Machines à sous et casinos ont envahi la capitale russe. Les autorités veulent y mettre de l'ordre.
PIRE QUE Las Vegas. Sur les trottoirs, dans les gares, dans des magasins, les machines à sous ont envahi Moscou. Impossible de faire trois pas en sortant du métro sans voir ces petits pavillons préfabriqués aux néons criards posés sur le trottoir qui abritent chacun dix ou vingt bandits manchots. Les statistiques sont floues mais selon le ministère de l'Intérieur (MVD), il y aurait au moins 450 000 machines à sous en russie et rien qu'à Moscou, bien plus de 100 000, soit autant que dans la «Sin City» du Nevada.
Le premier casino officiel a ouvert en 1989 en russie, mais l'enfer du jeu a vraiment saisi Moscou ces cinq dernières années. La fièvre touche aussi des villes d'Extrême-Orient comme Vladivostok, qui attire une clientèle chinoise. La Douma (le Parlement) s'apprête à examiner un projet de loi pour mettre de l'ordre dans ce secteur qui échappe pour l'instant largement au fisc.
Pas moins de 155 000 délits auraient été recensés l'an dernier dans le sillage des établissements de jeu. La moitié concerne la fraude fiscale, un quart des vols et règlements de comptes violents. Pour le député Vladimir Medinsky, un jeune élu du parti de Poutine russie Unie, le jeu est un vice au même titre que la prostitution et la toxicomanie. «Aujourd'hui, entre la station de métro et chez vous, vous trouvez plus de casinos que de boulangeries. Je veux protéger les gens ordinaires et les jeunes contre le jeu», affirme-t-il.
«Parmi les joueurs réguliers, souligne Svetlana Fedorova, de l'institut de recherches scientifiques du ministère de l'Intérieur, citée dans une enquête de l'hebdomadaire Profil, figurent beaucoup de petits entrepreneurs, serveurs ou chauffeurs de taxis pour qui le jeu n'est pas une distraction mais un moyen de gagner de l'argent.»
Accro depuis 15 ans
Sauf que de l'argent, peu en gagnent. Alexei, rencontré dans l'une de ces innombrables baraques ouvertes 24 heures sur 24, se dit accro depuis quinze ans. «Je ne sais pas combien je dépense, raconte ce réparateur d'ascenseur, sous l'oeil morne du garde de sécurité. Mais au moins, je ne bois pas mon argent.» A côté de lui, le gérant de la salle de jeu se frotte les mains. Il prévoit d'installer une deuxième salle d'une vingtaine de machines.
A la gare de Kazan, les bandits manchots pullulent dans les halls. Richat, chauffeur de taxi tatare, joue depuis deux ans. Tous les jours. «J'aurais déjà pu m'acheter une nouvelle voiture pour remplacer ma vieille Volga avec ce que j'ai perdu», fanfaronne-t-il. Sa femme veille à ce que son salaire mensuel de 1 000 dollars n'y passe pas entièrement. Mais Richat emprunte aux copains pour jouer.
La dépendance au jeu des Russes modestes est-elle un fléau social ? Le phénomène est exagéré par «une campagne de presse» orchestrée par des politiciens jouant les vertueux, dénonce Lavrenty Goubine, attaché de presse de Storm International.
Doublement des impôts
Dirigé par un Britannique, cette société au capital peu transparent possède cinq casinos haut de gamme à Moscou. Goubine, qui reçoit dans les bureaux colorés d'une agence de pub, filiale du groupe, brosse un portrait respectable de son activité : «Nous avons fait une campagne sur le jeu responsable. Nos établissements sont interdits aux moins de 21 ans et nous allons mettre en place un numéro Vert pour les joueurs dépendants.» Le doublement des impôts envisagé par la loi ? Il n'est pas contre. Le député Medinsky pense qu'il est possible de tirer 5 milliards de dollars de recette fiscale annuelle. Il souhaite aussi porter la licence, aujourd'hui de quelques dizaines d'euros, à 1 million, voire 5 millions d'euros. Une façon d'éliminer 90% des petites entreprises.
Une mesure qui n'effraie pas non plus le groupe Storm. Son établissement phare, le Shangri La, barre de ses palmiers en béton ornés de néons verts toute une façade de la place Pouchkine. Droit d'entrée : 200 dollars. Personnalités politiques et hommes d'affaires se retrouvent autour des 220 machines à sous et des 49 tables de jeu. Le champion de tennis Evgueni Kafelnikov y joue au poker. A l'intérieur, ne pas chercher le glamour de Monaco. Préférer le clinquant. Les serveuses en jupe courtes à paillettes déambulent sous les écrans qui diffusent des clips. La direction a renoncé à exiger le costume cravate à ses clients, des hommes pour la plupart, souvent bedonnants. Les casinos comme le Shangri La, le député Medinsky a l'intention de les reléguer en lointaine banlieue. «Ils seront plus faciles à contrôler.» Mais la menace n'est pas prise très au sérieux. L'examen du projet de loi a déjà été repoussé 25 fois. «Il touche à des intérêts importants», constate Medinsky. «Je connais au moins deux députés qui auraient des intérêts directs dans des casinos.»
(source : lefigaro.fr)