Argent. Le produit phare de la Française des Jeux favoriserait une dépendance.
Il y avait déjà les forcenés du tiercé, les accros du casino. La Française des Jeux (fdj) a désormais, elle aussi, ses addicts. Ils s'adonnent au Rapido, produit phare de l'opérateur, et sont apparus il y a environ trois ans dans les statistiques de SOS Joueurs (1). En 2004, environ 15 % des clients de cette association ont succombé à l'appel du Rapido. «La plupart des gens n'en font pas une maladie, explique Marc Valleur, médecin chef à l'hôpital parisien Marmottan, spécialisé dans les toxicomanies. Mais le Rapido est un jeu à problèmes, le produit de la fdj le plus accrocheur, avec plusieurs caractéristiques des addictions : une perte de contrôle par rapport à la consommation, la volonté, quand on a perdu, de rejouer pour se refaire, et aussi des impulsions, des envies terribles d'aller jouer.» A tel point que la fdj a appuyé sur le frein, en mars, en réduisant le montant des mises.
Frisson. Basé sur des modèles de jeux de nombre étrangers, notamment le Loto Express pratiqué en Suisse romande, le Rapido a été lancé en 1999. Et s'est vite imposé comme une des meilleures gagneuses de la fdj : 2 milliards d'euros en 2004, autant que le Loto, pour un chiffre d'affaires total de 8,5 milliards. Le principe en est simple : une grille avec huit numéros à cocher (sur vingt), un tirage perpétuel toutes les cinq minutes entre 6 heures et minuit, soit 200 par jour , à suivre sur les télés de plus de 8 000 cafés. Et, selon les pratiquants, un frisson instantané, bien loin du Loto ou des jeux de grattage.
«Là, tu joues en direct, comme au tiercé», glisse entre deux tirages Mohamed, 45 ans, agent de sécurité. «C'est un jeu de plaisir, comme les machines à sous, confirme, sa grille posée sur le comptoir à côté de sa bière, Françoise, 53 ans, inspectrice des impôts. Dans le Loto, il faut attendre longtemps, on oublie qu'on a joué. Là, c'est rapide.» Guy, 54 ans, décorateur, vient de gagner 30 euros après en avoir misé 2 : «Les gens pensent pouvoir gagner tout de suite, dans la minute qui suit.» Le docteur Marc Valleur voit même dans cette émotion subite, imminente, la principale cause d'addiction : «Dans les loteries à tirage différé, les gens cherchent du rêve. Ça dure longtemps. Avec le Rapido, c'est de l'adrénaline immédiate, la tension du dernier moment. Il y a un moment extrême où on peut gagner, où tout est possible.»
L'appât du pactole (100 000 euros au maximum, même si l'essentiel des gains se situe entre 100 et 1 000 euros), donc, n'explique pas tout. «Les joueurs racontent qu'ils ont eu beaucoup de plaisir à jouer : de la tension, puis une libération, un stress qui est soulagé, diagnostique Armelle Achour, psychologue et responsable de l'association SOS Joueurs. Ils sont prisonniers de cette recherche de sensations. Mais le premier gain, pas forcément important, peut aussi être décisif. Les joueurs vont ressentir quelque chose de magique, et ils auront envie de renouveler l'expérience.» La suite est un engrenage. «Avant, je jouais deux heures par jour, raconte Alfredo, 24 ans, sans emploi. Aujourd'hui, je me suis calmé. A cause de ma femme.» D'autres n'ont pas pu s'arrêter. «Ils vont miser des sommes de plus en plus importantes, deviennent de quasi-obsessionnels qui désinvestissent progressivement toute relation amicale et affective, poursuit Armelle Achour. Ce sont des fantômes, physiquement là, mais mentalement ailleurs.»
Possédés. L'association recueille régulièrement les témoignages de ces possédés du Rapido. Celui de ce Parisien de 57 ans, père de trois enfants, employé dans un atelier de photocopies, qui, pour rembourser 70 000 euros de dettes de jeu, s'est embourbé dans des crédits revolving. Celui de ce retraité de 62 ans, qui, en un an, a joué toutes ses économies, soit 8 000 euros. Ou encore ce salarié du bâtiment de 45 ans, deux enfants, qui ne peut plus payer ni impôts, ni loyer, ni assurance, ni électricité.
Jean-Marc Buresi, directeur marketing de la fdj, en convient : «Rapido a ce rythme qui peut inciter à jouer. C'est pour nous le produit qui présente le plus de risque d'entraîner des personnes fragiles, mais on le savait dès le début.» Pourtant, l'opérateur a bien dû se résoudre à un toilettage. «Une surveillance des pratiques dans notre réseau nous a amenés à prendre des mesures, en relation avec le ministère du Budget, poursuit Jean-Marc Buresi. Nous avons limité les mises de jeu à 1 000 euros, et non plus à 4 000, afin d'éviter d'avoir des joueurs qui se laissent entraîner trop loin. Mais notre rôle est de faire en sorte que les gens jouent dans de bonnes conditions, pas de les empêcher de jouer.»
(1) 08 10 60 01 15 (prix d'un appel local).
(source : liberation.fr/David REVAULT D'ALLONNES)