Le patron des casinos et hôtels Barrière nous explique quelles sont ses ambitions dans Internet et nous raconte comment il voit son groupe dans dix ans alors qu’Accor a décidé de vendre en Bourse la participation de 49 % qu’il détient dans la société.
Propos recueillis par François Monnier et Bruno Segré
Pourquoi avez-vous décidé de mettre en Bourse Groupe Lucien Barrière ?
Les marchés semblent en meilleure forme qu’il y a quelques mois et nous avons publié des résultats encourageants au troisième trimestre, durant lequel le chiffre d’affaires net de prélèvements a progressé de 6,2 %. Comme vous le savez, Accor, le vendeur, souhaitait se recentrer sur son cœur de métier et nous avons donc trouvé que c’était le bon moment. La mise en Bourse du groupe va également contribuer à accroître notre visibilité et notre notoriété. Lors de cette opération, je vais d’ailleurs me renforcer dans le capital de Groupe Lucien Barrière en portant ma participation de 51 à 53 %. Cela démontre la confiance que j’ai dans les perspectives du groupe.
Entre un hôtelier comme Accor qui se paie en Bourse 8,5 fois 2010 (valeur d’entreprise rapportée à l’excédent brut d’exploitation) et un spécialiste des casinos tel que Groupe Partouche à 4,4 fois, la valorisation de votre société à 7,7 fois se situe plutôt dans la fourchette haute. Comment justifiez-vous ce prix ?
C’est au marché qu’il reviendra d’apprécier la valeur de notre groupe sur la base des éléments que nous avons présentés, de la stratégie que nous mettons en œuvre et de nos perspectives de croissance. Notre groupe a des atouts réels, nous disposons d’actifs uniques et notre potentiel de développement est important. Nous détenons une position de leader, sans équivalent en France et en Europe.
Je suis confiant dans la capacité du marché à valoriser ces atouts.
Quel lien allez-vous conserver avec Accor ?
Notre histoire commune a démarré il y a vingt ans. Accor nous a donné le culte de l’excédent brut d’exploitation, tandis que nous leur avons transmis la culture du luxe. Après la cession en Bourse des titres détenus par Accor, nous conserverons des liens étroits et nous continuerons à développer des synergies en matière de politique d’achats, dans les travaux et la commercialisation. Gilles Pélisson, le PDG d’Accor, restera à notre conseil d’administration, en qualité d’administrateur personne physique.
Allez-vous adopter la même stratégie qu’Accor et céder les murs de vos hôtels ?
Nous sommes très attachés à nos actifs. L’immobilier est une valeur qui rassure. D’ailleurs, si nous n’avions pas été propriétaires au plus dur de la crise, au moment où les banques rechignaient à prêter aux entreprises, trouver des financements abordables aurait été plus difficile.
Comment va évoluer votre endettement net à l’avenir, alors qu’il représentait 49,5 % de vos fonds propres ? Votre dette brute va-t-elle rester à 79 % à taux variable ?
En trois ans, nous avons consacré 320 millions d’euros au développement de nouveaux projets d’envergure comme Toulouse ou Lille. Notre taux d’investissement va être moins important à l’avenir et représenter environ 6 % de notre chiffre d’affaires net, sachant que notre dette nette ne dépassera pas 1,5 fois notre excédent brut d’exploitation en 2013 contre 3,5 fois aujourd’hui.
Pour ce qui est du taux variable, nous avons mis en place en juillet des instruments de couverture qui nous garantissent notre dette brute à 65 % à taux fixe. Résultat, le coût de la dette est maîtrisé sur la durée des couvertures.
La famille Desseigne-Barrière est également actionnaire à 70,32 % d’une autre société cotée : la Société Fermière du Casino Municipal de cannes. Une fois que Groupe Lucien Barrière sera mis en Bourse et que le marché lui aura donné une valorisation, allez-vous rapprocher les deux sociétés ?
Les deux groupes ont des profils différents. La Fermière de cannes est plus hôtelière que casinotière. GLB, c’est l’inverse. Elles ont aussi des logiques de développement très différentes et indépendantes. Rapprocher les deux entreprises ne serait pas conforme à leur histoire.
Dans dix ans, à quoi ressemblera GLB ?
