L’Autorité de régulation des jeux en ligne ( Arjel) vient de délivrer
ses premières licences pour les jeux d’argent en ligne : une étape
importante dans la mise en place d’une Politique Des Jeux cohérente qui
doit cependant éviter les conflits d’intérêts par exemple en ce qui
concerne le jeu excessif
L’Arjel vient d’attribuer ses premiers licences à une vingtaine
d’opérateurs qui pourront exploiter les jeux d’argent sur Internet,
dans un premier temps les paris sportifs, hippiques et ensuite le
poker. C’est l’aboutissement d’un long processus. La loi relative « à
l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux
d’argent ligne » a été votée à L’Assemblée nationale le 6 avril 2010.
Cette date marquera l’histoire des jeux en France. Elle constitue une
étape importante dans la mise en place d’une Politique Des Jeux
cohérente, qui supprime les conflits d’intérêts. Certes, il y a eu des
incidents de séance, des accusations politiciennes ( « les amis du
Fouqet’s) et des joutes rhétoriques qui relèvent du pur jeu
parlementaire. Mais l’essentiel n’est là. Députés et
sénateurs ont beaucoup travaillé, comme en témoignent les milliers de
pages des débats parlementaires. Les enjeux politiques, culturels et
sociaux de cette légalisation ont été soulignés. C’est ce que
l’histoire retiendra. Même s’il y a un important « dessous des
cartes » dans ce dossier, c’est tout à l’honneur de la France – pays
qui possède une histoire ludique riche et ancienne - d’avoir pris le
temps d’organiser ces débats. La France n’est pas une république
bananière. Il faut remonter à 1933 - instauration de la loterie
nationale moderne - pour retrouver des échanges parlementaires aussi
passionnés sur les jeux de hasard et d’argent.
La question du jeu
excessif, celle du jeu des mineurs et des personnes vulnérables, a
été au centre de ces débats. Une nouvelle architecture souhaitée par
les parlementaires - et notamment par les sénateurs - a été mise en
place pour traiter ces problématiques. Elle booste le Comité
Consultatif des Jeux (CCJ), lui adjoint un observatoire des jeux
(ODJ), deux commissions spécialisées et coordonne son action avec
l’Arjel, l’autorité de régulation dirigée par Jean François Vilotte.
La représentation nationale a semble t il compris qu’une saine
régulation doit s’appuyer sur la recherche et l’expertise, séparer les
compétences, si elle ne veut pas être accusée d’être partisane ou sous
la pression des opérateurs ou d’autres acteurs du champ .
La
légalisation des jeux d’argent sur Internet ne peut en effet que
renforcer l’acuité des questions sociétales qu’entraîne l’économie du
hasard , (conséquences sociales , santé publique…). Comme ces
problématiques (et notamment la question du jeu «excessif ») ont
largement été mises en avant pour justifier
l’ouverture « maîtrisée » des jeux en ligne, il convient que les
conséquences du gambling ne soient pas
instrumentalisées. En aucune manière les opérateurs de jeux ne peuvent
diligenter et financer des recherches sur l’impact de leur activité
comme c’est le cas actuellement. La Française des Jeux vient
d’annoncer le renouvellement du financement du centre du jeu excessif
de Nantes (CRJE) à hauteur de 1,25 millions d’euros, qui avait déjà
touché 3 millions d’euros ( de la FDJ et du PMU) lors de création en
2007 !
Dans le même temps elle finance une étude sur « l’évaluation
du caractère addictogène des jeux en ligne» à l’hôpital Bichat. Cette
recherche sera notamment réalisée en collaboration avec Robert
Ladouceur, psychologue très controversé au Québec et au Canada pour
ses « rapports» avec l’industrie des jeux. Ces relations jettent un
doute sur la fiabilité des études qui vont être réalisées et entraîne
un conflit d’intérêt intolérable. Visiblement la Française des jeux
n’a pas compris que les choses sont en train de changer. Elle tente de
contrôler entièrement l’information médiatique et « scientifique » sur
l’impact de son activité avant que ne se mette en place l’observatoire
des jeux. Sous l’autorité du Comité Consultatif des jeux ,
l’observatoire des jeux doit donc jouer un rôle central dans les
recherches sur l’impact du gambling en ligne et en dur pour éviter de
tels conflits.
A l’heure ou certains questionnent le rôle ambigu joué
par les experts dans d’autres dossiers (réchauffement climatique,
grippe A H1N1, tabagisme passif…) il convient donc que l’observatoire
des jeux possède les moyens de ses ambitions, afin de
réaliser des mesures scientifiques et des recherches
pluridisciplinaires indépendantes. Si l’Etat a le courage de jouer
franc jeu dans ce dossier, il sera gagnant au bout du
compte et évitera bien des critiques, contentieux et polémiques
ultérieures.
Jean-Pierre Martignoni, sociologue.
Lyon (France)
17 juin 2010