L'alliance entre Accor et Barrière fait craindre une aggravation des conditions de travail dans les maisons de jeu de la région franco-suisse.
Ce n'est pas une «guerre des casinos» déclarée, mais ça y ressemble. Dans les milieux économiques comme dans les milieux syndicaux, l'annonce faite cette semaine par les firmes françaises Barrière et Accor Casinos de leur prochaine fusion en vue de créer «un groupe de tout premier plan dans le secteur des casinos» suscite des remous. D'abord, elle entraînera la chute de Partouche dans son rôle de leader, au terme d'une concurrence effrénée sur le marché européen. Ensuite, la nouvelle entité frappe par sa dimension imposante: le Groupe Lucien Barrière dirigera 37 casinos, parmi lesquels ceux de Deauville, d'Enghien, de La Baule, de Bordeaux, de Biarritz, de Nice, mais aussi de Montreux, Fribourg et Courrendlin (JU), soit environ 5000 machines à sous. La catégorie «hôtels de luxe» est aussi importante avec 13 établissements, l'activité de restauration ou la célèbre enseigne Le Fouquet's des Champs-Elysées, à Paris. Qui dit mieux?
Pour gérer tout ce patrimoine de renommée internationale, une alliance: le Groupe Lucien Barrière sera détenu à 51% par la famille Barrière Desseigne et à 34% par Accor Casinos. Les 15% restants reviennent à Colony Capital, le fonds d'investissement américain injectant 100 millions d'euros - plus du dixième du chiffre d'affaires cumulé en 2003 - pour renforcer la structure financière. Un mariage «nécessaire» entre les deux géants de l'hôtellerie et du divertissement, qui invoquent aujourd'hui l'argument de la rentabilité, la réduction de l'endettement net du groupe Accor ou la réduction des coûts de fonctionnement pour justifier leur décision.
la réalité des salariés
Au siège d'Accor à Paris, un porte-parole se borne à expliquer que l'opération sera «effective dans 4 à 5 mois» et qu'elle «permettra entre autres de faire des économies sur l'achat de matériel». Mais derrière la vitrine grandiose des palaces et des casinos de luxe, se profile une réalité moins alléchante: celle des salariés. Qu'il s'agisse des casinos dirigés en France, en Belgique ou en Suisse, les conditions de travail précaires ont plus d'une fois alerté les milieux syndicaux. Voire débouché sur des grèves. Certains observateurs s'inquiètent des retombées à l'avenir de la nouvelle alliance sur le personnel.
Dans la course au profit, le groupe Accor (leader européen dans l'univers du voyage, du tourisme et des services aux entreprises, avec plus de 150 000 employés dans 140 pays) traîne de belles casseroles. Accor ne «fabrique» pas toujours «du sourire», comme le revendique pourtant le slogan de la multinationale. Dans le domaine de l'hôtellerie, la société a été prise à partie en 2002 par des députés européens sur sa politique de sous-traitance, et accusée d'imposer des cadences infernales à ses employés immigrés.
Plusieurs affaires ont fini devant la justice française, entre autres pour «prêt illicite de main-d'oeuvre» dans les différentes unités du groupe. En 2003, Accor Casinos devait encore essuyer des protestations en provenance de sa maison de jeux à Dinant (Belgique), où les croupiers menaçaient de faire grève. Puis la grogne des employés du casino de Fribourg, mis sous pression dès son ouverture en février.
la bataille du léman
La vieille lutte de positions à laquelle se livrent depuis des années Accor, Barrière et la famille Partouche semble particulièrement exacerbée aux alentours du lac Léman, qui concentre la plus forte densité de casinos d'Europe. Là, on se bagarre pour attirer une clientèle franco-suisse fortunée (Saint-Julien-en-Genevois, Annemasse, Meyrin, Divonne, Evian, Montreux)... Transposée sur le terrain de l'emploi, cette rivalité des machines à sous fait de nombreuses victimes.
En août dernier, le syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (SIT) était intervenu pour dénoncer les abus observés dès l'ouverture du casino du Lac à Meyrin (Genève, dirigé par le groupe Partouche): flot d'heures supplémentaires, bas salaires, forte rotation du personnel et recours à une main-d'oeuvre étrangère, majoritairement française... ce scénario de crise est en passe de devenir une habitude. Surtout depuis l'ouverture à Montreux en mars 2003 du plus grand casino de Suisse romande, le seul à détenir la licence A dans la région, exploité par la famille Barrière: il a encore ravivé le jeu de la concurrence.
(source : laliberte.ch/Gilles Labarthe)