Sur internet, des millions de joueurs s'adonnent au poker et au black-jack. Avec à la clé de gros profits pour ces casinos en ligne
Les courtiers de la Bourse de Londres peuvent narguer leurs homologues parisiens. Ces amateurs de sensations fortes ont en effet connu, ces dernières semaines, un délicieux frisson. Un tourbillon partagé avec des millions d'inconnus rivés derrière leur ordinateur sur des jeux de black-jack en ligne, et pourtant refusés au marché français. Mi-septembre, PartyGaming, une société basée à Gibraltar évaluée entre 6 et 8 milliards d'euros, soit plus que British Airways, a fait son entrée parmi les 100 valeurs de référence du marché londonien. Et cela moins de trois mois après sa première cotation. Plus de 3 millions de joueurs dans le monde s'adonnent aux joies des casinos en ligne. Eric Bouhanna, le fondateur d'Adictel, une société de service d'aide aux drogués du jeu, a testé les casinos virtuels. « J'ai perdu en un quart d'heure ce que j'aurais dépensé en une soirée dans un casino terrestre. Sur internet, le temps n'existe plus. Le programme fonctionne comme une machine à sous. »
La France, comme la majorité des pays de l'Union européenne, refuse de céder son monopole. Exception notable, la Grande-bretagne a décidé en avril dernier de légiférer. L'objectif est simple : rapatrier ces cybercasinos, installés dans des sites offshore, pour mieux les contrôler et les taxer. Le Gambling Act autorisera bientôt ces sites sur le sol anglais, après un examen minutieux de leur dossier. La législation américaine, quant à elle, reste très stricte. Les jeux en ligne y sont illégaux et ceux qui les proposent hors la loi. L'Etat fédéral envisage donc de sévir contre les entreprises en fraude. Une véritable épée de Damoclès pour PartyGaming, qui réalise 87% de son chiffre d'affaires au pays de l'Oncle Sam.
Le curriculum vitae des propriétaires de cette société mêle sexe, argent et technologie. Entrée comme consultante dans l'entreprise de son père, un magnat de l'industrie pornographique, Ruth Parasol a lancé sa propre affaire dans les années 1990. L'Américaine devient alors une figure majeure de l'industrie du sexe sur internet avant de décider de récupérer la mise pour se lancer dans les jeux en ligne. Elle crée PartyGaming en 1997. L'année suivante, un de ses amis lui présente un jeune Indien, Anurag Dikshit, véritable génie de l'informatique qui a fait ses armes dans la téléphonie, chez AT&T et Lucent Technology. Lui sera chargé d'élaborer les programmes des sites de PartyGaming, sur lesquels se pressent des dizaines de milliers de joueurs aux heures de pointe. Ces trois trentenaires se sont partagé l'essentiel du pactole approchant le milliard et demi d'euros après l'entrée en Bourse de la société. Insupportable pour Patrick Partouche, le directeur général du groupe du même nom, privé de cette manne. « J'attends l'autorisation de l'Etat depuis quatre ans, enrage-t-il, avant de menacer : Partouche va lancer une plate-forme mondiale. Quitte à avoir des problèmes. Il y va de l'avenir de notre métier et de celui du groupe. » Cet avertissement, lancé sans précision de date, sera-t-il suivi d'effet ? Conscient de l'importance prise par les jeux en ligne, l'Etat français a tout de même décidé en 2001 d'ouvrir à la Française des Jeux la possibilité de s'installer sur la Toile. Mais pas question pour lui d'apparaître comme un banal croupier. « Notre priorité numéro un reste le réseau classique », répète la Française des Jeux. Son site fdjeux.com affichait l'an dernier quelque 30 millions d'euros de chiffre d'affaires. Bien peu comparé aux 8,5 milliards d'euros engrangés par la Loterie nationale. En outre, le site ne fait pas de publicité, contrôle l'âge de ses clients et limite les mises à 100 euros par carte bancaire et par semaine. Autant de garanties destinées à défendre ce service public du jeu et difficiles à accepter pour des casinos privés français même prêts à tout pour obtenir l'accès à internet.
En attendant, PartyGaming et ses concurrents profitent de l'absence de frontières sur internet pour faire des affaires. Ses actionnaires parient d'ailleurs sur l'absence de régulation. Et, visiblement, ils ont été suivis par les investisseurs, en mémoire peut-être d'un vieil adage romain : « Du pain et des jeux, voilà ce qu'il faut au peuple. »
(source : nouvelobs.com/Jean-Baptiste Diebold)