ENQUÊTE À travers les sept casinos du Nord - Pas-de-Calais, ils sont plus de 300 000 à avoir tenté leur chance durant les douze derniers mois. Immersion dans un monde riche en fantasmes
Passer une soirée au casino de Dunkerque-Malo, y jouer 150 euros et tenter de se faire interdire : telle était la mission du jour.
Dans la peau d’Omar Sharif. Un vendredi soir de la fin octobre. Chemise blanche sous veste noire, je roule vers le casino de Dunkerque-Malo, l’un des sept de la région, 150 E rangés dans le portefeuille. 21 h 30, l’arrivée. Salle des machines à sous. Une hôtesse me demande une pièce d’identité bien que la réglementation n’impose la mesure que dans une semaine (des contrôles d’identité sont effectués depuis le 1e r novembre dans tous les casinos pour empêcher l’entrée des mineurs et des interdits de jeu).
Devant moi, les traditionnelles machines à rouleaux et les vidéo-pokers, 150 bandits manchots au total. Qui occupent la centaine de personnes présentes. Les lumières éblouiraient presque ; la fumée des cigarettes picote ; le bruit des avalanches de pièces qui tombent régulièrement couvre une musique sans intérêt.
Autour d’une table ronde, une dizaine d’amis sabrent le champagne : les seuls qui rigolent. Silencieux et solitaires, les autres restent scotchés devant leur engin aux couleurs rutilantes et aux surfaces chromées. Rares sont ceux qui portent la veste. Une brunette dans sa guérite tient la caisse et me dit : « Vous aurez peut-être la chance du débutant ! » Et de donner, contre un billet de 100 E, répartis dans trois pots, 35 pièces de 2 E, 20 de 1 E et 20 de 0,50 E.
Je perds beaucoup et rapidement. À 22 h 15, plus que 14 E. cap vers les bandits manchots à 50 centimes. J’y rencontre deux gars, la vingtaine, boucle d’oreille pour le premier et blouson en cuir noir pour le second, qui grillent les cigarettes au même rythme que leur pécule. « Alors, la soirée est bonne ? » Moue amusée de la boucle d’oreille : « Que dalle, pour l’instant. » Le blouson en cuir ajoute : « C’est le seul endroit à Dunkerque qui reste ouvert jusqu’à 5 heures du matin et où l’on peut acheter des clopes. » Plus loin, un couple de retraités qui amasse le métal. Leur machine affiche trois 7. Je lance : « Généreuse, on dirait... » Le mari moustachu me lance un drôle de regard en palpant son argent dans le pot. « Il n'y a que celle-là, de généreuse. » Et de pointer du doigt le distributeur de monnaie au milieu de la salle. Ambiance.
7 000 E en une seule fois
Pour la quatrième fois de la soirée, une voix répète, façon hôtesse de l’air : « Le casino de Dunkerque vous souhaite une bonne soirée. » Je vais aux 1 E. Un quinqua fatigué est posté devant sa machine. « Ça marche, ce soir ? » Oeillade étonnée de mon interlocuteur. « On ne gagne jamais, à ces trucs-là. » Enchaîner sans sourciller. « C’est la première fois que je viens. » Lui : « Vaudrait mieux ne jamais y mettre les pieds. Comme chaque débutant, vous risquez de gagner et de revenir.
Vous n’avez pas pris de carnet de chèques, au moins ? » Retour aux 50 centimes, les plus prisées. Un homme, la quarantaine, en jean de la tête aux pieds, ramasse 262 pièces. « Elle ne s’arrête plus ! » L’homme répond d’un air avenant : « Faut pas se plaindre... » Un silence plus tard. « On gagne souvent des grosses sommes ici ? » Le sourire s’allonge. « Oui. Il y a sept ans, j’ai gagné 7 000 E en une seule fois. C’était le jackpot ! Ça clignotait, il y avait des sirènes, tout le monde me regardait.. Le personnel est arrivé, on m’a offert le champagne, je ne comprenais pas ce qui se passait. » Alleluia : 72 pièces dégringolent dans mon escarcelle.
Je retourne vers l’hôtesse. « Il y a du monde, ce soir... » Elle : « Pourtant, on est en fin de mois. D’habitude, c’est plein au début, lorsque les gens viennent de toucher leur salaire ou les aides... » 23 h 15. La dame à la polaire rouge se lève et se dirige vers la caisse avec son pot. Pesée. « 271 E, Madame », annonce la brunette dans sa guérite. La dame à la polaire rouge sourit.
Je décide de jouer à la boule. 7 E partis en deux minutes. L'employé compatit. « C'est vraiment une question de chance. Mais vous pouvez aller à côté : il y a une salle qui regroupe les grands jeux. » Étonnement. « Mais alors pourquoi êtes-vous ici, dans la salle des machines à sous ? » Lui : « Pour montrer aux joueurs des machines qu’il existe aussi d’autres jeux. »
Se faire interdire
Je sors et me dirige vers la salle des grands jeux. Tenue correcte exigée et fumée de tabac oubliée. Dix personnes jouent autour des tables de black-jack. Déplumé, je me contente d’observer. Presque minuit. Dans la peau du repentant, je tente de me faire interdire, m’approche de l’accueil où une hôtesse finit de s’occuper d’un couple. « Voilà : je voudrais me faire interdire… J’avais 150 E et je n’ai plus rien en poche. C’est préférable de ne plus revenir, je crois. » Elle : « Oui, je comprends mais nous, ici, on ne peut rien faire ; il faut aller au commmissariat de Dunkerque. Ils nous transmettront un dossier avec votre photo. Alors, on pourra vous interdire l’accès. » Repasser une dernière fois à la salle des machines à sous. Encore plus de monde qu’au début de la soirée. Toujours assis face à la même machine, le quinqua fatigué semble plus concentré que jamais. Comme s’il exhortait secrètement la chance à bien vouloir tourner.
(source : lavoixdunord.fr/NICOLAS FAUCON)