Pour une fois, aux tables des casinos de la Côte d'Azur, c'est la banque qui prend l'eau. Revanche du joueur sur le mauvais sort ? Même pas. Loin de s'être fait plumer par des joueurs en « sur-veine », les casinos sont en crise. Du jamais vu : - 30 % de chiffre d'affaires pour la plupart. Des pointes à - 40 % sur les machines de vidéo-poker. La perte d'exploitation globale des établissements azuréens pourrait ainsi frôler les 60 millions d'euros en fin d'année.
Même en 1988, avant que Charles Pasqua ne sauve les salles de jeu de la banqueroute en légalisant les « bandits manchots », la situation n'était pas aussi dramatique. « Si ça continue comme ça, ne serait-ce que trois ou quatre mois, il va y avoir très vite de la casse. Appelons les choses par leur nom : des fermetures ! », confirme Dominique Desseigne, le p.-d.g. du groupe Barrière (voir par ailleurs).
Une « sur-crise » azuréenne
En clair, rien ne va plus ! Et ici plus que nulle part ailleurs. Alors qu'au niveau national, Jean-François Cot, du syndicat professionnel Casinos de France, parle d'une baisse de 19 % du produit des jeux en France, l'ardoise est deux fois plus lourde dans les Alpes-Maritimes.
La faute à qui, à quoi ? A l'interdiction de fumer. Au contrôle d'identité aux entrées. A la crise du pouvoir d'achat (voir ci-dessus). Et, facteur aggravant, au fait que la densité de casinos au mètre carré est sur la Côte d'Azur totalement extravagante : « C'est simple, de menton à Cannes, il y a une salle de jeu tous les quinze kilomètres. Quand tous ces facteurs se conjuguent, c'est la catastrophe, avoue Jean-Charles Pitt, directeur du Casino Ruhl à Nice. Tout a débuté début janvier avec la loi Evin. Du jour au lendemain, 10 % de nos joueurs ont disparu. C'était lourd, mais on restait optimiste : l'Italie en 2000 avait connu la même désaffection, mais peu à peu, les joueurs étaient revenus. »
Mais voilà, ce qui fut vrai en Italie ou encore au Canada, ne s'est pas produit sur la Côte. A menton comme à Beaulieu ou Cannes, les - 10 % du début d'année se sont transformés en - 30 % en juin. Depuis, la chute ne s'est pas infléchie. Au contraire. « Au printemps, le problème du pouvoir d'achat s'est agrégé à celui du tabac, raconte Marc Guiglielmetti. Depuis, mois après mois, les - 30 se cumulent aux - 30. Là où un joueur misait en moyenne 60 à 50 euros, il n'en investit plus que 30, et surtout, il joue beaucoup moins longtemps. »
Trois à quatre mois avant le krach
Que faire ? Tout miser sur le Holdem Poker ? Le groupe Partouche fut en la matière pionnier. C'est à Cannes que le premier grand tournoi de Holdem fut lancé. Mais la vogue de ce poker fashion, attisée par Patrick Bruel et Canal +, ne suffit pas, loin s'en faut, à compenser les pertes du jeu.
L'heure n'étant plus à la langue de bois, on évoque du coup la possibilité de fermeture de certains casinos. Et cette « dépression » risque fort d'avoir alors de graves conséquences : sur les finances publiques des communes d'abord. Sur l'emploi ensuite : de Mandelieu à menton, les casinos génèrent 3 000 emplois directs et plus du double indirectement.
A Cannes, Barrière a déjà dû se résoudre à un plan social : quatre-vingts salariés en ont fait les frais. Et ce pourrait n'être qu'un début. A Grasse, le petit casino, qui subit de plein fouet cette crise, prépare sur un plan de sauvegarde. A Cagnes, Romain Tranchant a décidé de surseoir au déménagement de son établissement - un investissement de 25 Me - qui était prévu avant la fin de l'année.
Et tous les professionnels confirment que cette crise deviendrait un vrai krach si la désaffection des joueurs devait s'installer ne serait-ce que trois ou quatre mois de plus...
(source : cannes.maville.com/Jean-françois Roubaud/Nice-Matin)