Ils ne contrôlent guère les joueurs interdits, notamment aux machines à sous. Au point que certains accros les attaquent en justice
Faites vos jeux… Rien ne va plus. Le casino a détruit leur vie. Alors ils attaquent. «Ma meilleure thérapie, c'est de dire à voix haute ce que j'ai caché pendant dix ans», lance Jean-Philippe Bryk, joueur accro. Au bord du suicide, ruiné, il a assigné, le 14 novembre 2005, la société Casino du Grand Café (groupe Partouche) devant le tribunal de grande instance de Cusset (Allier) pour «abus de faiblesse civile». Il réclame 687 000 euros. La somme dépensée dans les machines à sous de l'établissement. «Ils m'ont vu me détruire, mais ils n'ont pas levé le petit doigt», accuse Jean-Philippe Bryk. Une première judiciaire qui sera tranchée le 16 janvier. Bis repetita le 26 janvier. Le tribunal de Clermont-Ferrand rendra son verdict dans une affaire opposant le groupe Partouche à un autre joueur, Yves Dompietrini. Leur avocat commun, Me Gilles-Jean Portejoie, défend l'idée que le jeu pathologique est un problème de santé publique.
A Chamalières, Jean-Marie Carayon, 63 ans, compte attaquer au pénal «pour obliger les casinotiers à respecter la loi». Lui s'est fait volontairement interdire de jeu. Ce qui ne l'empêchait pas d'entrer au casino de Royat (Puy-de-Dôme) et de jouer sur les machines à sous. «Il y a deux ans, j'ai fait un esclandre. J'ai crié que j'étais interdit de jeu et que j'en avais marre qu'ils me laissent entrer, raconte le retraité. Le responsable m'a dit que, s'il m'en empêchait, j'irais jouer ailleurs.»
Autorisées depuis 1988, les machines à sous représentent 95% des recettes des casinos. Contrairement aux jeux traditionnels (roulette, boule), l'accès y est libre. En revanche, les casinos se réservent le droit de ne pas payer les joueurs interdits volontaires dès lors qu'ils gagnent plus de 1 500 euros sur les machines à sous. «Cette décision n'a pas été validée par nos services», rappelle la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Selon elle, 300 personnes par mois s'adressent aux Renseignements généraux afin d'être interdites de jeu. Un nombre en forte augmentation. Cette démarche s'avère pourtant inefficace. L'absence de contrôle aux machines à sous encourage la transgression. «Beaucoup de joueurs en détresse s'en plaignent», confirme Armelle Achour, responsable de SOS-Joueurs.
Le ministère de l'Intérieur vient d'annoncer la mise en œuvre obligatoire, au plus tard le 1er novembre prochain, d'un contrôle d'identité des joueurs afin de refuser l'entrée des casinos aux mineurs et aux interdits de jeu. Ce «protocole sur la promotion du jeu responsable», signé par les deux principaux syndicats d'exploitants de casinos, reprend en partie les propositions d'un rapport confidentiel de la Sous-Direction des courses et jeux (SDCJ), qui a réalisé en 2004 un vaste état des lieux critique «sur les interdits de jeu volontaires et sur les mesures de prévention et d'information en matière de jeu excessif».
Des innovations juteuses
L'action des casinos est jugée «hétérogène et disparate» par la SDCJ et les «suivis individuels des possibilités financières des joueurs» pas convaincants. La SDCJ constate par ailleurs que le nombre de mineurs détectés dans les casinos a «considérablement augmenté».
Le contrôle d'identité obligatoire entraînera un manque à gagner: selon Frédéric Frontali, délégué CGT et chef de partie au casino de Montrond-les-Bains (Loire), «de 8 à 10% de la clientèle des machines à sous sont des interdits de jeu, mais ils représentent 30% du chiffre d'affaires». Du coup, le ministère a prévu de sérieuses contreparties pour les casinotiers: suppression du droit de timbre aux salles de grands jeux, facilités administratives, «création de nouveaux jeux et adaptation des matériels», est-il annoncé. En réalité, le protocole prévoit des innovations juteuses. Au lieu de pièces, on pourra introduire directement des billets dans les machines à sous (bill acceptor). L'organisation de tournois de poker sera possible, la publicité sur les jackpots sera autorisée, l'augmentation du parc des machines à sous facilitée. Autre mesure: la création d'un badge visiteur, qui permettra à une personne qui n'a pas ses papiers d'entrer dans l'établissement. «Le personnel devra l'empêcher de jouer, mais, dans les faits, il suffira de jeter son badge», observe Frédéric Frontali. «C'est de l'hypocrisie, constate le sociologue Jean-Pierre Martignoni-Hutin, président de l'Observatoire des jeux. On fait semblant de promouvoir le jeu responsable, mais c'est le jeu tout court qu'on promeut.» L'Etat, il est vrai, prélève en moyenne 57% du produit brut des jeux.
(source : lexpress.fr/Sole
nne Durox)