ENTRETIEN. --Médecin cardiologue et élue d'opposition à Bordeaux, Michèle Delaunay lutte contre l'addiction au jeu
« Sud Ouest ».
Vous souhaitez limiter l'expansion des casinos pour des raisons médicales. Cette démarche n'est-elle pas exagérée ?
Michèle Delaunay.
Absolument pas. Toutes les études scientifiques sur la question montrent qu'il existe une addiction au jeu. On sait que c'est une pathologie qui augmente de manière alarmante en proportion de l'offre. Et le plus dangereux, ce sont les machines à sous. Elles se comportent comme une drogue chimique, avec des sensations physiques pour les joueurs. Je voudrais rappeler que certaines personnes vivent et ont vécu des drames en perdant tout dans les casinos.
Vous voulez interdire le jeu ?
Ce n'est pas ce que je dis. Je veux que l'on reconnaisse les risques et l'existence d'une addiction, particulièrement dans la présentation que l'on en fait au public. Aller dans un casino et y dépenser son argent n'est pas anodin. Je suis donc pour une limitation du nombre de machines à sous par établissement et une diminution des plages horaires. Lorsque vous voyez qu'un casino ouvre à 9 heures du matin, ce n'est pas pour du jeu de loisir mais vraiment destiné à des joueurs pathologiques qui y passent leurs journées.
Les gens sont adultes et responsables; s'ils veulent perdre de l'argent au jeu, n'est-ce pas leur problème ?
Je pense au contraire que le politique a une responsabilité. Les plus soumis au risque, les plus vulnérables par rapport au jeu sont ceux qui ont des difficultés dans la vie, professionnelles ou personnelles, et souvent des revenus modestes. Cet argent des casinos revient pour une part aux communes. Il s'agit d'un impôt sur les moins riches. Nous avons bien une responsabilité. A Bordeaux, si l'Etat ne l'avait pas refusé, nous aurions 450 machines à sous au lieu de 250.
Un casino permet des rentrées d'argent importantes pour la municipalité, donc pour tous les habitants de la ville...
Justement. Comme cet impôt frappe souvent les moins riches, il me semble anormal d'en reverser autant à la société privée qui exploite le casino en délégation de service public. A Bordeaux, nous donnons 49 % à la société Barrière et la municipalité touche 51 %, ce qui représente plus de 5 millions d'euros. Pourquoi ne pas créer une régie municipale pour récupérer véritablement cet argent et limiter le nombre de machines ? Imaginez que l'on plante du haschisch dans la cour de la mairie pour le vendre. Les élus créent des besoins pathogènes sans un véritable encadrement.
(1) Michèle Delaunay est cancérologue et conseillère municipale socialiste d'opposition à la ville de Bordeaux.
(source : sudouest.com/Propos recueillis par Bruno Béziat)