Sur les 600000 joueurs dépendants, 200000 le sont sur Internet. La lutte contre l’addiction souffre d’un manque d’efficacité.
L’effet de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, promulguée le 12 mai 2010, ne s’est pas fait attendre.
« En deux mois, un million de comptes joueurs sont apparus sur les sites légaux », commente le sénateur UMP François Trucy, président du Comité consultatif des jeux. Selon l’Autorité de régulation des jeux en ligne (arjel), on dénombre aujourd’hui 3,5 millions de comptes pour une trentaine de licences délivrées à différents sites.
Pour le sénateur, « le bilan du respect des principaux articles de la loi est correct ». Reste toutefois un problème de taille : le nombre de joueurs reconnus pathologiquement dépendants au jeu inquiète.
« Il y a aujourd’hui environ 600000 joueurs “addicts”, dont 200000 sur Internet », explique Éric Bouhanna, président et fondateur d’Adictel, un organisme privé pour la prévention et l’aide aux joueurs dépendants. Pourtant, « le législateur a durci le texte dans ce domaine », assure François Trucy.
Des « modérateurs de jeu » obligatoires
De fait, l’arjel a rendu obligatoire la mise en place, par les opérateurs, de « modérateurs de jeu », mécanismes permettant de limiter si besoin les comptes d’un joueur.
Un numéro d’appel d’assistance géré par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) a été créé.
Enfin, les opérateurs sont invités à mener une politique de jeu responsable en renvoyant, depuis leur site, vers divers organismes aptes à prendre en charge les joueurs dépendants.
Des opérateurs court-circuiteraient les mesures
Malheureusement, ces différents dispositifs ne sont pas aussi efficaces qu’on pourrait le souhaiter. « Le numéro de l’INPES est très consulté, mais il est aussi parasité par tous ceux qui croient qu’il est dédié au fonctionnement du jeu », admet François Trucy. « 77 % des appels ne concernent pas l’addiction », renchérit Éric Bouhanna.
Ce dernier accuse même certains opérateurs de court-circuiter les mesures qui pourraient être efficaces.
« On traite plus de 10000 dossiers par an. 98 % des joueurs ne souhaitent pas voir un psychologue, ils veulent que leurs comptes de jeu soient bloqués ! Il est tout à fait possible de le faire, comme dans les casinos. Le problème, c’est que l’on touche là à l’argent des opérateurs de jeu, car c’est une perte de clients pour eux. Ils ont donc recruté des experts pour orienter les joueurs vers des psychologues », s’emporte Éric Bouhanna, présent lors des discussions en amont de l’élaboration de la loi.
François Trucy n’est pas d’accord : « Ces opérateurs ont quand même été parmi les premiers à investir dans la lutte contre l’addiction ! »
Malgré la loi, 25% de dossiers en moins
Là où le bât blesse, c’est que rien n’empêche les joueurs de continuer à jouer durant leur prise en charge psychologique. « On les aide à prendre conscience qu’ils ont été entraînés au-delà de ce qu’ils imaginaient. Mais pendant ce temps, le patient continue souvent à jouer. On obtient rarement des résultats probants en dessous d’une année de suivi », explique Jean-Luc Vénisse, responsable du Centre de référence sur le jeu excessif et du service d’addictologie du CHU de Nantes.
Malgré un nombre croissant d’appels de joueurs en détresse, Adictel a traité 25 % de dossiers en moins qu’avant la loi.
« Lorsqu’un joueur m’appelle pour être limité, je contacte les sites sur lesquels il joue pour faire bloquer ses comptes, rapporte le fondateur d’Adictel. Quand l’opérateur refuse car il estime avoir répondu aux attentes de la loi en mettant sur son site le numéro de l’INPES, je n’ai aucun moyen pour le contraindre. »
« S’interdire soi-même de jeu »
Alors, le recours pour être sûr de s’en sortir ? S’interdire soi-même de jeu. Pour cela, il faut envoyer une lettre au ministère de l’intérieur et se déclarer à la police. On figure alors sur une liste d’interdits de jeu consultable par tous les établissements et sites de jeu, qui les contraint à refuser l’impénitent.
Une démarche efficace mais peu engageante. « Cette procédure mérite d’être améliorée. Elle est trop lourde », reconnaît le sénateur François Trucy.
Une « clause de revoyure » à 18 mois a été prévue dans la loi. Ce pourrait être l’occasion d’imaginer de nouveaux dispositifs.
(source : la-croix.com/JÉRÉMIE PIGNARD)