ENQUÊTE • Les sept établissements de jeux de la région Nord rapportent aux communes plus de seize millions d’euros de redevance. Un chiffre qui crée des envieux, notamment à Lens.
L’implantation des casinos a été longtemps favorisée par les maires. Mais les redevances exigées par les élus commencent à froisser les casinotiers.
Plusieurs centaines d’emplois, près de 130 millions d’euros de PBJ (produit brut des jeux), plus de 74 millions d’euros reversés à l’État… En 2005, les sept casinos du Nord - Pas-de-Calais sont devenus des poids lourds économiques. Et la vache à lait des communes, qui ont reçu des casinotiers rien moins que 16,8 millions d’euros de redevances.
La ville de Saint-Amand, tenue par Alain Bocquet (PCF), est la grande gagnante de cette course au jackpot, avec 6,8 ME. « Le Pasino (groupe partouche), c’est la poule aux oeufs d’or. C’est simple, il finance deux tiers des investissements de la commune , s’enthousiasme Eric Castelain, élu de l’opposition (UMP). Forcément, ça crée quelques envieux. » Léonce Deprez, lui, n’a cure des critiques. Le député-maire UMP du Touquet, seule ville à accueillir deux casinos, s’est même fait le farouche défenseur de la cause des établissements de jeux. En 1986, il a contribué à leur « modernisation » avec la loi qui a autorisé les machines à sous. « Les stations touristiques (seules habilitées à recevoir un casino) comme Le Touquet n’ont pas de taxe professionnelle. Pour équilibrer leur budget et mettre en valeur leur territoire, elles doivent compter sur le casino », explique-t-il.
Des prétentions « délirantes »
Soit. Mais quid de Calais et Dunkerque, qui bénéficient de la taxe professionnelle et des casinos ? « L’argent des casinos sert essentiellement au financement de certains événements culturels ou sportifs », souligne Robert Serna, directeur général des services à la ville de Dunkerque. « C’est un outil touristique », abonde Jacky Hénin, maire (PCF) de Calais, qui regrette que le groupe partouche n’investisse pas plus dans sa commune. « Si on était propriétaire du terrain, en deux ans, le casino serait agrandi. Mais là, il faudra attendre 2010. Parfait pour accueillir les touristes des JO de Londres en 2012 », rigole le maire.
Et le danger social dans tout ça ? Les maires ne s’embarrassent pas de morale. « À titre personnel, je pense que le jeu est mauvais , estime Jacky Hénin. Mais si on interdit les casinos, on peut tout interdire. »
« Le phénomène d’addiction est négligeable », affirme Robert Serna.
Suffisamment pour que les communes en redemandent. Après Lille (voir ci-contre), Lens s’est porté candidat pour l’implantation d’un établissement de jeux.
Gervais Martel, président du Racing-club de Lens, gère le dossier, qui intéresse le groupe partouche. « Avec le Louvre-Lens, la proximité de Bollaert et un bassin minier riche de 500 000 habitants, il fallait que nous soyons candidats, juge Guy Delcourt, maire PS de Lens. Un casino nous permettrait de retenir la clientèle parisienne (…). Dans les cités minières, on me dit : “Vivement que ça arrive, on n’aura pas à courir à Lille.” » Reste que l’idée laisse dubitatif Léonce Deprez. « On ne peut laisser croire qu’on peut avoir un casino dans chaque ville. Il faut être classé.
Certes, Guy Delcourt aura le Louvre-Lens, mais il faut un environnement qu’il n’a pas encore. » N’entre pas dans le club fermé des villes avec casino qui veut.
Un message qui traduit une inquiétude. La concurrence pourrait faire rage en cas de nouvelles implantations. Le Pasino s’attend, selon son directeur général Didier Hochart, à une baisse de 20 % de son PBJ quand le casino lillois ouvrira. Alain Bocquet s’en émeut presque : « Le casino de Lille, c’est celui de Saint-Amand. »
Les casinotiers, pendant ce temps, font grise mine. Le PBJ 2005 est en stagnation, voire en régression dans trois des sept casinos régionaux. 2006 - 2007, avec la mise en place du contrôle d’identité obligatoire et l’interdiction de fumer dans les lieux publics, ne s’annoncent pas sous les meilleurs auspices. Même si l’abandon du droit de timbre à l’entrée des jeux de table va permettre aux casinotiers d’attirer une nouvelle clientèle vers la roulette ou le black jack. Mais c’est sans compter l’appétit féroce des communes.
« C’est exorbitant. Elles négocient au-delà de la loi, s’insurge Patrick partouche, président du directoire du groupe partouche. Quand on prend 15 % sur le PBJ, plus 13 % du chiffre d’affaires, on menace la survie des casinos. » Romain Tranchant, directeur général du groupe Tranchant, juge les prétentions des communes « délirantes ». Et notamment celles de Lille. « Franchement, je ne sais pas comment le groupe Barrière va faire pour payer. » Le président du conseil de surveillance du groupe Barrière, Dominique Desseigne lui-même, en venait à douter. « Nous avons fait l’offre maximale. Ça ne tiendra que si la fiscalité reste constante, déclarait-il le 19 octobre à Lille, avant d’ajouter : On y va avec enthousiasme, mais ça peut mal tourner. » La poule aux oeufs d’or aurait-elle du plomb dans l’aile ?
(source : lavoixdunord.fr/JULIEN LÉCUYER)