Un châtelain peut-il annexer un chemin rural appartenant à une commune, au prétexte qu'il traverse sa propriété? C'est ce qu'a fait Georges Tranchant, ancien élu RPR et propriétaire de casinos, lorsqu'il a clôturé son vaste domaine. La municipalité du Moulinet-sur-Solin mène la résistance.
Georges Tranchant, patron de casinos, prépare sa retraite au vert. Cet ancien député RPR des Hauts-de-Seine et proche de charles pasqua a acquis trois propriétés mitoyennes totalisant plusieurs centaines d'hectares entre Gien et Orléans (Loiret). Précisément sur les communes des Choux, de Langesse et du Moulinet-sur-Solin. Plusieurs années ont passé sans que le nouveau seigneur des lieux ne fasse parler de lui. Jusqu'à décembre, après qu'il a acquis et clôturé la Brenaudière, l'une des propriétés sur laquelle serpente un chemin rural. «Personne ne va plus sur ce sentier depuis des lustres», se défend l'intéressé. «Si la municipalité du Moulinet veut aller en justice, libre à elle. Les tribunaux trancheront». Car la fronde s'étend. Le 25 mars, une manifestation a réuni une centaine de personnes, dont plusieurs élus.
La «guerre» dure depuis début janvier, lorsque Marie-Christine Meunier, maire du Moulinet, saisit son conseil municipal et engage une procédure en référé. Puis un groupe d'habitants – sur les 150 que compte la commune – fonde l'association intercommunale de sauvegarde et de valorisation du patrimoine (AISVP). «Si tout le monde se mobilise, c'est qu'au Moulinet, il n'y a pas grand choix d'activités», explique Alain Meunier, secrétaire de l'association. «La randonnée du dimanche est souvent la principale occupation.»
Le Moulinet se trouve à une heure de Paris. Une proximité dont l'influence ne saute pas aux yeux. Ici, la nature occupe le terrain. Aucun commerce à l'horizon, seul le passage des camionnettes de la boulangère et du postier rythme la vie économique. A la sortie du bourg, il y a la forêt d'Orléans, mais aussi ces nombreuses propriétés prisées des Parisiens. «Ce n'est pas la première fois que ce problème se pose», explique Georges Desbans, marcheur et animateur local de la fédération départementale des randonnées pédestres. «Ces gens-là n'en ont jamais assez. Ils arrivent, ils achètent, ils clôturent, partout.» Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret, renchérit: «Si l'on peut tout acheter, y compris des casinos, on ne peut pas acheter cette liberté d'aller et venir sur les chemins publics communaux.»
Pour Georges Tranchant, cette affaire s'explique simplement: «Je suis victime d'un complot politique et médiatique dirigé par ce sénateur socialiste contre un ancien député RPR, voilà tout. Il vient ici flatter ses grands électeurs.» S'il est sûr de son bon droit, il a tout de même joué, dans les premiers temps, la carte de la négociation. «Il a proposé l'ouverture d'un autre parcours balisé, prétextant des risques liés à la chasse», se souvient Alain Meunier. «Nous avons refusé ce marchandage.»
Si la question de la réouverture de ce chemin est présente dans toutes les têtes, une autre interrogation pointe. Pourquoi Georges Tranchant rachète-t-il à tour de bras ces centaines d'hectares? Nadine Cosnard, adjointe au maire du Moulinet, a son idée: «Nous avons constaté qu'il construisait des bungalows en bordure d'étang, sans le moindre permis de construire. Je pense qu'il veut profiter de la proximité de Paris pour organiser des chasses.»
Ce à quoi le propriétaire des lieux réplique: «Je suis chez moi, je fais ce que je veux.»
Le combat est resté verbal et judiciaire, mais certains membres de l'association préviennent:
«Jusque-là, nous avons été gentils. Mais qu'il ne nous pousse pas à bout.» Des menaces à peine voilées qui situent le niveau du ras-le-bol. «Nous sommes revenus deux siècles en arrière», se lamente Nadine Cosnard. «Cet homme est un procédurier. Il sait bien que, financièrement, nous ne pourrons pas tenir bien longtemps.» Georges Tranchant n'en a cure: «J'ai fait tomber et envoyer Bernard Tapie en taule (au début des années 90, ndlr), ce n'est pas un petit conseil municipal qui va me faire peur !»
Face à cet argumentaire imparable, certains regrettent à voix basse: «En Corse, cette affaire aurait été réglé depuis longtemps.»
(source : liberation.fr/Mourad GUICHARD)