La société européenne d’investissement Bridgepoint Capital a annoncé, le 17 novembre 2005, l’acquisition du groupe Moliflor Loisirs. Cette dernière société est le troisième plus important exploitant de casinos en France avec une part de marché de 9 % et des revenus annuels de 260 millions € au moment de l’acquisition. Selon le rapport annuel 2008 de Bridgepoint Capital, le prix d’achat a été d’environ 465 millions €, soit 646 millions $ au taux de change en vigueur à ce moment-là. Selon le communiqué émis à cette occasion, la Banque d’Irlande dirigeait le syndicat bancaire qui fournissait une partie du financement sous forme de dette.
Un peu plus de quatre mois plus tard, le 30 mars 2006, Loto-Québec a acquis une participation de 35 % dans Moliflor Loisirs. Comme on a permis à l’équipe de direction de Moliflor Loisirs d’avoir une participation de 10 %, la participation de Bridgepoint Capital a ainsi été réduite à 55 %.
Loto-Québec a investi 87 millions $ dans ce projet. L’investissement de Loto-Québec est composé de 4,8 millions $ en actions et de prêts de 82,2 millions $ qui portent intérêt à 8 %. Les intérêts sont capitalisés et ne seront exigibles qu’à l’échéance du prêt en 2016.
Comment Loto-Québec a-t-elle obtenu une participation de 35 % dans un investissement de 646 millions $ avec seulement 4,8 millions $ en équité? Si les partenaires ont une structure d’investissement comparable à celle de Loto-Québec, on aurait acquis Moliflor Loisirs avec 14 millions $ en équité et 632 millions $ de dette, soit 45 $ de dette pour chaque dollar d’équité. Il est invraisemblable que le syndicat bancaire ait accepté d’avancer une somme importante pour faciliter cet achat avec si peu d’équité. Il est donc probable que les prêts de 82,2 millions $ consentis par Loto-Québec soient subordonnés au financement obtenu du syndicat bancaire.
Cette activité internationale de Loto-Québec a généré un bénéfice de 1 million $ en 2007. En 2008, malgré une hausse du chiffre d’affaires de Moliflor Loisirs à 276 millions €, la quote-part du bénéfice de Loto-Québec était inférieure à 500 000 $. En 2009, la récession et l’interdiction de fumer dans les lieux publics (en vigueur depuis le 1er janvier 2008 en France) ont fait baisser le chiffre d’affaires de Moliflor Loisirs à 203 millions €. Cette baisse a causé une perte importante tel qu’on peut le lire dans le dernier rapport annuel de Loto-Québec: « notre quote-part dans la perte financière générée par Casinos Développement Europe (société qui détient maintenant la participation de Loto-Québec dans Moliflor Loisirs) a été enregistrée jusqu’à concurrence de la valeur aux livres de nos actions, soit 6,3 millions $.» On ne connaît pas toutefois le montant total de la perte encourue par Loto-Québec sur ce placement puisque le rapport annuel est muet sur ce point.
Le 16 février 2009, six semaines avant la fin de l’année financière 2008-2009 de Loto-Québec, les actionnaires de Moliflor Loisirs ont accepté de suspendre, pour une période minimale d’un an, les intérêts sur leurs prêts. Pourquoi Moliflor Loisirs demande-t-elle une suspension du paiement des intérêts alors que cette société n’a pas l’obligation de verser les intérêts avant 2016? Moliflor Loisirs était-elle en danger de ne pas rencontrer certaines exigences du prêt consenti en 2005 par le syndicat bancaire dirigé par la Banque d’Irlande?
Que s’est-il passé depuis le 31 mars 2009? Dans les communiqués publiés à la fin des deux premiers trimestres de l’année 2009-2010, Loto-Québec observe un silence complet sur les résultats de son investissement français.
Un compétiteur de Moliflor Loisirs, le groupe Partouche, bénéficie de la plus grande part de marché dans les casinos en France. Il a maintenant publié les résultats du dernier trimestre terminé le 31 juillet 2009. Son chiffre d’affaires est inférieur de 8 % par rapport au volume du trimestre correspondant de l’année précédente. Est-il possible que les activités de Loto-Québec en France aient connu un recul semblable depuis le 31 mars 2009? Si tel est le cas, Loto-Québec aura vraisemblablement encouru des pertes additionnelles depuis le 31 mars 2009? Si oui, quel est l’impact d’un tel recul sur la valeur des prêts de Loto-Québec à Moliflor Loisirs, placement dont la valeur aux livres est passée de 82 à 130 millions $ en trois ans?
La direction de Loto-Québec a investi 87 millions $ en 2006 dans une entreprise rentable qui avait un chiffre d’affaires de 260 millions €. Aujourd’hui, Moliflor Loisirs perd de l’argent, est incapable de prendre à sa charge les intérêts sur sa dette subordonnée et son chiffre d’affaires est vraisemblablement inférieur à 200 millions €. La direction de Loto-Québec est-elle toujours en mesure d’affirmer, comme elle l’a fait dans son dernier rapport annuel, que la valeur de ses prêts demeure recouvrable. Si nos hypothèses sont exactes, la valeur du placement de Loto-Québec a perdu beaucoup plus de valeur que les 6 millions $ radiés au 31 mars 2009.
(source : ca
noe.ca/Claude Garcia)