Les joueurs pathologiques sont estimés à plusieurs dizaines de milliers en France. Sociologues et psychologues s’inquiètent de l’impact social des implantations en centre-ville, comme à Lille, toujours plus proches des populations fragiles.
Pascal, un Amandinois de 37 ans, a beaucoup gagné : « 62 000 E environ, sur une vingtaine de coups, entre 1998 et 2004. » Mais aussi beaucoup perdu : « 100 000 E peut-être. » « Au début, je ne jouais que la moitié de mon salaire. Peu après, je puisais dans mes réserves et téléphonais aux sociétés de crédit.
» Pascal a perdu son travail, son employeur ne supportant plus ses absences. « Je suis devenu voleur et menteur. Je pouvais aller changer des chèques dans un casino au Touquet pour retourner jouer à Saint-Amand où on ne me les acceptait plus. » Pascal s’est finalement fait interdire en mars 2004.
Des chutes comme celle-ci, Jacky Hiverneau, commandant de la police des jeux à Valenciennes, en a vu des centaines. En 2005, son service instruisait 45 dossiers d’interdiction. Cette année, en neuf mois, il en compte déjà 61. Une croissance qui a suivi celle de la précarité. Jacky Hiverneau ne croit pas au hasard : « Là où les gens sont malheureux, le taux d’interdits de jeu explose. Et ce sont avant tout des sans-emploi ou des retraités qui sont touchés. » Un portrait type confirmé par le professeur Jean Adès, psychiatre et chef de service à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes (92). « Les joueurs pathologiques (ou compulsifs) de casino sont à 95 % des joueurs de machines à sous. La rapidité d’addiction est plus grande : le résultat est immédiat et on a l’impression de jouer peu. »
Sonnette d’alarme Les spécialistes tirent la sonnette d’alarme. L’autorisation des bandits manchots dans les casinos (loi Pasqua de 1988) conjuguée à des implantations en centre-ville pourrait avoir « un impact social qu’on n’imagine pas », selon Jean-Pierre Cormerais, ethno-sociologue (lire ci-dessous).
Soucieux de leur image, les casinotiers ont investi le champ de la prévention, en se tournant vers les deux principaux organismes : Adictel (privé) et SOS Joueurs (public). Il existe désormais un référent dans chaque établissement qui parle avec les joueurs et les renvoie soit vers un psychologue, soit vers la police des jeux pour qu’ils soient interdits.
« On veille sur eux, explique Didier Hochart, directeur général du Pasino de Saint-Amand. Quand on voit leur comportement changer, s’ils deviennent agressifs, on essaie de les freiner. » Mais cette internalisation de la prévention ne convainc pas tout le monde. « Ce n’est pas raisonnable, estime Armelle Achour, psychologue et fondatrice de SOS Joueurs. Il faut un service extérieur. Les pouvoirs publics doivent s’engager dans ce sens. » Ce n’est pas la solution choisie par le groupe Barrière, qui s’implantera à Lille. Le casinotier devrait nommer un « référent contrat social », exclusivement dédié à la tâche de la prévention, et s’associer avec un centre de lutte contre les dépendances aux jeux. C’est le cas à Toulouse où, en attendant l’ouverture du casino, le service du psychiatre Laurent Schmitt a été contacté pour former le personnel. « Barrière nous a assuré qu’il faciliterait la mise en place d’un programme de soins dédié aux joueurs compulsifs, dit le Pr Schmitt.
Mais, pour l’heure, ce n’est qu’une discussion. »
(source : lavoixdu
nord.fr/JULIE
n LÉCUYER)