Le territoire autochtone de Kahnawake, au sud de Montréal, a damé le pion aux plus grands paradis fiscaux de la planète en devenant en moins de 10 ans le plus important hébergeur de casinos virtuels au monde.
Selon un rapport récent de Valeurs mobilières Desjardins visant à informer les investisseurs sur ce marché en rapide expansion, les serveurs de la Mohawk Internet Technologies- entreprise privée à but lucratif située dans la petite communauté autochtone- n'hébergent pas moins du cinquième des 500 sites Internet de pari en ligne les plus populaires sur la Toile.
Au moins 20 des sites hébergés à Kahnawake figurent par ailleurs parmi les 100 sites les plus fréquentés par les internautes.
En comparaison, les serveurs situés au Royaume-Uni, dans les îles d'Antigua-et-Barbuda et dans les Antilles néerlandaises (considérées comme un paradis fiscal par l'OCDE) abritent tous moins de 15 des sites figurant dans le top 100 des casinos virtuels.
Pour pouvoir être hébergés dans la réserve, ces sites, qui appartiennent généralement à des intérêts étrangers, doivent d'abord obtenir une licence de la Kahnawake Gaming Commission (voir autre texte), organisme créé en 1996, relevant du conseil de bande, et qui remet tous ses profits à la communauté.
Il est cependant très difficile d'obtenir du conseil de bande de Kahnawake quelque détail que ce soit concernant les profits tirés par la communauté de ce parc de serveurs.
«Depuis la création de la Gaming Commission, les sommes retournées à notre communauté s'élèvent au moins à un million, s'est contenté d'affirmer à La Presse le grand chef Michael Delisle. L'hébergement des sites nous a également permis de créer plus de 200 emplois, dont la moitié sont occupés par des Mohawks.»
Apparue au début des années 90, l'industrie des casinos virtuels, source de nombreuses critiques, représentait en 2004 environ 3 % de tous les revenus tirés du jeu de hasard, soit environ 9,3 milliards. Ils sont interdits dans plusieurs pays, dont les États-Unis, mais compte tenu de leur aspect virtuel, il demeure extrêmement difficile pour les législateurs de les contrôler.
Légal ou non?
Au Canada, en vertu du Code criminel, seuls les gouvernements provinciaux ont le droit de mettre sur pied des casinos ou d'accorder des licences à des tiers pour le faire. Aux yeux du professeur Pierre Trudel, titulaire de la chaire L.R. Wilson sur le droit des technologies de l'information et du commerce électronique de l'Université de Montréal, il ne fait donc aucun doute que l'existence de ces serveurs à Kahnawake n'a rien de légal. «À moins de dire que les autochtones ont des droits ancestraux sur le jeu en ligne, ce qui est assez contradictoire, je ne vois pas comment ils pourraient convaincre un juge qu'ils ont pleinement le droit de faire ce qu'ils font», affirme-t-il.
n'empêche, le conseil de bande de Kahnawake, évoquant à la fois un principe d'autonomie politique et une décision de la Cour suprême rendue il y a quelques années, stipulant que les jeux de hasard peuvent être considérés comme des droits ancestraux s'il est prouvé qu'ils faisaient partie du mode de vie mohawk à l'arrivée des Blancs, entend s'il le faut défendre ses droits devant les tribunaux.
Chose certaine, depuis l'apparition des casinos virtuels, bien qu'une première poursuite ait été intentée en 1998 contre une entreprise qui hébergeait son site à Vancouver (et qui a plaidé coupable à la première occasion), la loi canadienne réglementant ce type d'activité n'a pas été testée à fond devant les tribunaux. L'état du droit en la matière est donc resté flou, en quelque sorte. Si bien que, d'après les démarches de La Presse, le gouvernement québécois est loin d'avoir pris une décision claire à ce sujet. Hier, par la voix d'une porte-parole, le ministère de la Sécurité publique a été incapable de dire si le fait d'exploiter ou d'héberger de tels sites contrevient à la loi ou non. Loto-Québec a pour sa part affirmé ne pas avoir de position sur le sujet puisque son mandat se limite à exploiter les jeux de hasard. De son côté, la Régie des alcools, des courses et des jeux, chargée de surveiller le secteur des loteries, a indiqué ne pas avoir de position non plus puisqu'elle ne gère pas de casino.
«Le problème devant lequel on se trouve est nettement politique, estime le professeur Trudel. Si le gouvernement voulait régler cette question une fois pour toutes, il n'aurait qu'à déposer des accusations. Mais la volonté politique de s'attaquer à une certaine catégorie de la population telle que les autochtones n'est visiblement pas présente.»
(source : cyberpresse.ca/Trista
n Péloqui
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