RENCONTRE • Dernier volet l'enquête « Les Nordistes, le jeu et les casinos » : le leader français des casinos répond sans détours.
Voilà dix ans, assure-t-il, qu’il n’accorde plus d’interview.
Le fondateur du groupe Partouche a accepté de rencontrer six lecteurs de la Voix du Nord.
Il n’est pas tendre avec la maire de Lille et évoque l’éventuelle vente de son groupe.
Frédéric Lecomte : je suis très peu joueur. Qu’est-ce qui pourrait m’amener à rentrer dans un de vos casinos ?
« Je prends l’exemple (du Pasino) de Saint-Amand. Vous pouvez y passer une après-midi, une soirée, déjeuner, dîner, sans jouer. Vous avez une salle de spectacle de 1 200 places, une salle genre boîte de nuit, quatre restaurants à thème, des boutiques… Tout cela peut vous donner l’envie de venir passer un moment au Pasino. Ensuite, vous serez peut-être attiré par les machines à sous ou les jeux traditionnels, c’est le but.
Peut-être vous attendiez-vous à ce que je vous dise que vous alliez gagner un peu d’argent. Je vais vous dire ce que je réponds quand on me demande : "comment on fait pour gagner dans un casino ?" Je réponds : il n’y a qu’un seul moyen, il faut en acheter un ! »
Marc Descharles : comment se passent les relations des casinos avec les villes ? Qui décide des emplacements ?
« Il n’y a pas très longtemps que la DSP (Délégation de service public) existe. Avant, c’était un accord entre le maire et un patron de casino. Quand on a mis en place les appels d’offres, les villes se sont aperçues que lorsque le casino appartenait à un particulier, il était difficile à la ville de demander quoi que ce soit. Beaucoup de villes ne regardent que l’aspect financier. »
Philippe Duez : par rapport à l’engagement que vous avez pris avec le Losc (1), êtes-vous frustré de ne pas avoir obtenu le casino de Lille ?
« Si j’enlevais ma chemise, je pourrais vous montrer la marque du poignard dans le dos. »
Philippe Duez : vous êtes meurtri ?
« Vous ne pouvez pas imaginer à quel point. Lille, c’est ma deuxième ville. J’aime le Losc, j’aime la ville. Quand on voit les réponses aux appels d’offres c’est ridicule. Un exemple. Il y a une commission nommée pour juger les dossiers. La première chose que Martine Aubry dit à son conseil municipal, c’est : je ne veux plus de contacts avec Partouche. Mais, dans le dossier de Barrière (le groupe qui a emporté l’appel d’offres), vous avez un conseiller en manifestations culturelles qui est son ancien collaborateur. C’est quand même un peu gros. (…) On a parlé de l’hôtel quatre étoiles, mais cet hôtel n’est pas dans l’appel d’offres. Ils n’auraient jamais dû le prendre en compte. On a choisi Barrière, je ne sais pas pourquoi.
Quand Martine Aubry se cache en disant ce n’est pas moi, c’est la commission qui a proposé, c’est faux. La commission propose et le maire décide.
Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je me suis senti… J’en faisais une affaire personnelle, c’est ma ville. Alors, moi vivant, je vous garantis qu’elle ne repassera pas aux élections la prochaine fois. J’ai un peu de fortune, je l’utiliserai pour faire tomber cette municipalité. »
Marc Descharles : on sait que Saint-Amand a peur de l’arrivée du casino de Lille. N’y a-t-il pas une trop grande concurrence ?
« Vous avez beau avoir de la concurrence, les gens de Saint-Amand et ceux qui vivent autour vont aller à Saint-Amand, les gens de Lille iront à Lille. Les machines sont les mêmes, l’ambiance, en principe, est la même. »
Dominique Malengé : il existe deux casinos au Touquet, comment est-ce possible ?
« À Cannes il y a trois casinos, à Nice, deux. C’est la ville qui décide. Si on en a l’autorisation, on peut monter deux, trois casinos. Au Touquet, il y a toujours eu deux casinos. »
Frédéric Lecomte : êtes-vous ouvert à une concurrence internationale par le biais d’Internet ?
« Vous avez deux millions de joueurs français qui jouent sur des sites étrangers. En France on n’a pas le droit de créer de tels sites de jeu. »
Laure Ansart : combien de personnes travaillent dans un casino ?
« Au Pasino de Saint-Amand, nous avons 260 employés : des techniciens de machines à sous, d’autres qui ouvrent les machines parce que les techniciens n’en ont pas le droit, des caissiers, des barmen… »
Laure Ansart : vous les recrutez dans quelles filières ?
