Alléchés par les abattements fiscaux, ces établissements s'immiscent dans les politiques culturelles locales, du financement d'expositions à la main basse sur des festivals...
Une première : un casino va organiser et financer une Biennale d'art contemporain. L'affaire se passe au Havre où le groupe Partouche ouvre un nouvel établissement ceci expliquant cela. Mais, au-delà, elle est emblématique du rôle croissant qu'assument les groupes casinotiers dans le financement de la vie culturelle.
Depuis 1959, les établissements de jeux sont en effet dans l'obligation légale de participer à l'animation des villes qui les accueillent. Mais la loi de finances 1995, précisée par un décret de 1997, a poussé le bouchon un cran plus loin : les établissements de jeux bénéficient désormais d'un abattement fiscal au titre des «manifestations culturelles de qualité» qu'ils prennent en charge. Comprendre : ils peuvent déduire de leurs revenus (dans la limite de 5 %) leur contribution nette à «toutes manifestations relevant du spectacle vivant et enregistré, des arts graphiques et plastiques, d'une qualité artistique reconnue par le ministère chargé de la Culture, ou d'un rayonnement tel qu'il puisse s'étendre à l'étranger». A posteriori, une commission ad hoc est censée vérifier que les manifestations étaient bien «de qualité».
Cahiers des charges. C'est ainsi que les casinos se retrouvent organisateurs de saisons culturelles dans les petites villes et bailleurs de fonds dans les grandes. Leurs obligations en la matière sont dûment détaillées dans des cahiers des charges élaborés par les municipalités. L'organisation d'une Biennale était, au Havre, une demande expresse de la municipalité au concessionnaire du futur casino. A Enghien-les-Bains, le casino du groupe Lucien Barrière le plus gros de France organise une saison d'une quarantaine de spectacles (théâtre, variétés, etc.), pour un coût de 647 000 euros, auquel il faut ajouter 300 000 euros pour le marketing et divers frais annexes. Depuis 2000, le casino prend également en charge un festival de jazz, qui accueillera cette année, à la fin juin, Herbie Hancock, Dianne Reeves ou encore Carla Bley. «La ville voulait créer un événement, nous avons proposé le jazz» indique Blandine Harmelin, directrice artistique du groupe Barrière.
Leader en France, ses 39 casinos participent par ailleurs au financement des festivals de cinéma (Cannes et Deauville), tisse des partenariats dans l'opéra (Bordeaux), soutient l'écriture de scénarios ou de pièces de théâtre via les bourses de la Fondation Diane et Lucien Barrière, etc. «Aujourd'hui, les casinos peuvent être plus que de simples acheteurs de spectacles sur catalogue, en devenant initiateurs et coproducteurs», affirme Blandine Harmelin, qui est aussi directrice de l'Enghien Jazz Festival et du théâtre d'Enghien, abrité par le casino. «Participer à la vie artistique, c'est dans notre culture depuis longtemps, cela nous convient très bien, même si les villes se montrent de plus en plus gourmandes.»
«Sympathiques». L'autre grand casinotier français, le groupe Partouche, estime, lui, consacrer 20 millions d'euros chaque année à des «manifestations artistiques de qualité». Il est partenaire, via ses implantations locales, de festivals aussi divers que ceux d'Aix-en-Provence (art lyrique), juan-les-pins (jazz), ou, nettement plus modestes: Val-André (film documentaire), La Roche-Posay (musique de chambre) et des dizaines d'autres. Le groupe contribue également à la Biennale d'art contemporain de Lyon pour environ 1 million d'euros. «Nos interventions relèvent soit d'obligations du cahier des charges, soit d'initiatives pour des manifestations qui nous semblent sympathiques. Certaines bénéficient de mesures fiscales, d'autres non», indique Ari Sebag, directeur général de Partouche. Le groupe n'a pas de directeur artistique, chaque établissement gérant directement ses interventions.
Ari Sebag tient à relativiser l'importance des cadeaux fiscaux : «Si nous récupérons par ce biais 30 % des sommes investies, c'est un maximum», assure-t-il. Le groupe Barrière, de son côté, semble ne pas entretenir de comptabilité globale de ses investissements dans la culture.
Durant la saison 2004-2005, les 188 établissements de jeux opérant en France ont réalisé un produit brut des jeux (différence entre mises et gains) de 2,65 milliards d'euros, l'essentiel (environ 94 %) venant des machines à sous. Dans le grand transfert du financement de la culture vers le privé, voici l'acteur le plus inattendu : le bandit manchot.
(source : liberation.fr/Edouard LAUNET)