Prêt à tout pour évincer le groupe Tranchant, le maire a rallié une société de Sarre.
mnéville était jusqu'ici une bourgade de Moselle à peine agitée par le bruit des bandits manchots. Transformée en un immense complexe de loisirs, cette ex-ville minière, qui possède le sixième casino français (par son produit brut des jeux), se distingue à présent par les mots qu'on y échange et la multiplication des procédures juridiques. Voilà plusieurs années que Jean Kiffer, le maire de la ville, s'oppose à Georges Tranchant pour le contrôle de l'exploitation du casino. Le 11 mars, le premier a déposé plainte auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris pour «menace de mort». La plainte vise Georges Tranchant, qui aurait prononcé les propos suivants : «Je veux sa peau et je l'aurai.»
Ennemi juré. La raison d'un tel courroux ? Le maire, divers droite, se bat pour confier à une régie privée la gestion du casino, fleuron du groupe Tranchant (18 établissements en France). Le 21 mars, il a officialisé un accord conclu avec Saarland-Spielbanken, un réseau d'établissements de jeu majoritairement détenu par le Land (région) allemand de la Sarre. A 125 000 euros le ticket d'entrée, Saarland-Spielbanken a acquis un quart du capital d'une société d'économie mixte (SEM) dont la ville d'Amnéville est l'actionnaire de référence, avec 60 % des parts. L'objectif est clair : à court ou à moyen terme, cet attelage public franco-allemand «dans l'air du temps» et symbole de «coopération transfrontalière», selon les termes de Kiffer, espère gérer le casino municipal d'Amnéville, dont l'exploitation est concédée depuis 1988 au groupe Tranchant.
Déjà, l'année dernière, le fougueux Kiffer aux commandes de la commune depuis quarante ans s'était mis en tête d'évincer son ennemi juré. Depuis dix ans, Kiffer reproche en effet à Tranchant de ne pas réinvestir sur place les bénéfices du casino d'Amnéville. Pour régler «par le haut» ce conflit qui a déjà généré un extraordinaire écheveau de procédures judiciaires, Kiffer projetait de créer une régie municipale pour gérer le casino (Libération du 19 février 2004). Faisant la promotion de cette gestion publique inédite, il promettait «clarté, transparence et moralisation» dans l'univers des casinos. Las, le projet a été retoqué par le ministère de l'Intérieur, qui a jugé que le montage envisagé n'avait aucune chance de décrocher l'autorisation de jeu nécessaire à cette lucrative activité. Tenace, Kiffer a imaginé la solution de la SEM, avec un conseil de surveillance majoritairement composé d'élus et des professionnels du secteur du jeu au directoire exécutif.
Restait à trouver l'opérateur approprié. «Avec Saarland-Spielbanken, nous avons là un opérateur compétent, incontestable», affirme aujourd'hui Kiffer. Créée en 1979, l'entreprise est la propriété du Land de la Sarre, actionnaire majoritaire, et du Saarland Sporttoto, une fédération d'associations sportives. Elle exploite huit sites de jeu en Sarre, avec un résultat brut de 38,8 millions d'euros, ce qui la classe au 6e rang des casinos allemands. Le directeur de Saarland-Spielbanken, Gerd Meyer, estime que le chiffre d'affaires du casino d'Amnéville ne peut qu'augmenter. L'établissement affiche un produit brut des jeux (l'équivalent du chiffre d'affaires) de 56,8 millions d'euros en 2004 et «4 millions et quelque par an» de bénéfices nets après impôts, dixit Georges Tranchant. L'accord conclu entre la ville d'Amnéville et Saarland-Spielbanken prévoit que l'entreprise allemande ne soit rémunérée que pour le management du casino, les bénéfices étant entièrement réinvestis sur place. «ça a de la gueule, non ?» exulte Jean Kiffer.
«Petit pied nickelé». Pour le moment, tout cela reste néanmoins virtuel. Si la SEM a remporté l'appel d'offres lancé pour succéder au groupe Tranchant, dont la concession expire fin 2005, encore lui faut-il décrocher une autorisation de jeu pour exploiter le casino municipal. «J'ai le feu vert du ministère de l'Intérieur», clame Kiffer en brandissant un courrier, lequel indique en fait que la solution «mérite un examen approfondi». A Paris, Georges Tranchant suit de près l'évolution du dossier et «rigole doucement» de Kiffer, «un petit pied nickelé qui ne connaît rien au droit et prend des décisions pour le "Kifferland", un véritable empire». «Ce qu'il dit, c'est n'importe quoi. Une SEM ne pourra jamais exploiter un casino. J'en ai ras la casquette de ses gesticulations», s'énerve le casinotier, qui dénonce «les malversations» de Kiffer. L'une des plaintes qu'il a déposées a récemment abouti à la mise en examen du maire d'Amnéville pour «prise illégale d'intérêts», avant que le bouillant édile riposte avec sa plainte pour «menaces de mort»...
«Riposte fulgurante». Outré par cette sortie, Jean Kiffer semble décidé à se débarrasser au plus vite de son ennemi. Son avocat, l'ancien secrétaire d'Etat à l'Industrie Christian Pierret (PS), affirme avoir préparé «une riposte fulgurante qui sera développée dans les prochaines semaines». Au coeur de cette riposte : la rédaction d'une «délibération aux petits oignons» qui doit permettre à la ville de résilier la concession accordée au groupe Tranchant pour laisser le champ libre à la SEM. «Le dossier du maire est, en droit, d'une grande solidité», soutient Christian Pierret. Le prochain épisode est attendu «d'ici au 15 avril», date butoir annoncée pour la convocation du conseil municipal qui doit mettre le casinotier à la porte.
(source : liberatio
n.fr/Thomas CALI
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