En France, où nous sommes leader dans les casinos avec une part de marché de 31 %, nous souhaitons nous renforcer dans les zones où nous sommes absents en procédant à des acquisitions ciblées. Mais je souhaiterais aussi accélérer notre développement à l’international pour qu’à terme nous y réalisions autour de 40 % de notre chiffre d’affaires.
Dans l’hôtellerie, nous sommes déjà très bien implantés en France. Notre croissance passe donc surtout par l’international et notamment la Suisse, que nous connaissons bien, le Moyen-Orient et l’Asie. L’idée, c’est de reproduire le succès du Fouquet’s sur la base du modèle économique du Naoura Barrière, à Marrakech, au Moyen-Orient, c’est-à-dire un management à 100 % Lucien Barrière et une association avec des partenaires financiers reconnus permettant de limiter notre investissement.
Les jeux d’argent sur Internet ne risquent-ils pas de nuire à vos casinos ? Ne partez-vous pas trop tard dans le poker en ligne, où vous détenez une participation minoritaire de 43,84 % dans LB Poker ?
Tant que le marché était illégal, nous avons souffert de la concurrence des jeux sur Internet. Le marché est aujourd’hui ouvert et nous nous apprêtons à en devenir l’un des principaux acteurs. Avec un investissement de 19 millions d’euros (au 30 avril 2010), nous sommes aujourd’hui propriétaires de notre plate-forme technologique, et nous avons lancé le 17 septembre notre site Barrierepoker.fr. Nous avons une marque forte avec Lucien Barrière et 120.000 clients très actifs, et le meilleur partenaire possible avec La Française des Jeux, dont le site affiche de 4 à 5 millions de visiteurs uniques par mois. Nous estimons que LB Poker atteindra l’équilibre en 2012 et nous nous donnons comme objectif de détenir un tiers du marché français en 2015. Bientôt, nous pourrons même offrir à nos clients une partie de poker en ligne en 3D grâce à la prouesse technique de notre plate-forme et à notre partenariat avec On Line Gaming 3D.
Vous avez des objectifs très ambitieux puisque vous visez une croissance annuelle d’au moins 5 % de votre chiffre d’affaires net entre 2010 et 2013 et une progression de plus de 10 % de votre excédent brut d’exploitation. Comment comptez-vous y parvenir alors que l’interdiction de fumer dans les casinos depuis 2008 a beaucoup pénalisé votre activité ?
C’est vrai, l’interdiction de fumer dans nos casinos a provoqué une chute de 15 % de nos produits bruts. Mais les clients reviennent. Ils commencent à s’habituer à ne plus fumer dans les établissements publics et nous avons développé pour les fumeurs, là où c’était possible, des terrasses dont certaines aujourd’hui avec des machines à sous. Résultat, la fréquentation de nos casinos a progressé de 2,3 % sur 12 mois cumulés à fin août. Nous disposons également d’une autorisation pour mettre en fonctionnement 2.000 machines à sous supplémentaires. Surtout, nous allons profiter de la montée en puissance des dernières générations de casinos comme ceux de Toulouse ou de Lille. Pour l’hôtellerie, nous allons bénéficier de la hausse du taux d’occupation des chambres pour l’ensemble des établissements du groupe : + 7 points en un an. Ici, la hausse des volumes s’accompagnera aussi d’une hausse des prix.
D’ici à 2013, nous devrions donc être en mesure de dégager une marge d’excédent brut d’exploitation de 27 % contre 24 % aujourd’hui. Je vous rappelle qu’en 2007, si nous avions bénéficié de l’assouplissement fiscal mis en place aujourd’hui, nous aurions alors réalisé un niveau de rentabilité équivalent. Nous sommes donc sereins quant à notre capacité à atteindre ces objectifs.
Vous avez 65 ans. Vous dirigez et incarnez cette entreprise. Jusqu’à quand comptez-vous rester aux commandes ?
Dans les statuts, il est prévu que le président du conseil d’administration puisse diriger l’entreprise jusqu’à 85 ans. J’ai encore beaucoup de temps devant moi. Et puis, en rachetant 2 % du capital de ma société à Accor, je me mets la pression. Cela me rajeunit.
(source : investir.fr/François Monnier et Bruno Segré)