Propos recueillis par Jean-Pierre Thiollet
Le président du Groupe Lucien Barrière évoque auprès de France-Soir le devenir de ses investissements d’envergure, ses projets et les motivations qui, jour après jour, « le font courir »…
FRANCE-SOIR. N’avez-vous pas le sentiment de faire l’objet depuis deux ou trois ans d’une surexposition médiatique ?
dominique desseigne. Franchement, il me semble que c’est beaucoup moins ma personne que le groupe Lucien Barrière qui paraît concerné par ce processus… L’entreprise que je dirige est un groupe de luxe. A ce titre, elle est associée, souvent comme sponsor, à de beaux événements. Rien d’étonnant donc qu’elle puisse donner l’impression de faire l’objet d’une surexposition médiatique. Mais il est vrai aussi que depuis que la famille Taittinger a passé la main, notre positionnement dans l’univers de l’hôtellerie de luxe s’est renforcé et le phénomène s’est accentué. Au point qu’il nous arrive parfois de nous prendre pour les derniers des Mohicans !
Vous avez ouvert il y a peu un complexe hôtelier, le Naoura Barrière, à Marrakech. Etes-vous heureux de cette initiative ?
Oui, mais la conjoncture n’est pas faste et nous en avons pleinement conscience. En fait, ce qui nous rend confiants, c’est que ce nouvel établissement a tous les atouts pour bien se défendre. Auparavant, le groupe avait tendance à avoir une approche très « hexagonale » en matière d’hôtellerie de luxe et plutôt internationale s’agissant des casinos. Nous avons voulu à cette occasion rééquilibrer la tendance. Simplement, le redémarrage de l’économie ne fera pas de mal…
Avez-vous des projets ?
Oui. Nous allons ouvrir un hôtel-casino à Lille qui sera le premier complexe multiloisirs intégré en France. Au début de l’année prochaine, l’ensemble des équipements sera opérationnel. Ce qui représente un investissement de plus de 110 millions d’euros, avec notamment la création d’une salle de spectacles de 1.200 places.
Autre ouverture prochaine, celle de l’extension du Majestic sur la Croisette à Cannes, grâce à l’acquisition de l’ancienne succursale de la Banque de France. C’est un beau rêve de Lucien Barrière qui est en passe de se réaliser. Mais c’est là encore un investissement de taille pour nous, puisqu’il se situe aux alentours de 72 millions d’euros.
N’est-il pas un peu étonnant que vous ayez décidé d’investir dans le nord du territoire français ? Et pourquoi avez-vous opté pour Lille ?
Nos marges de manœuvre sont limitées. La loi Chaban-Delmas restreint en effet de manière drastique le champ des possibilités, puisque l’ouverture d’un casino ne peut être envisagée que dans des agglomérations urbaines de plus de 500.000 habitants… Par-delà ces aspects d’ordre juridique, le choix de Lille n’a pas lieu de trop surprendre dès lors que l’on veut bien prendre en considération au moins deux données essentielles. D’une part, l’emplacement, au croisement de la Belgique et de l’Angleterre, est assez stratégique. Il nous paraît offrir un gros potentiel. D’autre part, l’absence de casino dans cette partie du territoire français constitue également un atout de taille dans la mesure où elle peut aller de pair avec l’arrivée de nouvelles parts de marché. Au point que je suis personnellement convaincu que notre hôtel-casino de Lille figurera sous peu parmi les cinq premiers établissements français.
Si votre groupe ne paraît plus avoir de fortes ambitions au niveau international en matière de casino, vous n’en avez pas moins rencontré des succès notables, en particulier dans la Confédération helvétique…
C’est vrai que nous sommes devenus leader en Suisse, en particulier grâce au casino de Montreux dont la réussite est brillante. C’est vrai aussi que nous avons ouvert un casino au Caire. Mais, globalement, notre progression à l’échelle internationale reste très douce.
Après une douzaine d’années passées à la tête du groupe, vous pourriez avoir le désir de vous libérer des contraintes qui pèsent sur vous ? Qu’est-ce qui vous « fait courir » ?
C’est une question qu’il m’est arrivé de me poser. J’ai cependant le sentiment très fort que le groupe est une affaire de générations et que j’ai des devoirs à l’égard de celles qui m’ont précédée. Le Groupe Lucien Barrière, c’est également un ensemble de presque 8.000 collaborateurs où parvient à exister, à l’époque qui est la nôtre, un esprit familial. A mes yeux, ce n’est pas rien et j’en suis à la fois heureux et fier. Enfin, j’ai envie de transmettre à mes enfants un groupe très performant, trois fois plus important que celui dont j’ai hérité après le drame de mon épouse.
Quels sont les principaux problèmes de management que vous rencontrez ?
A vrai dire et aussi curieux, peut-être, que cela puisse paraître, nous n’avons pas de problèmes de management. Pour une raison simple : les personnes qui travaillent au sein du groupe s’y sentent très heureux et considèrent qu’il n’est pas désagréable de pouvoir se projeter dans le temps à long terme. Nous ne sommes pas du tout dans l’univers de ces entités où l’on se préoccupe essentiellement des cours de Bourse, où l’on ressent de manière récurrente que des actionnaires ont spéculé et où l’atmosphère peut, dans certains cas, prendre une tournure dramatique. Le Groupe Lucien Barrière constitue un environnement stable, propice au développement professionnel et personnel de ses salariés. En 2012, il aura un siècle d’existence… Il est aisé de concevoir qu’il puisse se projeter dans l’avenir.
Une sensation un peu pesante ?
Certains jours sans doute, dans la mesure où elle peut impliquer davantage de responsabilités. Mais je vous rassure : il est parfaitement possible de s’en accommoder.
(source : francesoir.fr/Jean-Pierre Thiollet)