PAU. Depuis hier après-midi, le casino est fermé. Le personnel, informé que la concession ne serait sans doute pas renouvelée au groupe tranchant qui l'emploie depuis dix-huit ans, s'est mis en grève
« Si vous ne me croyez pas, vous êtes des connards » : le style direct d'André Labarrère hier après-midi devant sa mairie n'a pas convaincu. La quarantaine de salariés du casino de Pau venue le rencontrer s'est offusquée, décidant dans la foulée de se mettre en grève pour une durée illimitée.
Tout avait commencé la veille. Lors d'un comité d'entreprise, Frédérique Quelennec, la directrice de l'établissement exploité depuis dix-huit ans par le groupe tranchant, annonçait aux 80 employés que le renouvellement de la concession, arrivant à son terme le 28 juin prochain, était loin d'être acquis. Si le Conseil municipal devra trancher le 24 janvier, le projet de délibération est sans ambiguïté. Car l'appel d'offres lancé l'année dernière a séduit dans un premier temps trois candidats : le groupe tranchant, bien sûr, mais aussi les Espagnols de la Corporation de Nueva Marbella, et surtout le groupe présenté par un ancien Palois Pierre-Louis Faure. Les Espagnols n'ayant pas répondu aux demandes de pièces complémentaires, ils n'étaient plus que deux en lice en octobre. Et manifestement, à l'issue des négociations et rencontres, le groupe Faure a emporté l'adhésion de la commission municipale des délégations de service public.
Favori soutenu à La Réunion. Une très mauvaise nouvelle pour le groupe tranchant, qui pensait sans doute, faute d'adversaires de poids comme les groupes Partouche ou Barrière, que la partie serait facile. Une surprise aussi, car le candidat favori garde encore une part de mystère. Le groupe est en effet en cours de constitution. Il est composé de deux anciens directeurs de casinos, dont Pierre-Louis Faure, qui a exercé à Paris. Ce n'est pas un inconnu à Pau, son père ayant assuré la direction du casino dans les années 80. On y trouve également deux membres de la société exploitant le casino de Saint-Denis de La Réunion, elle-même présente en tant que personne morale. Parmi eux, Charles Massoni, qui se porte caution et a accepté de nantir en second rang les actions qu'il détient dans l'affaire réunionnaise.
Mais aux yeux des 80 salariés palois réunis hier en début d'après-midi en assemblée générale, « ce groupe qui n'existe pas encore n'est pas professionnel. On nous demande de faire confiance à des gens que personne ne connaît », explique Christian Guibert, élu au comité d'entreprise. « Il faut marquer le coup. La fermeture du casino va faire du bruit », lançait pour sa part Paula Rodriguez, autre élue du CE.
« Un risque colossal. » Leur principale préoccupation réside dans la pérennité de leurs emplois. Car au-delà de la décision du Conseil municipal, l'incertitude demeure, selon le personnel, sur les autorisations de jeux que seul le ministère de l'Intérieur est habilité à délivrer. « On a aujourd'hui cent machines à sous, soit plus de 90 % du chiffre d'affaires et 60 emplois », précise Paula Rodriguez. Autant d'inquiétudes que partagent les cadres du groupe tranchant. Et Romain tranchant lui-même : « Reprendre les employés est certes une obligation, mais faut-il encore pouvoir les payer. Sans machines à sous ou si elles ne sont pas en nombre suffisant, il faudra avoir les reins solides. Or, je constate que si mon groupe s'engage à apporter une caution totale comme le prévoyait initialement le cahier des charges, la règle du jeu a changé en cours de procédure. L'autre candidat propose une garantie plafonnée à 1,5 million d'euros. Or, quand on change de concessionnaire, mieux vaut avoir une meilleure garantie, non ? », interroge-t-il.
Selon lui, la Ville prend « un risque colossal », non seulement sur ce point, mais également sur l'ouverture du casino cet été : « Le temps que la procédure administrative soit menée à bien, que le ministère de l'Intérieur apprécie le sérieux du projet, cela peut prendre du temps ».
« Vous ne risquez rien. » Enfin, M. tranchant ne cache pas étudier lui-même le dossier pour, le cas échéant, utiliser toutes les voies de recours judiciaires possibles : « On ne m'a pas encore fichu dehors, même si cela en prend le chemin », conclut-il. André Labarrère a une toute autre lecture de l'affaire. Il ne l'a pas caché aux salariés hier. S'étant entretenu vers midi au téléphone avec Christian Guibert, il acceptait, « sous la contrainte mais par amitié », de recevoir hier après-midi dans son bureau une délégation de quatre employés, encadrés par Bernard Mouchet, permanent de Force ouvrière : « Dans le cadre d'une délégation de service public, la reprise du personnel à qualification égale est obligatoire. Et cela est reprécisé dans le cahier des charges. Vous ne risquez rien. De toute façon, rien n'a été voté encore ».
Aux autres interrogations relatives à la solvabilité du candidat concurrent, le maire répliquait : « Vous me croyez assez con pour retenir une offre sans garantie financière et sans être sûr d'avoir les jeux ? La ville de Pau a intérêt à avoir de l'argent et des machines à sous ! ».
Descendant à la rencontre des autres salariés rassemblés sous le balcon de son bureau, il renouvelait ses assurances. Pressé de questions, il les traitait à plusieurs reprises de « connards » : « Vous préférez aller aux Eaux-Bonnes où tranchant a supprimé 29 emplois ? », leur demandait-il excédé, avant de gagner sa voiture sous les sifflets. En partant, il se retournait, lâchant un baiser du bout des doigts...
(source : sudouest.com/Anne-Marie Siméon)