« On recrute parfois des gens qui n’ont aucune compétence. On leur apprend les jeux. À la manière dont vous allez distribuer les cartes, je peux vous dire si vous allez faire ou non une bonne croupière. »
Marc Descharles : avez-vous mis en place des structures particulières pour ceux qui sont victimes d’addiction au jeu ?
« Nous avons créé une société, Addictel, qui ne s’occupe que de ça dans nos 52 casinos. Vous appelez 24 h sur 24. On vous répond. On met un médecin à disposition. Ensuite, le meilleur moyen d’empêcher quelqu’un de jouer, c’est de ne pas lui faire de crédit, de ne pas accepter de carte de crédit… Et puis, on n’oblige pas les gens à venir. Saint-Amand, c’est en pleine nature. Et 800 personnes y viennent tous les jours en moyenne. »
Laure Ansart : ouvrez-vous des casinos dans les pays de l’est ?
« Nous allons là où existe une réglementation. Or, dans les pays de l’Est aujourd’hui, il n’y a pas de réglementation. J’ai ouvert un casino, avec un associé autrichien, en Hongrie. Le soir où on a ouvert, deux personnes ont demandé mon directeur. Après, il m’a dit : c’était le patron de la police et le patron des impôts. À l’un, je vais donner tant, à l’autre, autant, toutes les semaines, en prélevant sur les caisses. Je suis parti. »
Philippe Duez : on dit que Partouche vend une partie de ses casinos, les plus petits…
« C’est n’importe quoi. Mes petits casinos me rapportent plus que les gros. Alors, si je vends, je vends les gros et les petits.
Il y a deux ans, un fonds de pension m’a fait une proposition. Moi, je possède peu d’actions, 1 % de mon groupe. Mon fils et trois de mes neveux sont propriétaires. Quand je leur en ai fait part, ils m’ont répondu : on ne va pas vendre. Une semaine après, mon fils me dit : "avec ma part, si je vends, je peux dépenser 35 000 F (5 336 E) par jour sans toucher au capital uniquement sur les intérêts, impôts payés." Cela l’a fait réfléchir. Mais ça n’a pas marché avec le fonds de pension. Depuis deux ans, on nous fait constamment des propositions. Le dernier en date, c’est le promoteur immobilier bordelais (2). Je lui ai demandé deux millions d’euros pour qu’il étudie l’affaire.
Il les perd s’il n’achète pas. En janvier, il va venir me faire une proposition. Mais si je vends, ce ne sera pas seulement un casino parce que ça me fait autant de mal que d’en vendre vingt. »
Marc Descharles. : en matière de casinos, la région est-elle assez équipée ?
« Elle est équipée mais, par exemple, pour venir jouer de Lens à Saint-Amand, il faut faire 80 km. Alors si vous implantez un casino à Lens, vous allez certes enlever une partie de la clientèle de Saint-Amand mais, en revanche, vous allez récupérer une partie de la population qui ne va nulle part. En moyenne, 14 % de la population joue, c’est très peu. Nous avons une grosse marge encore. L’avenir, ce sont les grands casinos, genre Saint-Amand et Lille. » Philippe Duez : est-ce que les jeux clandestins existent encore ?
« À Paris, on a recensé environ 1 500 salons privés où les gens jouent entre amis, entre voisins. Ils jouent au poker, ce n’est pas clandestin. Vous avez le droit de jouer entre vous, ce qu’il ne faut pas, c’est que quelqu’un prélève de l’argent et organise le jeu. »
Frédéric Lecomte : et les machines à sous clandestines ?
« À Marseille, il existe 6 000 machines. Connues, reconnues. La police sait où elles sont. Elle laisse faire parce que cela ne porte préjudice à personne. Dans l’esprit des policiers, c’est quelque chose qu’ils maîtrisent. »
Laure Ansart : les joueurs qui achètent des tickets à gratter sont-ils les mêmes que ceux qui vont dans les salles de jeu ?
« Pas spécialement. Beaucoup jouent à tout. Mais, par exemple, les gens qui jouent aux courses, on ne les voit pas beaucoup dans les casinos. Ça ne va pas ensemble. »
Natacha Staelens : que pensez-vous des chevaux de course ?
« Je suis joueur, mais jamais de ma vie je n’ai joué aux courses. C’est facile à comprendre : je ne peux pas monter le cheval ! Je ne compte que sur moi et sur mon entourage, pas sur une personne en dehors. ».
(1) Le groupe Partouche est le sponsor officiel de l’équipe de football du Losc.
(2) Il s’agit de Michel Ohayon, qui s’était fait connaître à Lille avec un projet au centre ville (burdipolis) qui n’a pas abouti.
(source : lavoixdunord.fr/YVES SMAGUE ET STÉPHANIE BARA)