L'énigme du Palais de la Méditerranée va-t-elle être élucidée ? L'affaire est jugée à Nice trente ans plus tard
En attendant de passer aux assises, du 22 novembre au 23 décembre prochains, Maurice Agnelet soigne les quarante-cinq tilleuls qu'il a plantés dans le jardin de sa maison, à Chambéry. Depuis près de trente ans, il est accusé d'avoir fait disparaître, en 1977, Agnès Le Roux, l'héritière du Palais de la Méditerranée. «Il faut bien se calmer les nerfs», dit-il. Il s'absorbe dans la mystique hindoue et dans l'informatique pour supporter cette interminable procédure judiciaire qui dure depuis le 1er mars 1978 et qui a mobilisé six juges d'instruction et des dizaines d'enquêteurs. Soupçonné du meurtre, Maurice Agnelet a bénéficié d'un non-lieu sans jamais être totalement innocenté. Mystère supplémentaire : le corps de la jeune femme n'a jamais été retrouvé. Maurice Agnelet n'est pas coupable, jure-t-il, mais il porte le poids du crime. A 68 ans, il n'a plus peur de la justice, mais de la solitude.
Il a connu Agnès à Monaco. Son père est un banquier monégasque qui possède le plus beau casino de la Côte, mais on la devine révoltée contre son milieu. Elle est encore lycéenne lorsqu'elle prend un amant de 35 ans. Maurice Agnelet la croise au collège Stanislas. Ils ont une love affair, comme on dit sur la Côte. Ils se perdent vite de vue. Agnès fuit la Riviera comme s'il y avait la peste. Elle se choisit un mari, qu'elle suit en afrique. Maurice Agnelet devient avocat et entre au Grand Orient. Agnès revient d'afrique et divorce. Elle ne s'était mariée que pour changer d'air. A son retour, elle réclame à sa mère, Renée Le Roux, l'héritage de son père. «Un patrimoine considérable et indéterminé», disent les avocats d'Agnelet, Mes Jean-Pierre Versini et François Saint-Pierre. Renée Le Roux fait traîner les choses. Elle prête à Agnès la somme de 200 000 francs. Au taux usuraire de 13%. La jeune fille s'en plaint à unede ses amies, Nicole Lormion. «C'est extraordinaire comme elle haïssait sa mère», dira le journaliste Philippe Gavi, qui projetait de fonder un magazine avec elle.
Agnès retrouve Maurice Agnelet à Nice. Il s'est fait une place au barreau. Elle n'a pas encore trouvé la sienne. Elle est en guerre contre sa mère, qu'elle appelle « la Louve ». Elle a besoin de lui et il a toujours rêvé d'elle. Le flirt esquissé au collège devient une liaison, où Maurice Agnelet tient un rôle protecteur. Agnès est dépendante : «J'ai l'impression terrible de te demander plus que ce que tu veux me donner», lui écrit-elle. Tout semble lui réussir, mais rien ne la comble. Elle monte une affaire qui marche, une chaîne de boutiques spécialisées dans l'art africain. Mais elle n'a pas que de bonnes idées, elle a aussi des idées noires. Elle fait deux tentatives de suicide. Elle est obsédée par sa mère : «Je l'ai fait souffrir en naissant. Je suis venue par le siège. La première chose que j'ai montrée au monde, c'est mon cul», confie-t-elle dans son journal.
Elle finit par vendre ses parts du casino à Jean-Dominique Fratoni, le patron du Rhul, le concurrent de sa mère. Par vengeance contre cette mère si dure ? Elle disparaît à la Toussaint 1977, le 27 ou le 28 octobre. Maurice Agnelet a un alibi : ces jours-là, il est à Genève en compagnie d'une autre héritière, Françoise Lausseure, qu'il épouse peu de temps après. Renée Le Roux, qui n'a jamais pardonné à Agnelet d'avoir été l'intermédiaire entre Fratoni et sa fille, l'accuse d'avoir assassiné Agnès. En 1983, l'avocat est inculpé, écroué, puis remis en liberté, faute de preuves. Il bénéficie d'un non-lieu. Renée Le Roux ne lâche pas sa proie : elle fait appel, va jusqu'en cassation. Depuis le dossier est en sommeil.
Et puis coup de théâtre, le 11 juin 1999 : Françoise Lausseure revient sur ses déclarations. Elle n'était pas à Genève les 27 et 28 octobre 1977. L'alibi d'Agnelet s'effondre. Cette volte-face relance la procédure et conduit l'avocat devant la cour d'assises. Pourquoi ce revirement ? Encore une «vengeance liée à un divorce difficile», disent les avocats d'Agnelet, qui vitupèrent la «scandaleuse lenteur de la procédure». Un autre élément du dossier trouble les avocats de la défense : pourquoi Renée Le Roux a-t-elle réclamé à sa fille, longtemps après sa disparition, par voie d'huissier, les 200 000 francs qu'elle lui avait prêtés ?
Chronologie
Mars 1978. Début de l'instruction judiciaire sur la disparition d'Agnès Le Roux.
Août 1983. Maurice Agnelet est inculpé d'homicide volontaire et écroué.
Octobre 1983. Maurice Agnelet est remis en liberté sous contrôle judiciaire, faute de charges suffisantes.
30 septembre 1985. Ordonnance de non-lieu.
26 octobre 2005. La chambre d'instruction renvoie Maurice Agnelet devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes.
(source : nouvelobs.com/François Caviglioli)