REIMS (Marne) Adepte du poker en ligne, Jean a perdu en quelques mois l'équivalent d'une voiture. Pour mettre fin à son addiction, il a décidé de se faire interdire de jeux, mais a pu malgré cette interdiction continuer de jouer sur les sites en ligne. Aujourd'hui, il attaque l'Etat en justice pour obtenir réparation du préjudice.
JEAN (*) a la trentaine. En 2007, le Rémois a perdu tout repère. Il s'est peu à peu retiré du monde.
Pendant 6 mois, il s'est enfermé chez lui avec pour seul compagnon son ordinateur, pour seul plaisir le poker en ligne. « Je jouais pour me changer les idées, mais le plaisir s'est très vite transformé en enfer », reconnaît le jeune-homme qui, à l'époque, jouait quasi quotidiennement. « C'était pour moi, une drogue virtuelle. Au départ, je jouais de petites sommes. C'était autant pour m'évader que pour gagner de l'argent. J'ai gagné de petites sommes, j'en ai perdu de grosses… l'équivalent d'une voiture au final ».
Jean a découvert le black jack à l'âge de 20 ans. Une simple « approche » du jeu… jusqu'à ce qu'il découvre, en mai 2007, le poker, puis le poker en ligne au point de procéder à une inscription sur l'ensemble des sites en ligne de poker, dès la libéralisation en France de ce type de jeux de hasard. Au départ, il partait sur de petites sommes perdant de 200 à 300 euros dans les cercles de jeux, puis plus de 50 % de son salaire pour arriver à perdre jusqu'à 1 800 euros en une soirée. « Un soir, j'ai perdu l'équivalent de mon salaire. Le lendemain, c'était la panique. Je n'arrivais plus à travailler. J'ai décidé de me faire aider ».
Jean va alors se rendre au commissariat pour se faire interdire de jeux. Il va faire la démarche d'aller voir un médecin pour se faire soigner. « Ce n'était plus possible. Il fallait que ça cesse… ». Il va donc se contraindre lui-même à se faire interdire de jeux… mais c'est plus fort que lui. Il va ressentir le besoin de jouer.
En dépit de l'interdiction qu'il obtient en juillet 2010 des services du ministère de l'Intérieur - une interdiction de participer à quelques jeux que ce soient et à fréquenter les endroits de jeux de hasard - il va faire une « rechute ».
Il va continuer de surfer sur les sites de jeux en ligne sans que les différents opérateurs ne fassent cas de l'interdiction qui pesait sur le joueur. Il fait pourtant partie de la fameuse liste noire des personnes ayant sollicité cette interdiction. Il va pourtant jouer encore et encore jusqu'à se révolter. « Quand j'ai vu que je pouvais jouer malgré l'interdiction, j'étais révolté. Ça m'a découragé ».
Jean a donc décidé de poursuivre en justice aux fins de respect de l'interdiction, les différents opérateurs de jeux en ligne qui, pour leur défense, ont fait état d'une erreur grave commise par l'arjel (**), l'autorité de régulation des jeux en ligne… Dont l'une des missions est de lutter contre les addictions
Une erreur de saisie - reconnue par l'arjel - localisant Jean comme habitant la Haute-Marne (52) au lieu de la Marne (51), a entraîné une consultation erronée du fichier des interdits de jeux, via l'arjel.
« Cette erreur de transcription du lieu de naissance de l'interdit de jeux a permis le maintien, en toute légalité, d'une personne malade, addict aux jeux pendant de nombreux mois, lui faisant perdre une importante somme d'argent sur l'ensemble des jeux », indique son conseil Me Ludot.
« C'est la raison pour laquelle, la responsabilité de l'Etat est pleine et entière eu égard à cette faute lourde ».
Et de réclamer à l'Etat Français la somme de 100 000 euros au titre des dommages et intérêts, outre 10 000 euros au titre de l'article 761-1 du code de Justice administrative.
L'affaire sera examinée devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne le jeudi 15 décembre. Jean attend beaucoup de cette audience.
Il espère surtout « tourner la page de cette mauvaise expérience. Il n'est pas facile de faire la démarche de s'interdire soi-même de jeux. Si en plus, derrière, on ne ferme pas la porte à clé… Un joueur compulsif essaiera toujours d'ouvrir la porte. L'arjel est censée vous défendre contre les addictions. Dans mon cas, elle ne l'a pas fait ».
(*) Prénom d'emprunt.
(**) L'arjel est une autorité administrative indépendante (AAI) créée par la loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne n°2010-476 du 12 mai 2010.
(source : lunion.presse.fr/Caroline GARNIER)