a été évincé en 2009 est poursuivi pour extorsion.
Pas d'extorsion en droit
C'est sur le droit que son avocat, Me Jean-Dominique Lovichi, a concentré son tir pour faire capoter les poursuites. Deux éléments nécessaires et obligatoires constituent l'infraction dans la loi : des menaces de violence et une renonciation. « Admettons que Mmes Brun et Cortini, la physionomiste et (la directrice administrative adjointe, NDLR) aient été menacées, elles n'ont pas renoncé à leur emploi, puisqu'elles étaient en congé maladie et faisaient toujours partie des effectifs lors des licenciements », argue le conseil qui rappelle le droit strict. Idem selon lui pour le trésorier Jean-François Rossi qui après avoir reçu la visite d'un groupe lui demandant de partir, n'avait pas renoncé.
« Dans une écoute téléphonique Mr Rossi qui est avec Mr Testanière demande à Patrick Navarro s'il est toujours partant pour rester : il ne compte pas partir, le délit n'est pas constitué là non plus », appuie-t-il en fustigeant une instruction à charge. Avant de viser le gros morceau : la journée du 19 janvier. « Il faudrait que le niveau des policiers augmente, puisqu'on ne sait plus compter jusqu'à huit : ils étaient sept, puisque Graziani n'était pas là. Ils ne voient même pas la sortie de Rossi, Brun et Cortini, à l'heure du déjeuner, cette surveillance est une construction intellectuelle bricolée à partir de l'interception téléphonique, ce procès-verbal aurait dû être annulé », martèle l'efficace Me Lovichi qui en déduit qu'on « ne peut pas savoir ce qui s'est passé ».
Casinos contre cercles ?
L'avocat qui regrette l'absence des témoins à la barre, affirme savoir ce qui s'est produit par la suite : Philippe Terrazzoni n'a pas repris sa place de premier collaborateur dont il avait été démis en 2009, ainsi que l'attestent des écoutes avec Marie-Françoise Tomey-Gil, où il refuse de revenir ou bien encore l'audition des 150 salariés qui n'évoquent pas son retour. Au-delà du contexte de la bataille du Wagram, le juriste spécialiste de l'univers de jeux brosse aussi une fin de règne : celle des cercles à Paris qui auraient dû être remaniés selon l'exemple londonien en casinos. « Il y a eu une opposition farouche des deux principaux groupes casinotiers qui se sont placés près des Champs-Élysées qui ont miné et aidé à la disparition des cercles », tranche le conseil qui place son client comme un « Père Goriot » dans un « dossier bancal ». Pas un « Rastignac ». Glissant un «Anous deux la relaxe » à la présidente.
Résistance corse et tentation du péché
Son confrère Me Jean-Yves Lienard, dans une plaidoirie lumineuse, aux accents bibliques, a voué aux gémonies le procès en sorcellerie contre les cercles de jeu, réduits à peau de chagrin dans la capitale depuis trois ans. « Quand Gérard Depardieu émigre en Belgique, tous les bien-pensants poussent des cris d'orfraie, mais personne ne change la loi fiscale », note le pénaliste. Il en va de même selon lui avec l'ordonnance ministérielle de 1947, rédigée à l'après-guerre pour « récompenser les Corses de leur attitude héroïque pendant la Résistance ». Selon l'avocat, à cause de cette règle obsolète, « bien sûr que de l'argent pouvait être détourné ».
Mais il brandit l'Evangile pour rappeler au tribunal que « celui qui crée la tentation commet la moitié du péché ». Ce demi-amen amuse la présidente. Mais l'homme en noir met aussi à l'index les « hypothèses du parquet brandissant dans ses tables de la loi le serpent de mer de la Brise de mer ». Derrière elles, Me Jean-Yves Liennard place « Saint Chossat, le canonisé par la Jirs de Marseille, un cumulard libre, qui est mis en examen dans des dossiers criminels, dont l'homicide de Richard Casanova et la tentative d'assassinat contre Jean-Luc Germani ». Son témoignage, lu et relu lors des débats, expliquait les dessous des cercles de jeu et leur gestion occulte par la Brise de mer avant qu'elle ne s'entre-déchire. Selon Me Lienard, ce témoignage «a été dicté par des policiers et signé par l'intéressé ».
Reste le coup-de-poing du 19 janvier. « Pas même une OPA hostile », ironise-t-il en rappelant qu'aucune violence physique n'a été commise. In fine, Philippe Terrazzoni est un « délinquant primaire qui a été un honnête travailleur pendant 14 ans au cercle, quand il est entré en 1996, 45 personnes y travaillaient, quand il est parti, trois fois plus », conclut-il en prenant pour preuve le fait qu'il n'ait pas été mis en examen dans le dossier de blanchiment dit Wagram 2. Les plaidoiries se terminent cet après-midi, jour de la fin du monde, qui pourrait bien être une autre apocalypse pour l'accusation et l'instruction.
(source : corsematin.com/Paul Ortoli)