Valais. La première école du pays spécialisée dans les métiers du casino a ouvert ses portes à Sion.
Comme dans un Scorsese, tout commence par un spin. La roulette américaine s'affole. «Trente, rouge, pair et passe.» S'en suit un ramassage des pièces ultrarapide, chipping dans le jargon, par un jeune croupier endimanché. Avant la distribution providentielle d'un véritable magot de jetons.
Au bout de la table, tenue raide, dreadlocks proprement nouées, Blaise Boudry est l'un des quatre élèves de la première école de croupiers du pays, un établissement privé fondé par deux ex-employés de casino, qui a ouvert ses portes à la fin de septembre à Sion. Avant cela, ce Lausannois de 26 ans a été relieur - mais «la profession se meurt», puis designer industriel, «un métier de requins».
Il tente aujourd'hui de raccommoder son destin autour des tables de jeu. En tête, quelques rêves et une sérieuse envie de travailler dans le milieu dont il croit déjà flairer les principales caractéristiques: «En fait, croupier, c'est la discipline comme à l'armée mais avec le côté gentleman en plus.» Rigueur, sens de la hiérarchie, d'un côté. Classe et dextérité, de l'autre.
Dix semaines de formation
Le cursus au centre Swiss Casino Formation est bref, dix semaines de cours (350 heures) au total, mais il est intense. «Concentration, capacité de calcul pour les mises et les gains, coordination», énumère-t-on aléatoirement comme les principales qualités d'un bon croupier. Ici, on entraînera les manipulations et le doigté jusqu'à la robotisation. On abordera également la problématique du jeu pathologique, enseignée sous la houlette de Swiss Gamble Care, société spécialisée dans la prévention de la dépendance au jeu.
Autre exigence: la maîtrise de soi. Les élèves sont jugés sur leur prestance. Les comportements autour de la table sont analysés en vidéo. «C'est fou tous les défauts qu'on peut se trouver quand on se voit travailler», constate un peu dépité Steeve Deladoey. A 18 ans, cet ex-cuisinier valaisan reconverti, «passionné par le jeu, le poker Texas hold'em surtout, depuis trois ans», dit être passé du rêve à la réalité depuis qu'il a choisi de mettre au placard son CFC, en apprenant l'existence de cette formation dans les médias.
Quel chemin de la lecture du journal aux tapis verts de Montreux, Las Vegas ou Macao? «Il paraît que certains directeurs de casinos étaient prêts à nous engager avant même que nous terminions la formation», ose un élève, en tricotant ses jetons. Croupier serait un métier d'avenir. Les signaux donnés par le directeur des lieux, Carlos Pires, relaient l'optimisme des croupiers en herbe. En Suisse, les casinos - il y en a dix-neuf dont cinq en Suisse romande - manquent de personnel. Les maisons de jeu sont souvent contraintes de recruter à l'étranger.
C'est sur ce constat que les deux associés Carlos Pires et Filipe Soares ont misé en ouvrant leur centre de formation. Le premier a débuté dans la branche au casino de Crans-Montana. Il a été formé là-haut dès l'ouverture de l'établissement en 2002, sous le gourdin d'Andrew Flynn, «l'école anglaise, très exigeante sur les manipulations, mais très esthétique, la classe!».
Il a ensuite gravi les échelons, a été nommé chef de table, puis chef de partie. Membre du comité de direction, enfin, où il s'est retrouvé directement confronté aux difficultés de recrutement.
Gilles Meillet, le directeur du casino de Montreux, parle carrément d'une «pénurie». «Jusqu'à présent, le métier de croupier n'existait simplement pas en Suisse. Je ne lis pas dans le marc de café, mais, si la formation est bonne - et dans ce cas elle me paraît bonne -, ces gens n'auront aucun problème à trouver du travail, puis à voyager. C'est important de voyager dans ce métier pour se familiariser avec les différentes techniques.»
Filipe Soares, lui, a un parcours court mais dense dans le milieu, qui l'a déjà conduit au Kosovo et en Hongrie. «Dans ce monde-là, les portes s'ouvrent un peu comme par magie. On peut se retrouver sur un bateau de croisière du jour au lendemain... et être payé pour ça.» Avant de servir une allégorie de circonstance: «Ensuite, c'est rouge ou noir, un peu comme à la roulette, ça peut marcher ou ne pas marcher.»
Une façon de dire que selon leur implication et leur ardeur à la tâche, tout pourrait aller très vite pour Blaise, Steeve et leurs comparses en tailleur. Les quatre nourrissent d'ailleurs un peu la même fascination hybride, pour le milieu de la nuit d'une part - fantasmes nocturnes et jeux d'argent -, pour les opportunités d'évasion que le métier signifie, d'autre part.
Autres métiers du casino
Sept mois après avoir reçu l'autorisation d'exploiter et de délivrer des diplômes reconnus par la Commission fédérale des maisons de jeu et la Fédération suisse des casinos «après un long ping-pong administratif», la première école de croupiers du pays fait donc ses premiers pas à Sion, paisiblement.
Les jetons claquent, les cartes continuent de défiler à l'avenue de Tourbillon; 380 mètres carrés dans un quartier tranquille de la capitale valaisanne où sont juxtaposés tables de Black Jack et tapis de poker. Prochainement, des soirées portes ouvertes d'initiation et de formation au Texas hold'em laisseront entrer un flux de clients dans le casino transformé alors en banc d'essai pour les apprentis croupiers. «Une fois à la table, la boule au ventre devrait avoir disparu», jure Steeve Deladoey.
Le centre pourrait bientôt proposer des programmes de formation pour les autres métiers du casino, techniciens en machines à sous ou opérateurs vidéo. Une deuxième volée d'élèves intégrera les rangs de la Swiss Casino Formation en janvier. Carlos Pires compte former une soixantaine de croupiers annuellement.
Plus d'infos à l'adresse: nt class=normal href="http://www.swiss-casino-formation.ch" target="_bank">http://www.swiss-casino-formation.ch Prix de la formation: 5600 francs.
(source : letemps.ch/Xavier Filliez)